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Abitibi Témiscamingue

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L'Abitibi-Témiscamingue

L'Abitibi-Témiscamingue est une vaste région aux multiples visages. Dans l'ensemble, cette région s'avère peu connue tant sur le plan historique que géographique. Certes, plusieurs en ont entendu parler, d'autres l'ont visité. Dans l'imaginaire collectif, l'Abitibi-Témiscamingue est synonyme de région nordique, éloignée des grands centres. La région évoque aussi le pays de l'or. C'est un fait, mais il y a beaucoup plus.

L'actuelle région de l'Abitibi-Témiscamingue est habitée de façon continue depuis des centaines d'années. Les premiers occupants de ce territoire, les Amérindiens, y vivent de chasse et de pêche depuis des générations. Leur relatif isolement cesse à la fin du XIXe siècle lorsque les Blancs « découvrent » à leur tour cette région et entreprennent l'exploitation de ses ressources naturelles ainsi que la colonisation du territoire. Comment se fait-il que la région soit si bien dotée en matières premières ? La réponse à cette question nous conduit 20 000 ans avant aujourd'hui (AA), au cœur de la dernière période de glaciation.

La formation géologique du territoire

Au cours de son histoire, l'Amérique du Nord a été emprisonnée à quatre reprises sous un immense glacier. La dernière période de glaciation date de 100 000 ans et, à sa phase d'extension maximum, il y a 20 000 ans, le glacier couvre l'ensemble du Québec et la partie nord des États-Unis. Suit un réchauffement de la température qui entraîne la fonte et, conséquemment, le retrait du glacier vers le nord. Ainsi, vers 10 500 ans avant aujourd'hui, le glacier a libéré une partie du Québec, mais la région de l'Abitibi-Témiscamingue est encore recouverte de glace. Il se produit alors une ouverture dans le front glaciaire, qui marquera de plusieurs façons le paysage de la région. Désormais, le glacier se scinde en deux parties, l'une retraite vers le nord-ouest et l'autre vers le nord-est.

Vers 8 200 ans AA, un premier lac se forme et recouvre l'ensemble du territoire actuel du Témiscamingue, le lac Barlow. Puis, un second lac apparaît sur l'actuel territoire de l'Abitibi, le lac Ojibway. Ces deux lacs se rejoignent et forment une véritable mer intérieure, recouvrant toute la région. Les eaux de fonte du glacier donnent naissances à des rivières qui crachent des milliers de tonnes de sédiments (argiles, limons, sables et graviers) vers les lacs glaciaires. Ces sédiments se déposent dans les lacs, les plus grossiers en eau peu profonde et les plus fins en eau profonde. Avec le temps, les lacs glaciaires se vident, Barlow vers le sud et Ojibway vers le nord, et laissent une couche d'argile sur l'ensemble du territoire. En fait, le retrait du glacier contribue à une nouvelle configuration géologique du territoire, ce qui aura un impact majeur sur la distribution des ressources naturelles et, par la suite, sur la colonisation de la région. Entre la vidange finale des lacs et la recolonisation végétale du territoire, il s'écoule quelques siècles.

Dans l'ensemble, la région de l'Abitibi-Témiscamingue présente les traits d'un vaste plateau, parsemé de quelques sommets dans certains secteurs. Ainsi, on retrouve deux zones de basses terres, celle du Témiscamingue et celle de l'Abitibi, avoisinant les lacs du même nom. Ces zones, nommées respectivement la petite et la grande ceinture d'argile, comportent en général de bonnes terres agricoles. Les grandes surfaces d'eau des lacs Témiscamingue et Abitibi forment un microclimat favorable au développement de l'agriculture. Elles contiennent également des ressources forestières importantes, quoique fort différentes d'une zone à l'autre. Les forêts du Témiscamingue sont de types mixtes, tandis que celles de l'Abitibi contiennent uniquement des épinettes. Les rivières de la zone des basses du Témiscamingue s'écoulent vers la rivière des Outaouais et le fleuve Saint-Laurent et celle de la zone des basses terres de l'Abitibi, vers le bassin de la baie d'Hudson.

Entre ces deux zones, se situe la zone des hautes terres de l'Abitibi, traversée par la ligne de partage des eaux. Cette zone se caractérise par ses collines parmi les plus hautes de la région, notamment dans la région de Rouyn-Noranda. Par-dessus tout, la caractéristique principale de cette zone demeure la faille de Larder-Lake–Cadillac, particulièrement riche en or et en cuivre. À titre indicatif, mentionnons que 70 % des mines d'or canadiennes sont localisées dans cette zone des hautes terres de l'Abitibi. En somme, la formation géologique de la région de l'Abitibi-Témiscamingue conditionne son peuplement, tout au long de son histoire. Outre les richesses minérales, la région possède une faune et une flore diversifiées, ce qui attire les Amérindiens dans la région.

