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La région de Charlevoix occupe une place privilégiée dans le cœur des Québécois. Lieu de séjour de vacances, de tourisme et de villégiature, terre d’origine de nombreuses familles comme les Tremblay, les Simard, les Bouchard, Charlevoix paraît à prime abord un lieu relativement bien connu. Mais, en fait, l’histoire de Charlevoix est-elle si connue que cela ? Sait-on par exemple que le nom de la région rend hommage à l’historien jésuite Pierre-François-Xavier de Charlevoix (1683-1761) et qu’il a désigné d’abord une circonscription électorale à compter de 1855 ? Connaît-on vraiment l’histoire géologique et la géographie de ce territoire aux paysages magnifiques et parfois tourmenté par de fortes secousses sismiques ? Que sait-on sur l’économie régionale qui n’est peut-être pas seulement touristique ? Quelles sont les occupations des Charlevoisiens d’hier et d’aujourd’hui ? Ont-ils une culture régionale spécifique qui persiste jusqu’à nos jours ? Est-ce que ce Charlevoix à la population dispersée sur un espace territorial restreint et serré entre le fleuve et les montagnes possède encore un avenir à l’heure de la mondialisation ? Autant de questions auxquelles le présent texte sur l’histoire régionale de Charlevoix souhaite apporter quelques réponses. 

L’histoire de Charlevoix est une découverte passionnante à faire. Le territoire de Charlevoix devient un lieu de rencontre. Un espace observé ou des regards variés se croisent : celui des découvreurs européens, des Amérindiens, des premiers habitants sédentaires, des villégiateurs de toute provenance, touristes de passage ou encore chercheurs en quête de données scientifiques. Microcosme, terre effrayante puis attrayante, milieu de vie pour ses habitants ou encore terre de repos pour les vacanciers, le passé de Charlevoix se compose à partir de multiples perceptions et ce territoire révèle des histoires en apparence contradictoires mais qui sont toutes des composantes du patrimoine culturel régional.

Le territoire

Charlevoix se situe presque totalement en milieu laurentien, sauf l’île aux Coudres rattachée aux Appalaches. Sa superficie est modeste, soit 6 169 km2, ce qui correspond à l’étendue des deux municipalités régionales de comté. Sur une carte (carte du territoire, synthèse p. 9), la région apparaît comme enclavée. Au nord, c’est à peu près le 48e parallèle qui délimite le territoire de Charlevoix de celui du Saguenay. À l’est, la rivière Saguenay sert de frontière naturelle tandis qu’au sud, le fleuve Saint-Laurent longe la côte. À l’ouest, les montagnes des Caps, d’une hauteur de 600 à 800 mètres, séparent Charlevoix de la Côte-de-Beaupré et de la ville de Québec sur une trentaine de kilomètres. Ce territoire semble donc mis en retrait des régions voisines par des cours d’eau et par un relief difficile érigeant tout autour une barrière naturelle.

Le relief est très contrasté avec la présence du fleuve, des montagnes, des caps, des vallées et de l’île aux Coudres. La région doit aussi une partie de son paysage à l’impact d’une météorite géante dont la chute, survenue il y a 350 millions d’années, a laissé une empreinte encore observable. Il explique l’effondrement d’une zone semi-circulaire entre les vallées des rivières du Gouffre et Malbaie. Vers le nord, la ligne d’horizon des montagnes, à la limite de la dépression, délimite la partie visible de l’impact, l’autre partie de la dépression s’étendant sous le fleuve. La fracture et l’affaiblissement de l’écorce terrestre causés par l’impact de cette météorite pourrait par ailleurs expliquer la fréquence élevée des tremblements de terres dans Charlevoix. 

Si des cours d’eau importants bornent la région, les rivières qui coulent sur le territoire sont plutôt modestes. Les principaux bassins hydrographiques sont ceux de la rivière Noire (297 km2), de la rivière Malbaie (2 059 km2) et de la rivière du Gouffre (813 km2). Le potentiel des cours d’eau apparaît limité, surtout lorsqu’il est comparé à celui des rivières des régions voisines du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. 

La diversité de la végétation caractérise le milieu, en raison des écarts d’altitude. À Petite-Rivière-Saint-François, sur le littoral, poussent des pommiers et des érables, mais à une vingtaine de kilomètres à l’intérieur des terres, dans le Parc des Grands-Jardins, il est possible de retrouver un tapis de lichen. En fait, plus il y a d’élévation, plus la végétation s’apparente à celle des latitudes du Grand Nord. À moins de 200 mètres, l’érablière (feuillus) domine. Suit la forêt mixte (feuillus et résineux), entre 200 et 550 mètres. La sapinière (baumier, épinette blanche, bouleau blanc) et la pessière (épinette noire) sont davantage présentes entre 550 et 800 mètres. De cette dernière altitude jusqu’à 950 mètres c’est la taïga, une zone de végétation marquée par les épinettes noires clairsemées et par l’abondance du lichen.

Orignaux, loups, ours noirs, castors, lynx, oies, canards et autres comptent parmi les principales espèces animales. Cette faune se compare à celle des régions environnantes, exception faite de la présence de caribous. Cet animal se nourrit de lichen en hiver, ce qu’il trouve en abondance au nord de la région. Ce troupeau est d’ailleurs le seul, avec celui du Parc de la Gaspésie, à vivre en deçà du 48e parallèle.

