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Flavien Boily dit le Ramancheur
Thème : Société et institutions

Flavien Boily dit le Ramancheur (1839-1920), un soigneur du peuple

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 27 mars 2002


Flavien Boily dit le Ramancheur est issu d’une famille de forgerons. Comme les forgerons sont souvent appelés à replacer les os des animaux et plus particulièrement ceux des chevaux, il va presque de soi qu’ils interviennent aussi auprès des humains. Ils deviennent alors des ramancheurs et la population leur reconnaît le « don » de replacer les os défaits. 
 
Dans la société traditionnelle du 18e et du 19e siècle dans Charlevoix, la présence de médecins est presque inexistante. Ce sont les ramancheurs qui replacent les os défaits. Ce « don » est associé à la famille Boily dans Charlevoix durant près de trois siècles, soit de du 17e siècle avec la venue à Baie-Saint-Paul de l’ancêtre Guillaume Boily forgeron, jusque vers 1980 alors que le dernier ramancheur Boily de Charlevoix cesse sa pratique dans la paroisse des Éboulements. Il y a aussi des ramancheurs de la famille Boily qui exercent leur art au Saguenay-Lac-Saint-Jean, à Québec, à Montréal. Les Boily constituent une des plus importantes familles de ramancheurs québécois.
 
Flavien Boily devient le premier ramancheur de cette famille à vivre presque exclusivement de ce métier. Il naît à Sainte-Agnès le 18 mars 1839. Il ne fréquente pas l’école très longtemps mais il sait lire et écrire. Il épouse Rose-Délima Potvin qu’il surnomme la « rougette » à cause de la couleur de ses cheveux, le 17 juillet 1860. Flavien Boily est un cultivateur. Il délaisse bientôt sa terre pour se rendre au chevet des malades car ses services sont si recherchés qu’il ne cesse de se déplacer afin de répondre aux demandes. Ses prouesses éblouissent les Charlevoisiens. Personne n’ose remettre ses talents en question car Boily utilise alors une méthode peu banale afin de justifier ses connaissances: il désarticule un chat au complet pour ensuite lui replacer les os sans tarder, à tel point que la pauvre bête soumise à ce traitement n’a presque pas le temps de s’en rendre compte! D’ailleurs le jugement populaire sur la pratique de Flavien Boily est incontestable et les témoins oculaires en attestent sans hésitation : « de ce que Boily ramanchait, ça restait pas infirmes! », disent-ils unanimement.
 
La pratique du ramancheur tient beaucoup à sa dextérité manuelle. Il opère surtout dans les cas de luxations, d’entorses ou de fractures. Pour les maux « de l’intérieur du corps », selon l’expression de l’époque, le ramancheur reconnaît ses limites et laissent à d’autres guérisseurs le soin de ces malades. Le ramancheur Flavien Boily ne prescrit pas de remèdes. Après le replacement des os, il place simplement un bandage d’éclisses formé par quelques morceaux de bois, le tout bien enveloppé autour du membre blessé. Cette pratique est fort ancienne. Les traités du médecin grec Hippocrate (377 av. Jésus-Christ) relatent une pratique tout semblable à celle de ce ramancheur. Flavien Boily a appris de manière empirique ce que d’autres étudient dans les facultés universitaires. 
 
Une caractéristique reconnue de Flavien Boily est sans aucun doute sa joie de vivre. Afin de mieux faire « passer le mal » comme il disait, il prend l’habitude de divertir ses patients en leur racontant des blagues le plus souvent grivoises. Aidé en cela par sa laideur naturelle, il n’hésite pas à faire des grimaces et à se démonter le visage en cherchant l’effet comique. Bientôt, les grands blessés oublient leur mal et Flavien Boily parvient à les en délivrer sans trop de douleurs.
 
Les histoires racontées au sujet de Flavien Boily sont nombreuses. Souvent le ramancheur s’amuse à replacer les membres des « belles créatures » et à faire rire ses spectateurs avec cela. Toutefois, sa pratique de ramancheur devient l’objet de poursuites alors que les médecins se font plus nombreux dans Charlevoix. Les juges parviennent difficilement à le faire condamner car au besoin Flavien Boily n’hésite pas à désarticuler un chat devant ses accusateurs médusés par sa connaissance des os et par son savoir-faire. Même certains prêtres réfractaires sont confondus :
 
« C’était un curé de par chez-nous, il n’avait pas confiance dans les ramancheurs. C’était un vieux prêtre, puis il prêchait contre ça... Un bon coup, il s’était tout démanché le « cercle du cou ». Il va voir les médecins, mais ça revenait pas. Il s’est décidé quand il a vu l’extravagance, il était pour rester le cou croche! Il a fait venir le Ramancheur. Boily lui a dit : « Il me prend une envie de pas vous ramancher. Vous avez tellement prêché contre moi ». Mais là le curé suppliait, il disait qu’il le ferait plus. Boily l’a ramanché et au bout de trois jours le curé menait puis son cou était bien droit. »  (Collection Serge Gauthier. Informateur: Léonard Gauthier, 53 ans, de Notre-Dame-des-Monts. Enquête effectuée le 24 août 1979.)
 