La présence amérindienne

C'est sur ce territoire que viennent s'établir les premiers occupants du territoire, les ancêtres des Amérindiens actuels, autour du XIVe siècle. Aujourd'hui, les Amérindiens de la région s'identifient comme étant des Algonquins. Auparavant, il y aurait eu d'autres groupes Amérindiens sur le territoire de l'Abitibi-Témiscamingue, mais le lien de filiation directe n'a pas encore été démontré. Ainsi, depuis le début des années 1300, des Amérindiens occupent de façon continue le territoire de l'Abitibi-Témiscamingue, comme le démontrent les recherches archéologiques effectuées dans les secteurs de Rouyn-Noranda et du lac Dumoine, notamment. Si les archéologues commencent à nous faire découvrir le mode de vie de ces Amérindiens, nous en connaissons davantage sur leur société, leur économie et leur culture à l'époque du contact avec les Européens, à compter des années 1600.

À cette époque, les explorateurs et les missionnaires relèvent la présence de deux groupes principaux d'Amérindiens dans la région. Ce sont les Témiscamingues et les Abitibis et ils vivent autour des lacs qui portent aujourd'hui leur nom. Mais, qui sont-ils exactement ? Ces deux bandes regroupent plusieurs petites bandes qui sont dispersées sur l'ensemble du territoire. Ils se réunissent l'été à des points précis du lac Témiscamingue et du lac Abitibi, d'où leur nom. Généralement, les chercheurs associent ces deux bandes aux Algonquins, même si ces derniers habitent principalement dans la vallée de l'Outaouais. En fait, on ne connaît que peu de choses sur les Témiscamingues et les Abitibis en raison de la rareté des renseignements sur eux dans les écrits des Jésuites et autres missionnaires, dans les années 1600 et 1700.

Dans les années 1800, alors que le Bas-Canada, le Québec d'aujourd'hui, connaît des problèmes politiques d'importance menant à la Rébellion des Patriotes, en 1837 et en 1838, l'évêque de Montréal décide d'envoyer des missionnaires afin de mieux connaître et d'évangéliser les Amérindiens du Témiscamingue et de l'Abitibi. Ainsi, à compter de l'été 1836, les missionnaires, partant d'Oka, puis d'Ottawa, visitent annuellement les Amérindiens de la région. Le sulpicien Charles de Bellefeuille et l'abbé Dupuis ouvrent alors la route des missions algonquines du nord du Québec. En 1836, ils font la mission catholique au lac Témiscamingue. En 1837, ils poussent jusqu'au lac Abitibi et, l'année suivante, ils se rendent au Grand Lac Victoria. Les missionnaires oblats de Marie-Immaculée remplacent les prêtres séculiers à compter de 1844, avec le père Laverlochère en tête. Le territoire de missions catholiques s'étend alors du pied du lac Témiscamingue jusqu'à la baie James. En 1863, les Oblats établissent une mission permanente près de l'actuelle Ville-Marie, la mission Saint-Claude du lac Témiscamingue, pour desservir tout ce territoire. C'est désormais à partir de cet endroit qu'ils visiteront annuellement les campements algonquins de la région.

Les Amérindiens de la région vivent en symbiose avec la nature. Ils y tirent nourriture, habillement, remèdes, outils, instruments divers, habitation et moyens de locomotion. Les Algonquins ne se considèrent pas comme les propriétaires du territoire, même s'ils reconnaissent la notion de territoires de chasse familiaux. Ils en sont plutôt les usufruitiers, chargés de le transmettre de génération en génération et de veiller à la conservation de la faune et de la flore. L'automne, les groupes multifamiliaux gagnent leurs territoires de chasse et de pêche. Ils vivent en petits groupes nomades sur le territoire puisqu'il s'avère plus facile de nourrir et d'héberger de petits groupes en forêt, principalement l'hiver. L'été, ces divers groupes se réunissent autour de campement précis avec les autres groupes de leur bande d'appartenance. Par exemple, une bande se réunit à la tête du lac Témiscamingue, une au lac Kipawa, une autre au lac Abitibi et une au Grand Lac Victoria. C'est l'époque de la socialisation, des mariages, des échanges et des alliances.