Diverses espèces de poissons, dont l’omble de fontaine et l’omble chevalier d’eau douce, aussi appelées truites, peuplent les plans d’eau douce. Les eaux salées du fleuve regorgent de capelans, de harengs, d’éperlans, de plies, d’anguilles et à l’embouchure du Saguenay, de crevettes. Le saumon atlantique fait pour sa part le délice des pêcheurs sportifs.

Des mammifères marins fréquentent l’embouchure de la rivière Saguenay. Parmi eux se retrouvent le petit rorqual, le rorqual commun, le béluga, une petite baleine blanche désignée sous le nom de marsouin par les gens de la région. Cet animal a été longtemps l’objet d’une chasse intensive. Aux 16e et 17e siècles, les Amérindiens apprécient sa chair et les pêcheurs basques venus d’Europe en tirent de l’huile. Puis, pendant des décennies, les habitants de l’île aux Coudres font de la chasse aux bélugas une spécialité locale.

Les bons sols arables sont plutôt rares. Les terres des vallées de La Malbaie et du Gouffre, de l’île aux Coudres et les terres riveraines du fleuve possèdent une certaine valeur, mais celles qui sont en secteur montagneux sont peu propices à l’agriculture. Les variations climatiques importantes qui découlent des écarts d’altitude ont aussi des conséquences pour l’agriculture. Pour illustrer ce phénomène, rappelons que les feuillaisons printanières commencent en mai sur le littoral, mais elles ne débutent que trois semaines plus tard à l’intérieur des terres. De même, la neige arrive plus tôt sur le plateau intérieur que sur la rive du fleuve Saint-Laurent et il y fait toujours plus froid que sur le littoral.

Les ressources minérales du sous-sol de Charlevoix sont plutôt communes : argile, calcaire, feldspath, fer, granit, graphite, sable et graviers. Ces ressources ont eu peu d’effets sur le développement économique régional. 

L’occupation humaine est d’abord le fait d’Amérindiens qui chassent et pêchent sur ce territoire longtemps avant que des Européens s’y établissent sur une base sédentaire. Des fouilles archéologiques révèlent que des Iroquoiens fréquentent la pointe aux Alouettes, dans l’actuelle municipalité de Baie-Sainte-Catherine, entre 1100 et 1350 de notre ère. En 1535, Jacques Cartier note la présence d’Iroquoiens dans les environs de l’île aux Coudres et Samuel De Champlain y signale celle de Montagnais au début du 17e siècle.

Des voyageurs européens ont crû que cette région était presque entièrement inhabitable en raison des contraintes d’une nature exigeante. La colonisation du littoral débute néanmoins après 1680. C’est toutefois entre Baie-Saint-Paul et La Malbaie que se concentre le peuplement. Dans cette partie de la région où le relief est plus doux, l’occupation humaine s’étend jusqu’à une vingtaine de kilomètres à l’intérieur des terres. 

Le milieu social

Avant le 17e siècle, la région est un lieu de passage pour les Amérindiens. Les Montagnais occupent le territoire, mais il est aussi fréquenté par les Etchemins et les Algonquins. Les Amérindiens s’y installent sur une base saisonnière afin d’effectuer des activités de chasse et de pêche. Un des lieux les plus recherchés est l’île aux Coudres où les Amérindiens chassent le béluga ou marsouin dont ils extraient l’huile. La pointe aux Alouettes, près de la rivière Saguenay, Port aux Femmes sur la rivière Noire de même que la rivière Malbaie et la Petite Rivière (Petite-Rivière-Saint-François) comptent parmi les autres sites d’établissements saisonniers des Amérindiens. Ils voyagent également à l’intérieur des terres.

Après 1675, des colons d’origine européenne s’établissent dans la région. Les terres sont concédées selon le mode seigneurial. Deux sites de peuplement s’imposent davantage : celui de la vallée de la rivière du Gouffre et les environs de la vallée de la rivière Malbaie. Le 15 janvier 1636, les terres allant de la rivière Montmorency jusqu’à la rivière du Gouffre sont octroyées au sieur Antoine Cheffault de la Regnardière de la Compagnie des Cent Associés. Les Messieurs du Séminaire de Québec sont les seuls propriétaires de ce territoire à compter de 1668. Ils demeurent propriétaires de la seigneurie de Beaupré jusqu’en 1854, alors que le régime seigneurial est aboli.

En ce qui concerne la seigneurie de La Malbaie, elle s’étend du Cap aux Oies, proche des Éboulements, jusqu’à la rivière Noire, dans l’actuelle municipalité de Saint-Siméon. Le 21 décembre 1653, la seigneurie est accordée à l’ingénieur Jean Bourdon. Se succèdent des seigneurs qui sont incapables d’assurer la survie économique de la seigneurie de La Malbaie qui retournent au Domaine du Roi le 29 octobre 1724. En 1761, deux officiers écossais membres de l’armée britannique reçoivent du général James Murray les terres de la seigneurie de La Malbaie. John Nairne et Malcolm Fraser se partagent le territoire et forment la seigneurie Murray Bay et la seigneurie Mount Murray, situées respectivement à l’est à l’ouest de la rivière Malbaie. 

D’autres seigneuries sont créées sur le territoire ; celle des Éboulements concédée à Étienne Lessart en 1683 devient le fief des Tremblay à compter de 1710 avant de passer en 1810 à Pierre de Sales Laterrière ; la seigneurie de l’île aux Coudres dont Étienne Lessart est le seigneur en 1683, mais dont les droits sont rachetés par les Messieurs du Séminaire de Québec qui conservent la propriété de la seigneurie jusqu’à la fin du régime seigneurial ; la seigneurie du Gouffre, petite enclave non loin de Baie-Saint-Paul, appartient à Pierre Dupré de 1682 à 1723, puis est cédée en 1735 aux co-seigneurs Noël Simard, troisième du nom, et Ignace Gagné. 

