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Le métier de draveur
Thème : Économie

Le métier de draveur sur le lac Témiscamingue

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., 20 septembre 2002


La transition du bois équarri vers le bois de sciage, au milieu des années 1880, amène d'importants changements dans le flottage du bois au Témiscamingue. Désormais, l'époque des cages de bois est révolue. Les marchands de bois commencent alors à faire flotter le bois en bille libre sur les rivières et le lac Témiscamingue, ce qui entraîne une réorganisation du flottage du bois sur les lacs et rivières de la région. Si le courant des rivières s'avère suffisant pour entraîner les nombreuses billes de bois jusqu'au lac Témiscamingue, cette opération nécessite tout de même l'intervention des hommes pour en assurer le meilleur déroulement possible. Ainsi, des draveurs s'affairent sur les rivières, descendant en même temps que les billots. D'autres travaillent à regrouper les billots de bois en estacades, au pied du lac Témiscamingue. Des camps de drave sont alors aménagés pour les héberger et pour entreposer et entretenir les bateaux servant aux différentes manœuvres de la drave.
 
La saison de drave comprend plusieurs étapes et elle se déroule sur environ quatre mois par année, de la fin du mois de mai au mois en septembre. Le coup d’envoi est donné avec la fonte des glaces sur les lacs et les rivières. Commence alors le transport des milliers de billots coupés pendant l’hiver. Les draveurs veillent alors à ce que les billots suivent le cours de la rivière et qu’ils ne s’échouent pas sur la grève, surtout avec la crue des eaux printanières. Ils surveillent la formation d’embâcles dans les passages étroits et les rapides. S’il y a problème, ils doivent alors remettre les billots à l’eau et défaire les embâcles, et ce, rapidement, parce que d’autres billots arriveront sous peu. Les draveurs travaillent dans des conditions difficiles, comme le décrit Augustin Chénier dans ses « Notes historiques sur le Témiscamingue ».
 
« La période du flottage était pour les voyageurs […] la plus rude, en même temps que la plus périlleuse de sa dure vie. Passer des journées entières à rouler sur des billes flottantes, se jeter jusqu'à la ceinture dans l'eau glacée du printemps pour faire suivre des pièces récalcitrantes, parcourir, sur de longues distances, les rives enchevêtrées des ruisseaux, enfonçant jusqu'aux genoux dans une vase gluante ou butant sur un «corps mort», pendant que la longue gaffe se cherche un chemin à travers les aulnaies, aller jusqu'au milieu de rapides impétueux libérer le train de bois arrêté dans sa descente par un obstacle invisible, risquer de s'engouffrer avec les billes dans la vrille d'un remous, demeurer tout le jour trempé jusqu'à la ceinture, avec la perspective de reprendre, le lendemain, dans les mêmes habits humides, les mêmes travaux et les mêmes périls, telle était la vie de nos «draveurs» pendant deux, trois mois et plus. »
 
Alex Lusmden obtient le contrat du flottage du bois des rapides des Joachims jusqu’à la rivière Des-Quinze. À cette fin, il établit un réseau de flottage du bois sur le lac Témiscamingue, comprenant deux camps de drave et de nombreux remorqueurs de bois. En 1888, il se porte acquéreur du site Opémican et de ses bâtiments et en fait le centre des opérations du flottage du bois sur le lac Témiscamingue. On y retrouve des ateliers pour les forgerons, les menuisiers et les mécaniciens ; des entrepôts et des hangars divers; des bureaux, des dortoirs, une cuisine et une salle à manger pour l’équipe de draveurs qui y demeure. Les bateaux y sont radoubés et entreposés pendant l’hiver. À la même époque, Lumsden construit un deuxième camp de drave à la tête du lac Témiscamingue, connu sous le nom de La Gap. L’équipe de draveurs qui y demeure se charge de recueillir et d’assembler les billots qui arrivent des rivières Blanche, la Loutre et Des-Quinze. 
 
La deuxième étape du flottage du bois consiste à assembler les billes de bois afin de former des estacades pour les remorqueurs de bois. Au début des années 1900, ce travail, désigné sous le terme de boomer, s’effectue à partir d’un bateau à rames. Il compte six rameurs et deux hommes dans les bouts, dont le capitaine qui se tient à l’avant et donne ses directives. Plus tard, des bateaux à vapeur les remplacent. Les billots regroupés dans une estacade sont tirés jusqu’à l’Île du Chef, située à quelques kilomètres de la tête du lac Témiscamingue. Les draveurs attachent les estacades à des piliers de ciment. De là, un gros remorqueur de bois vient les prendre pour les amener jusqu’à Opémican, au pied du lac Témiscamingue. Une estacade consiste en une centaine de morceaux de bois équarri de 18 pouces sur 18 pouces et de 30 pieds de long, attachés entre eux avec une chaîne, et une fois le cercle fermé, il contient 100 000 billots. 
 
À la suite du décès de Lumsden, en 1904, la ICO reprend la gestion du réseau de flottage du bois sur le lac Témiscamingue. Elle achète les camps de drave et les remorqueurs de bois de la Lumsden Steamboat Line Ltd, dont L’Argo, le Jubilee, le Dora et le Silverland. Plus tard, la ICO met en activité sur le lac Témiscamingue de gros remorqueurs de bois, comme le Lady Minto, l’Alexandra, puis le P.J. Murer et le J.P. Fleck. À titre d’exemple, un remorqueur comme le Lady Minto remorque trois estacades et met de trois à cinq jours pour se rendre de l’Île du Chef à la baie Opémican. L’équipage du remorqueur de bois compte douze personnes. Le bateau navigue jour et nuit et l’équipage se relève toutes les douze heures. Chacun a sa chambre sur le bateau, selon sa position hiérarchique. Ainsi, la chambre du capitaine est située à l’avant, celles de l’ingénieur-mécanicien et du chauffeur sont situées à l’arrière et les autres dorment dans le chaland. 
 
Le flottage du bois sur le lac Témiscamingue nécessite donc une organisation bien structurée. Des draveurs descendent les rivières sur les billots tandis que d’autres, postés au camp de La Gap, les regroupent en estacades, à l’embouchure des principales rivières. De gros remorqueurs de bois traînent ensuite les estacades jusqu’à Opémican où le bois est ensuite livré aux moulins pour y être transformé en pâte à papier ou en planches. 
 
 
Bibliographie : 

Chénier, Augustin. Notes historiques sur le Témiscamingue. Ville-Marie, Société d’histoire du Témiscamingue, 1980. 137 p., 2e édition. 
Lacroix, Rhéaume. Entrevue réalisée par le groupe des apprenants de Notre-Dame-du-Nord et leur formatrice. Notre-Dame-du-Nord, Éducation des Adultes, c1993. 
Leonidoff, Georges-Pierre. Le complexe forestier d’Opémican au Témiscamingue. CELAT, Université Laval, 1979, 4 volumes. 
Taylor, Bruce W. The Age of Steam on Lake Temiskaming. Cobalt, Highway Book Shop, 1993.155 p.
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