Déjà au XVIe siècle, les Amérindiens de l'Abitibi-Témiscamingue sont intégrés à un réseau d'échange intertribal à l'échelle nord-américaine. Des produits et matériaux circulent d'une tribu à l'autre par le biais d'intermédiaires. Par exemple, des pierres typiques de l'Ouest canadien ont été retrouvées au Labrador. Lorsqu'ils s'établissent en Amérique, les Européens profitent de ce réseau d'échange pour introduire de nouvelles marchandises en retour de peaux de fourrure. Ils en modifient toutefois le fonctionnement et la circulation des biens. C'est le début du commerce des fourrures. Graduellement, les Algonquins de la région s'intègrent à cette nouvelle activité économique. Certains optent rapidement pour ce commerce et s'établissent conséquemment à proximité des postes de traite. Des employés des compagnies de fourrures prennent des Algonquines comme épouses et donnent naissance à des Métis, élevés dans un monde mi-européen, mi-amérindien. D'autres groupes demeurent en marge de ce commerce, loin dans les bois. Ils se rendent habituellement deux fois par année au poste de traite pour y échanger leurs surplus de fourrure.

Des postes de traites des fourrures sont établis au lac Témiscamingue et au lac Abitibi, dès les années 1680. Le fort Témiscamingue devient, à un certain moment, la plaque tournante du commerce des fourrures du nord du Québec. Les belles années du commerce des fourrures en Abitibi-Témiscamingue, comme ailleurs au Canada, se poursuivent tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, malgré des périodes difficiles. Puis au début du XIXe siècle, le déclin de la demande sur le marché international entraîne une diminution considérable de cette activité au Canada et dans la région. En 1820, les compagnies de fourrures rivales doivent même fusionner afin d'éviter la faillite. La nouvelle Compagnie de la baie d'Hudson poursuit ses activités dans la région, notamment en dirigeant le poste de traite des fourrures nommé le fort Témiscamingue.

Toutefois, au début du XIXe siècle, une nouvelle activité économique démarre à l'échelle canadienne : l'exploitation forestière. Le commerce du bois équarri débute dans l'Outaouais en 1806 et, progressivement, les marchands de bois remontent la rivière des Outaouais afin de s'approvisionner en pins blancs et rouges. Après de timides débuts au Témiscamingue à la fin des années 1830, ce commerce prend son essor dans la décennie 1870. La reprise de la demande de bois équarri en Angleterre, l'épuisement des pinèdes de l'Outaouais et la construction d'un glissoir à la chute des Chaudières, près des villes de Hull et Ottawa, favorisent l'exploitation des concessions forestières du Témiscamingue. En 1900, près de 2 000 bûcherons s'activent dans les forêts témiscamiennes, qui regorgent de pins de grosseur commerciale. L'arrivée des marchands de bois au Témiscamingue amène plusieurs changements dans le mode de vie des Algonquins. Ils sont désormais contraints à partager le territoire avec les nouveaux venus, d'abord les bûcherons, ensuite les agriculteurs-colons.

Les Algonquins ont alors accès à de nouveaux emplois et deviennent guides pour les compagnies de bois, gardes-forestiers, gardes-feux, guides pour les touristes, bûcherons, draveurs... Ils profitent de ces nouvelles possibilités d'emplois et délaissent la traite des fourrures commerciales. Leur mode de vie s'en trouve alors modifié, une fois de plus. Plusieurs familles ont tendance à se regrouper soit dans les réserves amérindiennes, soit dans de petites communautés sur le bord des lacs, en forêt. Dès lors, ils s'avèrent plus facile pour les missionnaires et les agents du gouvernement fédéral d'ouvrir des écoles, contribuant à la sédentarisation des familles. Au cours des années 1950, des programmes de développement communautaire gouvernementaux favorisent l'amélioration des conditions d'existence sur les réserves. Dans les années 1970, on assiste à un mouvement de retour aux sources et de valorisation de la culture ancestrale. Il y a aujourd'hui plusieurs communautés algonquines dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue, mais elles vivent sur de petits territoires. La mise en valeur des ressources forestières et minières et la colonisation agricole expliquent cette situation.

La colonisation et le peuplement du territoire

Plusieurs se demandent sans doute pourquoi des gens vivent-ils dans cette contrée nordique. La réponse à cette question nous mène directement au cœur de l'économie et de la société québécoise des siècles derniers. La colonisation du Témiscamingue et de l'Abitibi se déroule en trois étapes distinctes, chacune représente une époque bien précise de l'histoire du Québec. Le Témiscamingue constitue la dernière région ouverte à la colonisation au Québec, à la fin du XIXe siècle. Il en présente toutes les caractéristiques. Il s'agit d'une colonisation spontanée, puisque la majorité des colons s'y rendent d'eux-mêmes, sans aide gouvernementale, avec un encadrement plus ou moins direct d'une société de colonisation. L'industrie forestière constitue le moteur du développement économique et social et explique en bonne partie la colonisation agricole de cette région. Cette première phase de colonisation commence en 1886 avec la naissance de Ville-Marie et se poursuit jusqu'à la fondation de Guérin et Latulipe, en 1914. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale met alors fin à la colonisation au Témiscamingue, du moins temporairement.