À la fin de sa vie, Flavien Boily s’installe à Saint-Irénée. Un de ses fils, Louis-Émilien, devient prêtre. Il a pu poursuivre des études grâce à l’argent recueilli par son père. Pourtant, Flavien Boily, selon la tradition, ne demande jamais d’argent à ses patients car « on donnait ce qu’on voulait ». Les malades guéris par Flavien Boily se montrent toutefois si généreux que Flavien Boily connaît une certaine aisance dans sa vieillesse. Il continue de replacer les os jusqu’à la fin de sa vie avant qu’il ne décède des suites d’une longue maladie. Ce jour-là, il fait encore preuve d’humour :
 
« La dernière journée qu’il est venu pour mourir, ils lui ont fait la barbe et il a dit: « Mettez-moi ma chemise blanche puis une belle cravate, il va y avoir de belles femmes en haut! » La dernière journée! Il a toujours fait des farces de même! »  (Collection Serge Gauthier. Informateur: Pantaléon Bouchard, 88 ans, de Saint-Irénée. Enquête effectuée le 5 novembre 1979.)
 
Flavien Boily Le Ramancheur meurt le 4 décembre 1920 à l’âge de 81 ans. Son service funèbre est présidé par son fils et une assistance nombreuse remplit l’église de Saint-Irénée pour cette triste circonstance. À partir de cette journée, un dicton populaire apparaît et il subsiste longtemps dans Charlevoix : « Maintenant que Flavien Boily est mort, on va tous rester infirmes! » Une preuve de plus du respect suscité chez dans le peuple par la pratique du joyeux ramancheur Flavien Boily!
 
 
Bibliographie :
Gauthier, Serge. Les ramancheurs Boily au Québec. Mémoire de Maîtrise (Ethnologie historique), Université Laval, 1982. 86 p.
 
 
 
 
 
 
 
Flavien Boily dit le Ramancheur (1839-1920), un soigneur du peuple
 
Flavien Boily dit le Ramancheur est issu d’une famille de forgerons. Comme les forgerons sont souvent appelés à replacer les os des animaux et plus particulièrement ceux des chevaux, il va presque de soi qu’ils interviennent aussi auprès des humains. Ils deviennent alors des ramancheurs et la population leur reconnaît le « don » de replacer les os défaits. 
 
Dans la société traditionnelle du 18e et du 19e siècle dans Charlevoix, la présence de médecins est presque inexistante. Ce sont les ramancheurs qui replacent les os défaits. Ce « don » est associé à la famille Boily dans Charlevoix durant près de trois siècles, soit de du 17e siècle avec la venue à Baie-Saint-Paul de l’ancêtre Guillaume Boily forgeron, jusque vers 1980 alors que le dernier ramancheur Boily de Charlevoix cesse sa pratique dans la paroisse des Éboulements. Il y a aussi des ramancheurs de la famille Boily qui exercent leur art au Saguenay-Lac-Saint-Jean, à Québec, à Montréal. Les Boily constituent une des plus importantes familles de ramancheurs québécois.
 
Flavien Boily devient le premier ramancheur de cette famille à vivre presque exclusivement de ce métier. Il naît à Sainte-Agnès le 18 mars 1839. Il ne fréquente pas l’école très longtemps mais il sait lire et écrire. Il épouse Rose-Délima Potvin qu’il surnomme la « rougette » à cause de la couleur de ses cheveux, le 17 juillet 1860. Flavien Boily est un cultivateur. Il délaisse bientôt sa terre pour se rendre au chevet des malades car ses services sont si recherchés qu’il ne cesse de se déplacer afin de répondre aux demandes. Ses prouesses éblouissent les Charlevoisiens. Personne n’ose remettre ses talents en question car Boily utilise alors une méthode peu banale afin de justifier ses connaissances: il désarticule un chat au complet pour ensuite lui replacer les os sans tarder, à tel point que la pauvre bête soumise à ce traitement n’a presque pas le temps de s’en rendre compte! D’ailleurs le jugement populaire sur la pratique de Flavien Boily est incontestable et les témoins oculaires en attestent sans hésitation : « de ce que Boily ramanchait, ça restait pas infirmes! », disent-ils unanimement.
 