L’espace habité de la région de Charlevoix comprend deux milieux de vie plutôt diversifiés : le secteur de la côte marqué par la proximité du fleuve Saint-Laurent et celui de l’arrière-pays situé sur le plateau intermédiaire en territoire montagneux. Il est donc possible d’identifier une première série de localités charlevoisiennes désignées sous le nom des villages de la côte. Dans ce groupe, il faut noter Petite-Rivière-Saint-François, Baie-Saint-Paul, Les Éboulements et l’île aux Coudres, des localités dont le peuplement commence dès le 18e siècle. À l’est de la rivière Malbaie se retrouve une autre série de localités riveraines. Il s’agit de Cap-à-l’Aigle, de Saint-Fidèle, de Saint-Siméon et de Baie-Sainte-Catherine. Ces villages sont formés au 19e siècle et leur population provient essentiellement du débordement de population de la seigneurie de La Malbaie. 

La société charlevoisienne est très homogène sur le plan démographique. Entre 1675 et 1849, Charlevoix reçoit en effet peu d’immigrants. Selon le recensement de 1852, 90 % des femmes et des hommes mariés habitant Charlevoix y sont nés. Les apports extérieurs de population proviennent des régions voisines comme la Côte-de-Beaupré et le Bas-Saint-Laurent. Quelques Écossais s’établissent dans les environs de La Malbaie vers 1760, mais les immigrants venant d’Europe sont très rares. La natalité est élevée avec un taux de 40 à 50 pour 1 000 au 19e siècle. Le taux de mortalité se situe entre 15 et 20 pour 1 000. Les excédents de population sont donc importants, mais l’émigration est forte. 

Le peuplement de Baie-Saint-Paul est modeste avant 1800. Les emplacements agricoles disponibles sont limités. Ce sont surtout les excédents naturels des premières familles établies sur place qui favorisent la croissance démographique. Baie-Saint-Paul compte 208 habitants en 1698, 487 en 1759 et 1291 en 1790. Situés à proximité, les villages de Les Éboulements, de Petite-Rivière et l’île aux Coudres recensent respectivement 545, 174 et 570 habitants en 1790. Plus à l’est, la seigneurie de La Malbaie se développe surtout après la conquête anglaise. Les nouveaux seigneurs des lieux, Nairne et Fraser, concèdent des terres à compter de 1763. Vers 1800, quelque 250 habitants résident à La Malbaie. Par la suite, il y a une forte croissance démographique et, en 1831, La Malbaie atteint 2 802 habitants. 

Dans l’arrière-pays, à l’exception de Saint-Urbain qui est habité dès le 18e siècle, le peuplement est plus tardif que sur la côte. En fait, ce n’est qu’avec le milieu du 19e siècle que naissent des villages comme Saint-Hilarion (canton Settrington), Saint-Placide, Sainte-Agnès, De Sales (Notre-Dame-des-Monts) ou encore Grand-Fonds. Contrairement aux villages de la côte où les terres sont d’une meilleure qualité et où le fleuve permet d’établir une industrie du cabotage et même touristique, les villages de l’arrière-pays ne possèdent que de faibles ressources. L’agriculture y est difficile et ne permet pas de retenir une importante population sur place. On comprend mieux que dès 1829 et encore en 1835, des paysans de Charlevoix demandent par voie de pétition au gouvernement d’ouvrir le Saguenay à la colonisation, ce qui se produit finalement en 1842. Aussi une bonne partie des surplus de population des villages de la côte et même celle qui est établie dans l’arrière-pays se dirige-t-elle vers le Saguenay–Lac-Saint-Jean, dont 75 % du peuplement initial provient de Charlevoix. La région perd aussi une grande partie de ses surplus démographiques au profit de villes canadiennes et des centres industriels de la Nouvelle-Angleterre (États-Unis).

Au 20e siècle, les difficultés de l’économie charlevoisienne ne favorisent pas un accroissement rapide de la population qui atteint son maximum en 1981 avec 32 435 habitants. Depuis, la population connaît une décroissance significative et l’on prévoit qu’il y aura autour de 28 000 habitants en 2016. 

Le sentiment appartenance à une paroisse religieuse se développe surtout à partir du 19e siècle. Avant cette date, des paroisses existent, mais elles sont souvent desservis par des missionnaires et elles n’offrent pas l’important cadre social et communautaire qui sera le leur après 1800. Les villages de Baie-Saint-Paul et de La Malbaie s’imposent comme des chefs-lieux régionaux. Ils deviennent des centres de service où se retrouvent les institutions régionales. Au plan religieux, les curés de Baie-Saint-Paul et La Malbaie possèdent un statut social important, ce qui n’est pas nécessairement le cas des curés des plus petites paroisses. Mais tous les membres du clergé défendent leur point de vue durant la deuxième moitié du 19e siècle, en particulier lors du rattachement de la région au diocèse de Québec. Comme la majorité des Charlevoisiens, ils croient alors qu’avec la colonisation du Saguenay, Charlevoix pourrait être le siège d’un nouveau diocèse. Ce projet est appuyé par les élites de la région. Toutefois, en 1878, le siège du nouveau diocèse est fixé à Chicoutimi et Charlevoix y est rattaché. En 1951, Charlevoix retourne au diocèse de Québec. Sa contribution au diocèse de Chicoutimi aura toutefois été significative : 154 des 628 prêtres ayant œuvré dans ce diocèse entre 1878 et 1951 sont originaires de Charlevoix. 