Le peuplement de l'Abitibi rural, une autre étape du processus de la colonisation régionale, démarre au début des années 1910 dans la foulée de la construction du chemin de fer Transcontinental par le gouvernement fédéral. Il faut rappeler qu'au début des années 1900, la colonisation stagne au Québec. Certains membres de l'élite traditionnelle proposent alors une implication active de l'État afin de relancer ce mouvement, mais ils n'obtiennent que peu de succès. Ces pressions ne suffisent pas à créer un mouvement de sympathie envers l'oeuvre de colonisation, comme l'appellent ses promoteurs. Finalement, cette dernière sera lancée en Abitibi grâce à la réalisation de travaux publics d'envergure, la construction du chemin de fer du Transcontinental. Ainsi, à compter de 1912, l'ouverture d'Amos et la progression de la voie ferrée vers l'ouest entraîne la fondation d'une série de paroisses de colonisation situées le long de son trajet, jusqu'à La Sarre. Ces colons bénéficient de conditions d'établissement fort différentes de celles des colons du Témiscamingue.

La crise économique de 1929 est à l'origine de la troisième étape de colonisation. À cette époque, plusieurs membres de l'élite traditionnelle voient en la colonisation la planche de salut de la nation canadienne française. À la suite de l'accroissement de la misère et du chômage dans les villes canadiennes, les gouvernements fédéral et provinciaux décident de mettre sur pied des programmes de colonisation dirigée afin de transporter les chômeurs urbains sur les terres inoccupées des régions québécoises, entre autres. Au Québec, l'Abitibi reçoit la majorité des bénéficiaires des plans Gordon (1932-1934) et Vautrin (1934-1936). Cela se traduit par la fondation de plusieurs paroisses, situées à proximité des mines, alors en plein essor dans la région. Plusieurs de ces nouvelles localités se situent entre le Témiscamingue et l'Abitibi rural, soudant en quelque sorte ces deux zones de peuplement. Ces différents mouvements de colonisation sont à l'origine de la distribution de la population sur le territoire et ont donné naissance à la région que l'on connaît aujourd'hui.

Ces mouvements de colonisation débouchent habituellement sur le développement de l'agriculture dans ces nouvelles zones. Toutefois, la majorité des colons pratiquent encore une agriculture de subsistance, longtemps après leur établissement sur un lot de colonisation. Au Témiscamingue, les premiers colons bénéficient de la présence des chantiers forestiers pour y écouler leurs maigres surplus de foin et de pommes de terre. Ils perdent toutefois ce marché à la suite de l'éloignement des zones de coupes forestières puisque de nouveaux colons prennent alors la relève. Au début des années 1910, les agriculteurs témiscamiens se convertissent à la production laitière afin d'améliorer leurs conditions de vie. Toutefois, plusieurs agriculteurs travaillent dans les chantiers, l'hiver venu, pour compléter leurs revenus. Dans les années 1940, dans la foulée de la popularité de la coopération mise de l'avant par le clergé et l'Union catholique des cultivateurs, les agriculteurs de la région transforment les beurreries locales en coopératives. Cela permet la consolidation de la plupart des villages agricoles témiscamiens.

En Abitibi, l'agriculture se développe plus lentement. Les colons établis à proximité de la voie ferrée profitent de conditions d'établissement leur permettant de couper autant de bois qu'ils le veulent sur leur lot, qu'ils expédient par le train. Une majorité délaisse graduellement le défrichement et la culture du sol au profit de la coupe forestière. Les autres pratiquent une agriculture de subsistance, basée également sur l'industrie laitière, comme au Témiscamingue. Dans les années 1930, les nombreux nouveaux colons, venus dans la région par le biais des programmes de colonisation, vivent une période d'adaptation difficile car la plupart ne possèdent aucune expérience en agriculture. Plusieurs se tournent alors vers les chantiers forestiers et vers les compagnies minières situées à proximité. D'autres, en nombre considérable, abandonnent leur lot de colonisation et retournent en ville pour profiter de la période de prospérité de la Deuxième Guerre mondiale. Pour ceux qui restent, la coopération offre un espoir et permet, là aussi, un meilleur développement de l'industrie laitière. Dans les années 1940, ils profitent également d'un programme de consolidation de l'agriculture.