La pratique du ramancheur tient beaucoup à sa dextérité manuelle. Il opère surtout dans les cas de luxations, d’entorses ou de fractures. Pour les maux « de l’intérieur du corps », selon l’expression de l’époque, le ramancheur reconnaît ses limites et laissent à d’autres guérisseurs le soin de ces malades. Le ramancheur Flavien Boily ne prescrit pas de remèdes. Après le replacement des os, il place simplement un bandage d’éclisses formé par quelques morceaux de bois, le tout bien enveloppé autour du membre blessé. Cette pratique est fort ancienne. Les traités du médecin grec Hippocrate (377 av. Jésus-Christ) relatent une pratique tout semblable à celle de ce ramancheur. Flavien Boily a appris de manière empirique ce que d’autres étudient dans les facultés universitaires. 
 
Une caractéristique reconnue de Flavien Boily est sans aucun doute sa joie de vivre. Afin de mieux faire « passer le mal » comme il disait, il prend l’habitude de divertir ses patients en leur racontant des blagues le plus souvent grivoises. Aidé en cela par sa laideur naturelle, il n’hésite pas à faire des grimaces et à se démonter le visage en cherchant l’effet comique. Bientôt, les grands blessés oublient leur mal et Flavien Boily parvient à les en délivrer sans trop de douleurs.
 
Les histoires racontées au sujet de Flavien Boily sont nombreuses. Souvent le ramancheur s’amuse à replacer les membres des « belles créatures » et à faire rire ses spectateurs avec cela. Toutefois, sa pratique de ramancheur devient l’objet de poursuites alors que les médecins se font plus nombreux dans Charlevoix. Les juges parviennent difficilement à le faire condamner car au besoin Flavien Boily n’hésite pas à désarticuler un chat devant ses accusateurs médusés par sa connaissance des os et par son savoir-faire. Même certains prêtres réfractaires sont confondus :
 
« C’était un curé de par chez-nous, il n’avait pas confiance dans les ramancheurs. C’était un vieux prêtre, puis il prêchait contre ça... Un bon coup, il s’était tout démanché le « cercle du cou ». Il va voir les médecins, mais ça revenait pas. Il s’est décidé quand il a vu l’extravagance, il était pour rester le cou croche! Il a fait venir le Ramancheur. Boily lui a dit : « Il me prend une envie de pas vous ramancher. Vous avez tellement prêché contre moi ». Mais là le curé suppliait, il disait qu’il le ferait plus. Boily l’a ramanché et au bout de trois jours le curé menait puis son cou était bien droit. »  (Collection Serge Gauthier. Informateur: Léonard Gauthier, 53 ans, de Notre-Dame-des-Monts. Enquête effectuée le 24 août 1979.)
 
À la fin de sa vie, Flavien Boily s’installe à Saint-Irénée. Un de ses fils, Louis-Émilien, devient prêtre. Il a pu poursuivre des études grâce à l’argent recueilli par son père. Pourtant, Flavien Boily, selon la tradition, ne demande jamais d’argent à ses patients car « on donnait ce qu’on voulait ». Les malades guéris par Flavien Boily se montrent toutefois si généreux que Flavien Boily connaît une certaine aisance dans sa vieillesse. Il continue de replacer les os jusqu’à la fin de sa vie avant qu’il ne décède des suites d’une longue maladie. Ce jour-là, il fait encore preuve d’humour :
 
« La dernière journée qu’il est venu pour mourir, ils lui ont fait la barbe et il a dit: « Mettez-moi ma chemise blanche puis une belle cravate, il va y avoir de belles femmes en haut! » La dernière journée! Il a toujours fait des farces de même! »  (Collection Serge Gauthier. Informateur: Pantaléon Bouchard, 88 ans, de Saint-Irénée. Enquête effectuée le 5 novembre 1979.)
 
Flavien Boily Le Ramancheur meurt le 4 décembre 1920 à l’âge de 81 ans. Son service funèbre est présidé par son fils et une assistance nombreuse remplit l’église de Saint-Irénée pour cette triste circonstance. À partir de cette journée, un dicton populaire apparaît et il subsiste longtemps dans Charlevoix : « Maintenant que Flavien Boily est mort, on va tous rester infirmes! » Une preuve de plus du respect suscité chez dans le peuple par la pratique du joyeux ramancheur Flavien Boily!
 
 
Bibliographie :

Gauthier, Serge. Les ramancheurs Boily au Québec. Mémoire de Maîtrise (Ethnologie historique), Université Laval, 1982. 86 p.
 
 
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