L’absence de siège épiscopal a des conséquences car la présence d’un évêché favorise l’établissement de communautés religieuses et d’institutions dans le milieu. Aussi les communautés religieuses sont-elles peu nombreuses dans Charlevoix. Un premier couvent ouvre ses portes à Baie-Saint-Paul en juillet 1848 sous la direction des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame qui y accueillent des jeunes filles. En 1876, les Sœurs Grises ou Sœurs de la Charité de Québec établissent un couvent pour jeunes filles à La Malbaie. Il faut toutefois attendre au 20e siècle avant que les Frères Maristes n’ouvrent des collèges pour garçons à La Malbaie et Baie-Saint-Paul. La plus importante communauté religieuse de la région demeure les Petites Franciscaines de Marie dont la maison mère est située à Baie-Saint-Paul. En 1889, l’abbé Ambroise-Martial Fafard, curé de Baie-Saint-Paul, offre à cette communauté de religieuses originaires de Worcester aux États-Unis la direction de l’Hospice Sainte-Anne qu’il vient de fonder. Dès 1891, une entente avec le gouvernement québécois précise la vocation de l’Hospice Sainte-Anne. Dorénavant, il accueillera, selon l’expression de l’époque, des malades mentaux ou aliénés pour lesquels le gouvernement accorde un montant de 50 $ par bénéficiaire. L’Hospice Sainte-Anne sera à l’origine du Centre Hospitalier de Charlevoix, géré depuis 1973 selon les normes fixées par le gouvernement du Québec. À La Malbaie, malgré l’initiative du curé Marcellin Hudon en 1918, un véritable hôpital n’est créé qu’en 1942 sous la direction des Sœurs de la Charité de Québec.

L’administration judiciaire constitue un autre aspect du cadre institutionnel des villages de La Malbaie et de Baie-Saint-Paul. La Malbaie obtient un district judiciaire comprenant Charlevoix et la Côte-Nord en 1857. Dès 1859, à partir des plans de l’architecte F. P. Rubidge, la construction du palais de justice et de la prison de La Malbaie débute. L’édifice n’est toutefois terminé qu’en 1863. Les cas d’emprisonnement sont plutôt rares : jusqu’en 1900, la prison n’accueille que 117 prisonniers. Toutefois, en 1869, la pendaison d’Eugène Poitras reconnu de meurtre défraie la chronique. Mais, il s’agit de la seule pendaison dans le district judiciaire du Saguenay à La Malbaie. Baie-Saint-Paul doit se satisfaire d’une cour de circuit. Le conseil de comté fait toutefois ériger en 1905 un édifice communément appelé palais de justice de Baie-Saint-Paul. 

L’activité économique et le secteur des services contribuent à la venue de professionnels qui s’installent principalement sur la rue Saint-Étienne à La Malbaie et sur la rue Saint-Jean-Baptiste à Baie-Saint-Paul. Notaires et avocats s’établissent de préférence dans ces deux localités, les plus importantes au plan démographique. C’est aussi le cas des médecins qui, grâce à une formation acquise dans les facultés de médecine à partir du milieu du 19e siècle, s’imposent davantage dans le milieu aux dépens des guérisseurs de tout acabit qui dominaient jusqu’alors. Certains professionnels s’impliquent dans la politique et deviennent maires ou encore députés à l’issu de campagnes électorales très chaudement disputées. 

Charlevoix est longtemps présenté comme une région isolée. Pourtant, la proximité du fleuve a permis aux Charlevoisiens de développer une industrie de cabotage et de se rapprocher du monde extérieur. La construction d’un chemin terrestre dans la région tarde toutefois. Tout au long du 19e siècle, l’état lamentable de cette voie de communication mécontente les voyageurs. Ce n’est qu’avec le 20e siècle, surtout après 1970, que le chemin des Caps devient une route moderne fort convenable. Le projet de relier Charlevoix à Québec par chemin de fer suscite l’intérêt dès le 19e siècle. Il amène aussi de nombreux débats. Certains, comme le député libéral fédéral Charles Angers, y voient un « chemin de fer dans la lune ». D’autres, par contre, entretiennent l’espoir d’un lien direct avec le Saguenay et le Lac-Saint-Jean. Finalement, l’entrepreneur et député Rodolphe Forget commence la construction du chemin de fer à partir de 1905, mais il faut attendre au 25 juillet 1918 avant que ne soit inauguré le service à destination de Baie-Saint-Paul. Moins d’un an plus tard, soit le 1er juillet 1919, cinq mois après la mort de Rodolphe Forget, un premier train en provenance de Québec entre en gare à La Malbaie. Faute de rentabilité, le service quotidien est interrompu dès novembre 1919. La ligne ferroviaire La Malbaie-Québec met fin à son service de transport des voyageurs en 1977. À prime abord, dans les années 1920, c’est l’Hospice Sainte-Anne qui semble le plus grand bénéficiaire du chemin de fer. L’État lui envoie davantage de patients, ce qui explique que le nombre de malades hébergés à l’hospice passe de 113 en 1911 à 709 en 1931. À partir de 1895, l’installation par Hector Lemieux d’un service téléphonique dans quelques localités de Charlevoix contribuent également à atténuer les effets de l’isolement. Au début du 20e siècle, le téléphone dessert la majorité de localités de Charlevoix et même l’île aux Coudres. Il faut toutefois attendre en 1907 avant que la compagnie Bell établisse un lien direct entre Québec et le réseau de la compagnie Charlevoix-Saguenay.