Une économie axée sur l'exploitation des ressources naturelles

Tout au long de son histoire, le développement économique de la région est conditionné par les fluctuations économiques nationales et internationales. Ainsi, le commerce des fourrures s'implante dans la région parce que les castors y possèdent une fourrure de meilleure qualité, étant plus gras à cause du froid. Par ailleurs, la baisse de la demande sur les marchés européens entraîne le déclin de ce secteur dans la région, comme ailleurs au Canada. Au début du XIXe siècle, l'industrie forestière lui succède comme principale activité économique. La construction d'un glissoir le long de la chute des Chaudières, sur la rivière des Outaouais, dans les années 1830, permet la montée des marchands de bois au Témiscamingue. Le commerce du bois s'y implante définitivement dans les années 1870, à la suite de la reprise de la demande du bois équarri sur le marché britannique. Puis, dans les années 1880, la demande grandissante des États-Unis pour le bois d'œuvre entraîne la construction de scieries au Témiscamingue.

Au début du XXe siècle, l'économie québécoise subit d'importantes transformations. Ainsi, dans les années 1910, de nouveaux secteurs économiques se développent, ayant un effet important pour le développement des régions, comme l'illustre l'exemple de l'Abitibi-Témiscamingue. Ces secteurs sont l'hydroélectricité, les pâtes et papiers et les mines. C'est aussi l'époque des grands travaux publics partout à travers le Canada. Ces transformations de l'économie nationale auront un impact concret dans la région. Au tournant des années 1910, nous assistons à la construction d'une série de barrages de rétention des eaux le long de la rivière des Outaouais supérieur. Cela fournit de l'emploi à de nombreux travailleurs régionaux, en plus de favoriser l'arrivée de travailleurs immigrants et la fondation de hameaux à proximité de certains barrages. La construction du Transcontinental, telle que mentionnée précédemment, s'inscrit dans ces grands travaux publics et favorise la colonisation de l'Abitibi rural et le démarrage de l'industrie du sciage.

Au milieu des années 1910, le secteur forestier régional effectue une transition du secteur du bois d'œuvre vers le secteur des pâtes et papiers. Ainsi, en 1917, la Riordon Pulp & Paper Company construit un moulin de pâte à papiers et une ville au pied du lac Témiscamingue, nommée Témiscaming. La Riordon déplace ses chantiers vers le secteur de Rouyn-Noranda et, plus tard, vers le parc de La Vérendrye, afin d'approvisionner son moulin de Témiscaming. De nombreux Abitibiens et Témiscamiens trouvent alors du travail dans les chantiers d'abattage des arbres et dans le flottage du bois. À la même époque, les scieries abitibiennes consolident leurs activités, profitant de la proximité du chemin de fer, récemment construit, et du contexte de la Première Guerre mondiale.

Toutefois, le développement économique le plus spectaculaire est sans contredit la mise en valeur du gisement minier de la faille de Cadillac, partant de la frontière interprovinciale Québec-Ontario et s'étendant entre l'actuelle Rouyn-Noranda et Val-d'Or, à compter des années 1920. L'histoire minière dans la région débute en fait en 1903 avec la découverte d'un important gisement minier du côté ontarien du lac Témiscamingue. Les mines du secteur de la ville de Cobalt entrent alors en production. À compter de 1910, les prospecteurs miniers traversent du côté québécois et poursuivent leurs recherches. En 1922, c'est la ruée minière dans les environs de la future ville de Rouyn-Noranda, ce qui donne lieu à d'importantes découvertes et entraîne la construction de la mine Noranda. Les prospecteurs se rendent ensuite dans le secteur actuel de Val-d'Or où ils découvrent d'importantes quantités d'or. Au milieu des années 1930, l'industrie minière tourne à plein régime en Abitibi, et les mines d'or Lamaque, près de Val-d'Or, deviennent même les plus grandes productrices d'or du Québec.

Au cours des années 1920, des entreprises investissent également dans le développement hydroélectrique des rivières de la région afin de répondre aux besoins en énergie électrique des mines de Rouyn-Noranda. Le potentiel de ces rivières est connu depuis le début des années 1900, le gouvernement ayant réalisé des relevés et des analyses des rivières témiscamiennes, dont la rivière Des-Quinze. Ne manquait plus que le contexte économique favorable pour procéder à la construction de barrages hydroélectriques, ce que fournit le développement minier de l'Abitibi. Des lignes de transmission sont alors construites de la rivière Des-Quinze dans le nord du Témiscamingue jusqu'à Rouyn-Noranda. D'autres barrages hydroélectriques sont également érigés dans la région pour alimenter en électricité les mines du secteur de Val-d'Or. Il faut aussi mentionner qu'en 1917, la Riordon a modernisé un tel barrage pour satisfaire aux besoins de son nouveau moulin de pâtes à papier et de la ville de Témiscaming qu'elle vient de fonder. À la même époque, quelques villes abitibiennes et villages témiscamiens bénéficient également de l'électricité. Il faudra toutefois attendre la fin des années 1940 avant que le réseau électrique desserve l'ensemble des zones rurales de l'Abitibi-Témiscamingue.

