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Le parler populaire
Thème : Culture

Le parler populaire de Charlevoix. Quelques expressions

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 19 juin 2002

 

Dès 1917, dans son article intitulé « Au pays des gourganes » paru dans les Mémoires de la Société Royale du Canada, le folkloriste Marius Barbeau s’intéresse au parler populaire des Charlevoisiens. Il n’hésite pas à affirmer qu’il est possible, lors d’enquêtes effectuées sur le terrain dans cette région, de retracer plusieurs expressions originales qui ne sont pas en usage dans d’autres espaces régionaux du Québec. Cette constatation faite au début du XXe siècle confronte l’opinion de plusieurs historiens québécois qui, à l’instar notamment du chanoine Lionel Groulx, expriment plutôt l’avis que le français parlé au Québec témoigne d’une uniformité certaine d’une région à l’autre. Finalement, grâce à l’apport des ethnologues des Archives de Folklore comme Luc Lacourcière, la thèse de Marius Barbeau s’impose: les enquêtes de folklore réalisées auprès d’informateurs sur le terrain régional québécois dans les années 1940-50 par l’Université Laval confirment que d’un espace régional à l’autre les expressions populaires sont diverses et que certaines d’entre elles demeurent d’un usage strictement local. 
 
Qu’en est-il spécifiquement pour Charlevoix? L’étude du parler populaire n’est pas qu’un étalage de mots pittoresques. Il faut pouvoir isoler les expressions et les documenter suffisamment afin de décrire un mot d’usage populaire ou encore pour considérer qu’il s’agit d’un parler populaire régional. Souvent, ce travail n’est pas fait et le risque de folklorisation est grand. Sur le fond, le linguiste Thomas Lavoie constate que pour Charlevoix outre quelques expressions locales : « les origines françaises du parler de Charlevoix sont, à peu de choses près, les mêmes que celle trouvées pour l’ensemble du Québec ». Donc les racines françaises sont les mêmes qu’ailleurs mais il demeure des expressions locales dont le caractère est régional. L’uniformité dans une certaine diversité en quelque sorte et voilà de quoi réconcilier les historiens et les folkloristes du début du XXe siècle!
 
Bien sûr, les expressions populaires utilisées dans Charlevoix ne sont pas toutes spécifiques. Plusieurs d’entre elles se retrouvent notamment au Saguenay-Lac-Saint-Jean dont la population se compose à l’origine de personnes en provenance de Charlevoix et qui ont tout simplement apporté avec eux leurs expressions locales. Il est toutefois possible d’isoler des expressions populaires bien typiques de Charlevoix. Nous en soumettons ici une courte liste.
 
Chouenne: sans doute un des plus beaux mots du parler populaire de Charlevoix. Le cinéaste-poète Pierre Perrault en a fait le titre d’un de ses recueils de poèmes. La chouenne est une histoire compliquée ou longue. Elle peut aussi qualifier une personne qui a du bagout ou qui conte des histoires « un chouenneux » ou une « chouenneuse ». Plus spécifiquement, une chouenne est une affirmation qui risque d’être fausse ou peu crédible « compter des chouennes ».
 
Mal-avenant : Personne jugée malcommode ou énervante. Souvent un enfant ou un adolescent dissipé ou encore une personne portée à taquiner « un grand mal-avenant ».
 
Faire simple: avoir l’air idiot: « tu as fais simple » ou « avoir un air simple », c’est-à-dire être jugé niais ou un peu ridicule.
 
Bigoune : faire les choses de manière compliquée « cette personne a toute une bigoune! ».
 
Menique : expression issue de la région de La Malbaie désignant des gens pauvres à l’allure misérable ou encore excentrique : « ce sont des meniques ». Parfois accolée à un secteur pauvre de la région : « des meniques de la route de Sable ».
 
Bicher: embrasser ou caresser « bicher un bébé »
 
Le Nichet: le dernier de la famille.
 
Les Agès : ce mot désigne les environs de la maison ou encore l’intérieur de celle-ci. « tu t’accoutumeras aux agès de la maison » ou encore « quand tu en connaîtras les agès ».
 
Autrefois, les anciens Charlevoisiens utilisaient le mot point à la place de pas : « Il n’y en a point » pour il n’y en a pas ou encore : « ces gens ont point raison » pour dire qu’ils ont tort.
 
Lorsque qu’une personne était sympathique, l’expression courante était : « il ou elle est d’adon ». Lorsque le temps des fréquentations survenait les pères de famille pouvaient inviter les bons prétendants à veiller en leur disant « mes filles sont ben d’adon ».
 
Toutefois, si au temps de Marius Barbeau ces expressions populaires étaient toujours d’usage courant, il est plus difficile de les retrouver de nos jours. La scolarisation plus généralisée de la population a uniformisé davantage le niveau de la langue parlée dans les régions aussi bien pour Charlevoix qu’ailleurs au Québec. Pourtant, en prêtant bien l’oreille, certaines personnes âgées ou même plus jeunes continuent encore d’utiliser des expressions du parler populaire charlevoisien. Même en notre époque où le langage et les pratiques culturelles s’uniformisent, certains de ces mots suaves résistent au temps pour notre plus grand bonheur!
 
 
Bibliographie :

Barbeau, Marius. « Le pays des gourganes », Mémoire de la Société Royale du Canada, Série 3, 11, 1, 1917, p. 193-225.
Lavoie, Thomas. Enquête sur les parlers français de Charlevoix, du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. Chicoutimi, Université du Québec, 1972. i-iv, 225 p.
Perrault, Pierre. Chouennes : poèmes 1961-1971. Montréal, Hexagone, 1975. 317 p.
Perron, Normand et Serge Gauthier. Histoire de Charlevoix. Québec, IQRC-PUL, 2000. 387 p. (Voir pages 218 et 219 pour le parler populaire de Charlevoix.)
 
 
 
 
 
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