Jusqu’au début du 19e siècle, Charlevoix se situe aux confins des terres habitées. Durant cette période, de rudes épreuves frappent les gens de la région. L’été 1759 est marquée par l’invasion anglaise. De nombreux résidents de la région, dont les habitants de l’île aux Coudres, se réfugient dans des abris de fortune construits en forêt près de Baie-Saint-Paul. Après la capitulation de Québec, le 13 septembre 1759, les habitants retrouvent la paix et reconstruisent ce qui a été détruit. Une terrible épidémie, le mal de la Baie-Saint-Paul, frappe dans la région entre 1782 et 1796. À Baie-Saint-Paul, 296 cas sont traités. Cette maladie serait une forme de syphilis s’apparentant au mal écossais aussi nommé sibbens. Cet étrange mal disparaît complètement avec la fin du 18e siècle. En 1791, un foudroyant tremblement de terre touche la région. Le curé de Baie-Saint-Paul invite ses paroissiens au calme et à la prière. Mais il n’y a pas que des épreuves. À partir de 1800, les paroisses se forment et des curés résidents desservent chacune d’elles. L’esprit communautaire favorise l’entraide et l’on effectue des corvées lorsque des travaux importants le nécessitent : entretien du terrain de l’église, installation de clôtures, reconstruction de maisons incendiées. Les liens familiaux sont serrés dans Charlevoix. Les relations entre diverses paroisses se créent. Une véritable culture de rapprochement se tisse dans la région et malgré des conditions de vie parfois difficiles, les Charlevoisiens ont appris à domestiquer un milieu social et géographique en apparence difficile et quelque peu rebutant. 

L’économie régionale

La région de Charlevoix ne possède pas de grandes ressources naturelles permettant de maintenir une activité économique importante. C’est le cas de la pêche, malgré la proximité du Saint-Laurent et la présence de nombreux lacs et rivières. Les Charlevoisiens qui pratiquent une pêche commerciale se rendent hors de la région. Pour la majorité, le pêche est une activité saisonnière dont le produit est destiné à la consommation locale et familiale. Des pêches à fascines (filets attachés à des pieux) sont installées près de la rive du fleuve. Elles se retrouvent dans toutes les localités riveraines de Charlevoix. La pêche est aussi une activité de loisir. Au 19e siècle, des clubs privés sont établis dans le secteur des Grands Jardins. Cette activité favorise la venue de touristes dans l’arrière-pays de Charlevoix. 

La pêche aux marsouins ou béluga fait partie des traditions locales, notamment à l’île aux Coudres. En 1728, le Séminaire de Québec émet des actes de concession favorisant l’établissement de résidents habilités à utiliser des pêches fixes et à capturer des marsouins. La pêche aux marsouins s’effectue dans d’autres secteurs : à La Malbaie, à la pointe aux Alouettes près de Tadoussac, au Cap aux Oies et à l’Échafaud aux Basques. La pêche demeure une activité très prisée par la population locale. Les habitants de La Malbaie pêchent au flambeau dès le 18e siècle et cela provoque même un conflit avec le seigneur de Murray Bay qui désire se réserver une partie des prises. La résistance des habitants de La Malbaie ne sera levée que par la médiation du curé de l’endroit, l’abbé Joseph Keller. La chasse aux animaux sauvages est aussi répandue dans la région. Au 17e siècle, les fourrures et particulièrement celle du castor intéressent les marchands européens et des Amérindiens viennent à Baie-Saint-Paul pour échanger des peaux. Cette activité commerciale cesse bientôt d’être rentable. Les habitants sédentaires de Charlevoix se contentent de chasser l’orignal, le cerf et le caribou, surtout pour les besoins de l’alimentation familiale.

Sur le plan forestier, les pins rouges de Baie-Saint-Paul intéressent les entrepreneurs dès le printemps 1670, alors que l’intendant Jean Talon se rend sur place avec un maître-goudronnier. L’expérience de la Goudronnerie s’avère toutefois décevante car des luttes de pouvoir retardent le développement de l’entreprise. La production de goudron a de plus des effets négatifs sur le milieu écologique et elle provoque la disparition progressive des grands pins rouges de Baie-Saint-Paul. La coupe de bois de mâture s’effectue aussi à Baie-Saint-Paul et à La Malbaie aux 17e et 18e siècles. Cette activité est toutefois délaissée, faute de rentabilité. Il y a également dès le 18e siècle de nombreux moulins à scie sur le territoire de Charlevoix. Déjà, il faut davantage se tourner vers l’arrière-pays pour trouver du bois car la forêt située sur la côte est décimée. La région du Saguenay avec son potentiel forestier permet à près de 800 travailleurs de Charlevoix d’y gagner leur vie à la fin des années 1830. En 1837, la Société des Vingt et un est créée à La Malbaie en vue d’ouvrir le Saguenay à la colonisation. Toutefois, cette Société, appuyée par la famille Price, s’intéresse bien plus aux pinèdes du Saguenay. 