La mise en place des institutions et les activités culturelles

Avant même la colonisation agricole du territoire, le clergé était déjà bien implanté dans la région. En effet, la mission Saint-Claude du lac Témiscamingue, qui relève du diocèse d'Ottawa, regroupe les missionnaires Oblats et les Sœurs grises de la Croix. On y trouve une chapelle, un hôpital, un orphelinat et une école, en somme la base des institutions régionales. Ces dernières se développent considérablement à la suite de la colonisation agricole, forestière et minière. Les frontières du diocèse catholique évoluent au fil des progrès de la colonisation, tout en restant associées au nord-est ontarien. Petit à petit, les missions de colonisation se transforment en paroisses, sous la direction du clergé séculier, et où s'établissent des communautés religieuses d'enseignants. Ainsi, chaque paroisse possède son église et les villes minières en comptent plusieurs, de différentes confessions religieuses.

Parallèlement, le système scolaire se développe dans la région. En milieu rural, la commission scolaire locale administre les écoles de rang et de village. En milieu urbain, les écoles sont plus grandes et comptent plus d'élèves. Les villes de compagnies possèdent leur propre système scolaire, financé par la compagnie en place. À cela s'ajoutent des écoles rurales spécialisées telles que des écoles normales, des pensionnats, des écoles ménagères, des écoles d'agriculture, sans oublier le collège classique. Un système de santé est peu à peu mis en place. Il compte d'abord des hôpitaux sous la direction des communautés religieuses féminines, puis des dispensaires dans les paroisses de colonisation. Des médecins soignent les patients dans les premiers, tandis que l'infirmière de colonie s'occupe de tous les problèmes sociaux et de santé dans les seconds. Pour leur part, les villes de compagnie possèdent leurs propres hôpitaux, généralement mieux financés que les autres.

Vivre à la marge du Québec habité signifie souvent de vivre isolé du reste de la province. Dans ces conditions, lorsqu'ils s'établissent dans la nouvelle région, les habitants reproduisent la société rurale d'origine, du moins dans ses grands traits. Le clergé occupe une place importante dans le développement des premières activités culturelles, dont les fêtes de la Saint-Jean Baptiste, les spectacles de musique, de chant et de théâtre, les processions religieuses et autres fêtes populaires. Dans les premières années de la colonisation, les Algonquins participent activement à ces activités, notamment en reconstituant des activités traditionnelles. C'est également à cette époque que se forment les premières associations rurales et politiques. Des activités sportives sont rapidement développées, comme les sports d'équipe (baseball, hockey) et individuels (chasse, pêche, trappe). Dans les années 1930, les villages abitibiens issus du mouvement de colonisation dirigée ajoutent une variante au sujet de l'entraide collective en développant un fort esprit coopératif qui se manifeste dans tous les secteurs de l'activité socioéconomique.

Les centres miniers présentent un portrait culturel fort contrasté. Ces villes comptent en effet de nombreuses communautés culturelles, arrivées avec les compagnies minières. Ces communautés reproduisent leurs propres institutions et activités culturelles, modifiant ainsi considérablement le paysage de cette région. Les médias y sont également plus nombreux et diversifiés qu'en milieu rural francophone et catholique. Dans les villes minières, les journaux sont majoritairement anglophones et traitent d'informations minières, contrairement aux journaux francophones dans les paroisses agricoles qui privilégient les thèmes ruraux. Dès les débuts de la radio en Abitibi, on assiste à des luttes entre francophones et anglophones pour le contrôle des ondes. Par ailleurs, dans les villages miniers spontanés construits autour des villes de compagnie, il règne un esprit d'indépendance et de liberté face au contrôle politique et social. S'y retrouvent des « gamblers », des « bootleggers », des prostitués et des aventuriers de toute espèce.

En somme, la colonisation agroforestière et agrominière, qui se déroule entre 1886 et 1945, donne naissance à une région aux multiples visages, contrastant avec la majorité des régions rurales québécoises. On y retrouve une zone rurale à prédominance francophone et catholique et une zone urbaine où se côtoient diverses communautés culturelles. Voyons maintenant comment l'Abitibi-Témiscamingue sera affectée par la modernisation de la société québécoise, à compter des années 1950.

Les années 1950 et la modernisation de la société

Si, dans les années 1930, les programmes de colonisation dirigée ont permis de souder géographiquement les entités distinctes que sont le Témiscamingue, l'Abitibi rural et l'Abitibi minier, dans les années 1950, l'intervention gouvernementale permet la création d'une région administrative alors baptisée le Nord-Ouest québécois. Dorénavant, l'État tente de planifier le développement de cette partie du Québec en fonction d'objectifs généraux conçus et appliqués à l'ensemble de la région, au détriment, dans plusieurs cas, des sous-régions historiques. Le but de cette planification du développement consiste en la réduction de l'écart des conditions de vie de la population de l'Abitibi-Témiscamingue par rapport à celles de l'ensemble de la population québécoise. Pour arriver à cette fin, croyait-on à l'époque, il fallait moderniser l'économie et la société régionales. Aujourd'hui, on parlerait de rationalisation… Dans l'ensemble, cette période met en évidence le difficile destin des régions ressources comme l'Abitibi-Témiscamingue.

L'exode rural et la consolidation de l'agriculture

Le portrait socioéconomique de la région varie selon les secteurs d'activités et les zones géographiques. Ainsi, au début des années 1950, la colonisation agricole vient à peine de se terminer dans certains secteurs de l'Abitibi et l'on travaille, depuis une dizaine d'années, à la consolidation des paroisses rurales. Il faut dire que la reprise des activités manufacturières, dans le sillon de la Deuxième Guerre mondiale, porte un dur coup aux paroisses récentes de colonisation. En effet, la forte demande de main-d'œuvre dans les industries du sud du Québec motive le départ de la région de plusieurs familles de colons qui avaient choisi de s'y établir à la faveur des plans de colonisation. Dans certains cas, près de 50 % des colons abandonnent leur lot de colonisation, sans compter ceux qui n'ont de colon que le titre, puisqu'ils travaillent la majeure partie du temps à l'extérieur de leur ferme. Ces paroisses dites marginales vivent alors de difficiles moments, faisant face à des menaces sérieuses de fermeture.

Cette période marque également le début de la professionnalisation du travail en forêt. Désormais, les activités d'abattage des arbres se déroulent sur 12 mois, forçant ainsi les agriculteurs-bûcherons à se spécialiser dans l'une ou l'autre de ces activités. D'un autre côté, on encourage les agriculteurs les plus prospères à adopter de nouvelles techniques et à poursuivre le développement de leur exploitation agricole en fonction d'une agriculture de marché. Règle générale, les agriculteurs témiscamiens se spécialisent alors dans la production laitière et leurs confrères abitibiens dans la production bovine. Cette spécialisation entraîne inévitablement l'expansion des fermes qui se réalise par l'achat des terres des voisins. Ainsi, où il y avait jadis 10 agriculteurs, il n'en reste plus qu'un ou deux. C'est également l'époque où de nombreux jeunes ruraux quittent la région au profit des grands centres urbains.

Les secteurs forestier et minier en restructuration

À compter de 1950, l'économie forestière amorce une période de transition marquée de fortes fluctuations, selon les époques et les secteurs de production. Le secteur du bois de sciage profite amplement des nouvelles mesures gouvernementales mises en place à la fin des années 1960. Dorénavant, les scieries abitibiennes se voient octroyer des sources d'approvisionnement régulières, ce qui leur permet de passer au stade de la production industrielle et de devenir des producteurs majeurs à l'échelle canadienne. Cela entraîne la construction de nouvelles scieries dans la région. Par ailleurs, le secteur des pâtes et papiers vit des hauts et des bas. Une nouvelle usine de pâtes et papiers est construite dans le nord de la région, donnant naissance à la ville de Lebel-sur-Quévillon. À la même époque, l'usine de la Canadian International Paper de Témiscaming ferme ses portes, portant un dur coup aux travailleurs de cette ville mono-industrielle. Reprise en mains par ses anciens cadres, l'usine renaît sous le nom de Tembec. Aujourd'hui, ce groupe possède la majeure partie des industries du bois dans la région.