Le développement forestier est ralenti dans Charlevoix par les difficultés de communication, la faiblesse du potentiel hydroélectrique et les réserves forestières limitées. Rodolphe Forget fonde pourtant en 1909 la East Canada Power and Pulp Company qui deviendra plus tard la papetière Donohue. La production de l’usine est fréquemment interrompue en raison du manque d’eau et la rentabilité de l’entreprise s’en ressent. En 1927, l’usine de la chute Nairne est transformée en papeterie, ce qui assure son avenir et amène la création de la municipalité de Clermont en 1935. En 1960, la Donohue embauche 460 employés à son usine de Clermont et 90 % du bois coupé annuellement dans Charlevoix est destiné à cette compagnie. Au début des années 1970, la Donohue emploie 620 employés en usine et 350 en forêt. Passée sous la contrôle de la Société générale de financement du gouvernement du Québec (SGF) en 1971, la Donohue est cédée à Québecor en 1987. En 2000, la compagnie Donohue est vendue à l’Abitibi-Consolidated. 

Le potentiel des terres de Charlevoix apparaît vite peu important. Les terres de la vallée du Gouffre sont rapidement occupées de même que celles de la vallée de la rivière Malbaie. Au début du 19e siècle, les meilleures terres arables de Charlevoix sont déjà mises en culture. Il s’y pratique une agriculture de subsistance répondant aux besoins des familles d’agriculteurs. Le blé est semé en grande quantité, de même que l’avoine et les pois. Les familles cultivent aussi le lin afin de confectionner leurs vêtements. Tout au cours du 19e siècle et même au début du 20e siècle, les agriculteurs de Charlevoix subissent de mauvaises récoltes en raison des sécheresses prolongées ou encore des pluies trop abondantes. Heureusement, les familles peuvent compter sur diverses productions saisonnières et autres sources de revenus, dont la culture de la pomme de terre, le lait produit par la ferme familiale, l’élevage de la volaille, les fruits et les légumes du jardin, la pêche à l’anguille, l’élevage du renard, la chasse au gibier sauvage, la vente de produits d’artisanat, les revenus provenant de l’érablière, de la cueillette de bleuets et de la gomme de sapin. Charlevoix est aussi l’un des premiers comté à développer l’élevage des animaux à fourrure. En 1927, la vente de fourrures, notamment celle du renard, rapporte plus de 350 000 $ dans le comté. Ce marché s’effrondre toutefois avec la crise économique des années 1930.

Après 1880, l’industrie laitière progresse avec l’implantation de fabriques de fromage. À La Malbaie, la présence de 5 000 à 10 000 villégiateurs au cours de la période estivale assure un débouché pour le lait nature. Mais dans les premières décennies du 20e siècle, l’industrie laitière est déjà en déclin car les pâturages de Charlevoix ne sont pas très vastes et plutôt pauvres. L’élevage de dindon, moins exigeant que la production de lait, s’impose au début du 20e siècle et sous l’étiquette « Murray Bay Turkey » cette production se vend même aux États-Unis. À l’île aux Coudres, des agriculteurs, ont fait de la culture de la pomme de terre une spécialité. L’existence de sociétés d’agriculture et de cercles agricoles permet une certaine modernisation de l’agriculture de la région. Mais, au milieu du 20e siècle, l’agriculture de Charlevoix fait face à d’importantes difficultés : faible rendement en foin, pâturages plutôt pauvres, peu d’ensilage. Entre 1951 et 1971, le nombre de ferme diminue du tiers dans Charlevoix. En 1996, seulement 247 fermes sont recensées dans Charlevoix. Même si l’élevage porcin connaît aujourd’hui un essor, le développement d’entreprises agricoles de grande envergure ne s’effectue pas facilement dans Charlevoix. 

Le sous-sol de Charlevoix ne possède pas de grandes richesses. En 1663, suite à un important tremblement de terre, l’intendant Talon croit au potentiel minier de Baie-Saint-Paul. Mais il ne s’ensuit aucune exploitation importante. Au 19e siècle, une mine de fer est exploitée à Saint-Urbain. Cette exploitation débute en 1872, mais elle a déjà cessé en 1874. L’exploitation du fer intéresse de nouveau des entrepreneurs au début du 20e siècle. Le nombre de tonnes de minerai extrait demeure faible, puis toute exploitation cesse. En 1957, la General Electric souhaite relancer l’exploitation du fer à Saint-Urbain, mais le projet sombre et en 1966 tout projet d’exploitation du minerai de fer à Saint-Urbain est définitivement abandonnée. Le mica fait aussi l’objet pendant quelques décennies d’un développement minier dans le secteur du Pied des Monts, non loin de Sainte-Agnès. La tourbe extraite au centre de l’île aux Coudres devient, pour sa part, une activité économique permanente à partir des années 1940 et jusqu’à nos jours.

Au 19e siècle, la construction de goélettes connaît une importante croissance. Cette activité économique conserve son importance jusqu’au milieu du 20e siècle. De 1860 à 1959, plus de 264 goélettes sont construites dans les chantiers de la région. En 1962, 53 des 102 petits transporteurs recensés au Québec se retrouvent dans Charlevoix. Incapable de concurrencer les grands transporteurs maritimes dans les années 1960, l’industrie du cabotage disparaît et aussi celle de la construction des goélettes. C’est en effet en 1959 qu’un chantier naval situé à Petite-Rivière met à l’eau la goélette Jean-Richard, la dernière à être construite dans la cette région.

Dans la deuxième moitié du 19e siècle, la villégiature et le tourisme prennent une importance considérable pour l’économie de Charlevoix. Pointe-au-Pic acquiert une renommée internationale comme site de villégiature, bénéficiant de la célèbre Croisière de Saguenay opérée par la Richelieu & Ontario Navigation, puis par la Canada Steamship Lines. Après 1850, des hôtels, des auberges et des villas sont construits dans le secteur de Pointe-au-Pic. Parmi les retombées économiques découlant de la villégiature et du tourisme, il faut compter une plus grande production de denrées agricoles, le vente de produits d’artisanat locaux, le travail saisonnier d’habitants de la région comme guide en forêt ou encore comme jardinier ou femme de chambre dans les villas du boulevard des Falaises à Pointe-au-Pic. 

Le Manoir Richelieu érigé en 1898 est au cœur de la Croisière du Saguenay. Cet hôtel incendié en 1928 et reconstruit en 1929 accueille des visiteurs prestigieux. La vente d’artisanat connaît une grande popularité chez les villégiateurs. L’entreprise Little Shop de Pointe-au-Pic, propriété d’Alcide Bergeron, emploie 32 ouvrières en 1933. Cette manne saisonnière en vient toutefois à décliner. En 1965, alors que prend fin la croisière du Saguenay, l’industrie touristique régionale paraît au bord de l’abîme. Les initiatives d’entrepreneurs locaux regroupés sous le vocable d’un syndicat d’initiatives touristiques et à compter de 1977 de l’Association touristique de Charlevoix entreprennent alors de relancer l’industrie touristique régionale. Des actions importantes sont prises afin d’attirer les visiteurs : fin de la prohibition sur l’alcool dans les localités de Charlevoix, mise en place d’un réseau d’auberges et d’accueil touristique, construction d’équipements pour les sports d’hiver comme les centres de ski de Grand Fonds et du Massif à Petite-Rivière. Entre 1980 et 1986, la série Le Temps d’une paix diffusée à Radio-Canada suscite un grand intérêt et amène un flot touristique important dans Charlevoix. En 1988, la région est reconnue comme Réserve Mondiale de la Biosphère par l’UNESCO. Afin d’élargir la clientèle touristique régionale, le Casino de Charlevoix ouvre ses portes en 1994. Pourtant l’industrie touristique demeure précaire : manque de neige en hiver, fortes pluies en été, difficultés d’accéder à l’assurance emploi pour les travailleurs saisonniers provoquent autant d’incertitude en ce domaine. Comme le reste de l’économie charlevoisienne, l’activité touristique ne suffit pas à retenir sur place les jeunes et les travailleurs.

Une culture régionale

Charlevoix possède une culture régionale reconnue. Cette originalité culturelle naît d’une expérience locale riche de près de trois siècles d’enracinement, mais elle se façonne aussi à partir du regard des estivants et des touristes depuis le 19e siècle. Culture locale et culture de l’Autre se croisent ainsi et produisent un échange culturel riche et ininterrompu composant depuis deux siècles le caractère culturel spécifique du milieu charlevoisien. 

La culture locale des charlevoisiens prend forme dans divers milieux naturels. Il y a d’abord le milieu maritime où sont produites les goélettes de Charlevoix reconnues pour leur efficacité à travers le Québec. L’espace terrien ou agricole se caractérise par une agriculture de subsistance où les membres de la familles doivent tous contribuer. Il y a finalement le milieu forestier et de nombreux hommes de Charlevoix séjournent dans des camps de bûcherons une bonne partie de l’hiver dans des conditions parfois difficiles. La culture locale est rythmée par les travaux et les jours mais aussi par des temps de loisir. La période des fêtes de Noël et du Jour de l’An est propice aux réjouissances et marque la fin du cycle agricole. La fête de la mi-carême célébrée par de joyeux déguisements permet à la population d’entrecouper de festivités la rigoureuse période du carême. Du printemps à l’automne, le travail de la terre reprend le dessus et il y a peu de place pour les loisirs. En hiver, dans les camps de bûcherons, les compagnies forestières engagent des conteurs afin de distraire les hommes et d’éviter qu’ils quittent les lieux ou « jumpent ».

La maison du paysan charlevoisien est plutôt modeste et son ameublement pauvre. Quelques caractéristiques sur le plan architectural se démarquent : il y a plusieurs bâtiments agricoles adjacents à la résidence principale surtout au 19e siècle ; certaines granges possèdent un abat-vent ou encorbellement, une technique héritée d’immigrants allemands. Les paysans charlevoisiens prennent grand soin de leurs vêtements de fabrication artisanale le plus souvent, mais aussi achetés à l’extérieur de la région dès le milieu du 19e siècle. L’alimentation est simple : le pain est de fabrication domestique, le lait provient des vaches de la ferme familiale, les légumes du jardin comme la pomme de terre et la gourgane sont très appréciées. Jusqu’au milieu du 19e siècle, les conditions de vie sont difficiles. Les soins de santé sont peu présents et les guérisseurs s’imposent dans le milieu. De nombreuses épidémies frappent la région. Celles de picote ou variole déciment plusieurs villages. Il y a de fréquents décès d’enfants en bas âge, mais également des accidents reliés au travail et des noyades à l’occasion de déplacement sur le fleuve. 