Dans le secteur minier, des mines ferment, les gisements étant épuisées ou devenues non rentables, mais d'autres ouvrent dans le nord de la région. En somme, les activités minières se déplacent vers les secteurs de Chibougamau et de Matagami. La construction de voies de communication entraîne ainsi la mise en valeur des ressources minières et la construction de nouvelles villes. Plusieurs travailleurs de la région tentent l'aventure et vont s'établir à Chibougamau et à Chapais, dans les années 1950, à Matagami et à Joutel dans les années 1960. La prospérité des mines du nord n'est pas sans mettre en lumière les problèmes vécus dans les mines du sud de la région, à la même époque. Dans les années 1980, des mesures gouvernementales relancent les activités d'exploration minière dans la région. Cela se traduit par l'ouverture de nouvelles mines d'or, à la fin de cette décennie. À la même époque, la compagnie Noranda se développe considérablement, grâce notamment à la participation financière de la Caisse de dépôt et de placement du Québec. Sa fonderie de Rouyn-Noranda devient un important centre de traitement de tous les types de produits.

La redéfinition de la société régionale, des institutions et de la culture

À compter des années 1960, l'expression « vivre en région » prend une nouvelle signification pour les gens de l'Abitibi-Témiscamingue. Ceux qui décident de rester démontrent un fort attachement à leur région. Ils veulent assurer son développement sur de nouvelles bases, c'est-à-dire en fonction des habitants de la région et ils se battent, dans un premier temps, contre les projets de fermeture des zones dites marginales. Dans les décennies suivantes, les mouvements sociaux visent l'amélioration des conditions d'existence des habitants de la région, allant des luttes syndicales à l'opposition à la fermeture des petites écoles, sans oublier les femmes et les jeunes. Les organismes de développement socioéconomique promeuvent la décentralisation des pouvoirs vers les régions, le développement intégré des ressources en fonction des intérêts régionaux et la dynamisation des petites collectivités locales. Ces différentes initiatives créent, en fait, un mouvement porteur d'espoir.

La laïcisation de la société entraîne des changements profonds dans les institutions de l'Abitibi-Témiscamingue, comme partout au Québec. Jusqu'aux 1960, les services aux individus et aux familles étaient assumés par des institutions contrôlées par les communautés religieuses. Progressivement, l'État québécois remplace l'Église dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l'éducation. Dans un premier temps, il se porte acquéreur des hôpitaux et des écoles de la région. Dans un deuxième temps, l'État implante des réformes qui ont pour effets de modifier les institutions existantes, d'en fermer certaines et d'en créer de nouvelles. Dans le domaine de la santé, les centres de santé remplacent les anciens hôpitaux et les centres locaux de services communautaires voient le jour à partir des unités sanitaires. À la suite de la réforme scolaire, en 1964, les commissions scolaires régionales naissent de la fusion des commissions scolaires locales, le CEGEP est créé, prenant en quelque sorte le relais du Collège classique et des écoles normales et les écoles à vocation rurale sont fermées. L'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue se structure graduellement avant d'obtenir ses lettres patentes en 1983. Par ailleurs, l'Église vit des heures difficiles à la suite du désintérêt d'une bonne partie de la population.

Dans les années 1970, la vie culturelle régionale prend un nouvel envol. On assiste à la naissance des industries culturelles en région, dans la mouvance provinciale. Les nouvelles structures d'encadrement et l'impact de la réforme en éducation favorisent l'éclosion de créateurs dans la région, notamment dans les domaines du cinéma, des arts visuels, de la musique, de la dramaturgie et de la littérature. Par contre, contrairement à la situation des grands centres du Québec, le marché culturel régional, donc le public, est beaucoup plus restreint. Plusieurs créateurs et interprètes choisissent alors l'exode. Qu'ils restent ou non en région, les artisans du milieu culturel contribuent à faire connaître l'Abitibi-Témiscamingue sous ses différentes facettes, tant actuelles que historiques. Par ailleurs, l'histoire et le patrimoine sont l'objet d'un intérêt grandissant tant de la part des citoyens, qui se tournent vers le passé pour mieux comprendre la situation difficile que vit la région depuis les années 1960, que des autorités gouvernementales, qui mettent sur pied un réseau de sites et de monuments historiques à travers la région. Ainsi, le renouveau culturel s'accompagne d'un mouvement de retour aux sources des gens et des collectivités qui se sentent menacés. Les communautés amérindiennes de la région vivent un mouvement similaire.

En somme, l'histoire de la région est intimement liée aux demandes en matières premières des industries établies dans les centres urbains québécois, canadiens et américains et à la détermination de ses habitants. L'augmentation de la demande entraîne la colonisation et le développement de la région. À la période de prospérité, de 1885 à 1950, succède une période de déclin relatif, à compter de 1950. Depuis, la région tente tant bien que mal d'orienter son développement en fonction des besoins de ses habitants.

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 25 novembre 2003
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