Quelques Charlevoisiens deviennent des héros populaires à cause de leurs exploits remarquables et il faut signaler à ce chapitre l’homme fort Jean-Baptiste Grenon et sa fille Marie, Alexis Lapointe dit le Trotteur, Flavien Boily le Ramancheur et aussi Louis L’Aveugle, un chanteur folklorique itinérant dont les complaintes ont été enregistrées par le folkloriste Marius Barbeau en 1916. Il y a aussi une élite culturelle dans Charlevoix au 19e siècle. Il faut signaler Laure Conan ou Félicité Angers, écrivaine née à La Malbaie en 1845 et son amoureux éconduit Pierre-Alexis Tremblay, célèbre homme politique originaire de Charlevoix dont le nom reste associé au procès de l’influence indue de 1876. Quelques journaux régionaux existent : l’Écho des Laurentides et le Courrier de Charlevoix au 19e siècle, le Confident de la Côte-Nord au 20e. Le presbytère de la paroisse est au centre du Congrès de la Baie-Saint-Paul réunissant vers 1880 des prêtres auteurs de poèmes. Parfois difficile, la vie culturelle des Charlevoisiens d’hier prend forme dans un quotidien exigeant, mais n’en demeure pas moins vivante et animée. 

Au 19e siècle, la Croisière du Saguenay amène des touristes dans la région. Le secteur de Pointe-au-Pic connaît une activité touristique importante à partir de ce moment. Les estivants, touristes et villégiateurs profitent du cadre naturel champêtre de Charlevoix. Ils construisent de nombreuses villas autour du Boulevard des Falaises à Pointe-au-Pic, notamment. Ils séjournent aussi dans des auberges et des hôtels, dont le Manoir Richelieu qui s’impose comme le plus beau joyau. 

Parmi les activités des villégiateurs, il faut signaler les bains de mer dans le fleuve, les pique-niques dans l’arrière-pays, le golf au Murray Golf Club fondé dès 1876, la pêche et la chasse. Les touristes et les villégiateurs recherchent aussi des pièces d’artisanat produites dans le milieu et une industrie artisanale se développe dans la région. La production artisanale se vend dans des boutiques proches du quai de Pointe-au-Pic, mais également au Manoir Richelieu ou sur les bateaux de la Croisière du Saguenay. Les visiteurs sont aussi amateurs de pièces du mobilier domestique charlevoisien. Les tables, buffets, causeuses et chaises berçantes attirent leur attention. À Pointe-au-Pic, la compagnie Joseph-Bouchard et Fils devient une importante fabrique de meubles dont la clientèle se recrute auprès des villégiateurs et touristes. 

Le folklore oral des Charlevoisiens suscite l’intérêt de folkloristes québécois comme Marius Barbeau et Luc Lacourcière qui recueillent des contes et des chansons auprès d’informateurs locaux. Des écrivains nationaux comme Félix-Antoine Savard, auteur du roman Menaud Maître-Draveur et curé-fondateur de Clermont, ainsi que la romancière Gabrielle Roy, résidente d’été à Petite-Rivière-Saint-François, marquent aussi la culture régionale. Sous le regard de l’Autre, la culture locale de Charlevoix se transforme devenant un objet de curiosité et d’intérêt économique sous la demande de la clientèle touristique et estivante. 

Pourtant, les institutions culturelles régionales sont peu nombreuses dans Charlevoix. Depuis 1960, quelques grandes institutions culturelles ont vu le jour dans le milieu : le Domaine Forget, le Centre d’exposition de Baie-Saint-Paul, le Musée de Charlevoix. Ces établissements rejoignent plus spécialement une clientèle touristique. Sur le plan régional, les pôles culturels de La Malbaie et de Baie-Saint-Paul sont en déclin. Le cadre institutionnel y est limité. Le milieu paroissial d’autrefois n’est remplacé par aucune autre structure importante. L’activité professionnelle sur le plan culturel est donc peu présente dans le milieu. Deux télévisions communautaires et un poste de radio régional (CIHO) desservent la région, mais Charlevoix n’accueille en permanence sur son territoire aucun média national. Par ailleurs, Radio-Canada a choisi Charlevoix pour le tournage du téléroman Le Temps d’une paix et Pierre Perrault a réalisé sa célèbre trilogie cinématographique (Pour la suite du monde, Les voiture d’eau, Le règne du jour) à l’île aux Coudres. La Société d’histoire de Charlevoix existe depuis 1984 afin de mettre en valeur le patrimoine régional. Mais Charlevoix a bien changé et des personnages folkloriques comme Small Pet, sorte d’Alexis Le Trotteur du 20e siècle, et Célestin Bilodeau, trappeur de l’arrière-pays, n’ont aucunement l’envergure folklorique des héros populaires d’autrefois. Soumise au regard de l’Autre, la culture locale de Charlevoix semble se chercher au début du 21e siècle. 

À l’aube du 21e siècle

Charlevoix est une région à l’économie fragile et où population est en décroissance. La richesse de sa culture régionale assure toutefois sa renommée et son statut de lieu touristique est largement reconnu. Mais, à l’aube du 21e siècle, ce modeste territoire pourra-t-il conserver son identité propre ? Sa culture sera-t-elle progressivement effacée dans les puissants courants de la mondialisation ? Sans doute pas puisque la région de Charlevoix fascine depuis si longtemps. La majesté de son paysage ne pourra que s’imposer encore au regard de ses habitants et des visiteurs de l’avenir. À cause de cela, Charlevoix saura sans doute demeurer un lieu spécifique significatif et si attirant au cœur du pays québécois. 

Serge Gauthier, Normand Perron 2002  

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