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L’organisation sociale et les territoires de chasse
Thème : Société et institutions

L’organisation sociale et les territoires de chasse des Algonquins, au début du XXe siècle

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 20 novembre 2002


Au début du XXe siècle, l’univers algonquin ancestral existe toujours au Témiscamingue, même si la colonisation agricole y bat son plein. À l’été 1913, l’anthropologue américain F. G. Speck séjourne quelques semaines parmi les Algonquins de la bande de Témiscamingue. À la suite de ce séjour, il publia un texte dans lequel il décrit le mode de vie ancestral de ces Algonquins de la réserve de la Tête-du-Lac. Il attache une attention particulière à l’organisation sociale et à la répartition des territoires de chasse entre les familles de cette bande amérindienne. Cette description se base sur des entrevues réalisées avec des descendants des familles de souches algonquines, qui vivent encore de façon traditionnelle. Elle n’inclut pas les familles métisses qui vivent selon un mode qui emprunte des éléments des deux cultures, européenne et algonquine. 

Les familles sont à la base de l’organisation sociale de la bande algonquine de Témiscamingue. Elles consistent en des individus apparentés par la descendance et le sang des mâles de la bande, en plus des femmes des autres bandes mariées aux hommes de la famille. Puisqu’il s’agit de famille patronymique, les enfants portent le nom de famille du père, auquel peut s’ajouter un surnom basé sur des caractéristiques personnelles, certaines actions ou encore un animal. Traditionnellement, le mariage est une question qui relève des aînés de la famille. Après le mariage, la femme vit dans la famille de son mari. Les enfants appartiennent à la famille du père et ils héritent du territoire de chasse paternel. Lorsque la lignée mâle de la famille est éteinte ou inexistante, on divise le territoire entre les membres apparentés des autres familles. 

L’anthropologue divise les Algonquins de la Tête-du-Lac en deux types de familles. Il y a d’abord les sept familles originales, qui descendraient des Témiscamingues, soit les Massinakijik, Wabikijik, Watawessins, Okussen, Kacinjite, Wabenicabi et KitchiPien. Le second groupe compte huit familles affiliées, à la suite de mariages avec des membres de la bande de Témiscamingue. Elles proviennent de bandes voisines, dont la bande Timagami, qui a son quartier général à Bear Island, au lac Timagami, à environ 130 kilomètres au sud-ouest de la Tête-du-Lac, la bande Matachewan, qui a son quartier général au lac Abitibi, à environ 260 kilomètres au nord, et de la bande du Grand Lac Victoria. 

Speck a remarqué l’existence du totémisme chez les Algonquins, mais, poursuit-il, les divisions familiales n’en sont pas de prime abord touchées. Le recours aux totems est purement social et économique. Le totem représente l’organisation de clans, qui est d’importance secondaire dans l’organisation sociale de ces Algonquins. Dans la bande Témiscamingue, trois totems sont distribués dans les familles, le Martin-pêcheur, le Caribou et le Serpent à sonnettes. On retrouve les mêmes totems chez les Amérindiens de Timagami. Ce système de clan en vigueur à la Tête-du-Lac proviendrait de l’influence du voisinage et des mariages avec les Ojibwés puisque, traditionnellement, ce système n’existe pas, ou très peu, chez les Algonquins. 

Chez les Algonquins de la bande de Témiscamingue, le territoire de chasse familial constitue l’élément principal d’identification des membres. Tous les membres mâles d’une famille partagent les mêmes droits de chasse et de pêche, à l’intérieur de ce territoire. Ces territoires se transmettent par héritage de père en fils, et généralement l’aîné hérite de l’ensemble du territoire paternel, bien qu’il arrive à l’occasion qu’il soit partagé entre les fils de la famille. Dans ce cas, cela crée de nouveaux groupes familiaux qui se reconnaissaient certains privilèges mutuels. Mais règle générale, les territoires sont vraiment rigides et permanents, seuls quelques changements de frontières seraient survenus au fil des décennies, selon la tradition orale. Un territoire de chasse consiste en un lot dont les frontières sont déterminées par des points de repères naturels comme une rivière, une montagne, un lac, un marécage ou encore une quantité de cèdres ou de pins.

Il est strictement défendu de chasser sur le territoire d’une autre famille, sauf si une permission spéciale d’une durée temporaire a été accordée. Une telle permission est donnée à un homme qui a connu une mauvaise saison de chasse ou lors de rareté d’un type de gibiers sur son territoire. Lors d’un voyage, si les membres de la famille doivent passer sur le territoire d’une autre famille, la permission est demandée et, si, par nécessité, du gibier devait être tué, les fourrures sont remises au propriétaire. Ce dernier obtenait ainsi les mêmes droits sur le territoire du passant. Ceux qui empiètent ou chassent sans permission sur le territoire d’autrui peuvent encourir certaines peines, dont un maléfice jeté par le chaman attitré de la famille. Ces maléfices pouvaient causer des rivalités entre les familles puisqu’elles pouvaient associer les maladies à cette pratique et, en guise de représailles, une famille demandait à son chaman d’en jeter un sur un membre de l’autre famille. 

Les grandes îles sur le lac Témiscamingue sont des propriétés communes pour les Algonquins et sont utilisées surtout au printemps lors de réunions sociales. L’Île du Chef, située à proximité de Notre-Dame-du-Nord, est la propriété de la famille Massinakijik, d’où provient le chef de la bande. Le chef y a un campement régulier et, à l’occasion, d’autres familles pouvaient établir leur campement autour du sien et chasser le temps que durait la réunion sociale. C’est le temps des chasses communautaires : des groupes de chasseurs dirigent le gibier à partir du centre de l’île jusqu’aux rives où d’autres chasseurs les attendent dans des canots. La viande ainsi obtenue devient une nourriture que tout le groupe se partage. 

Les familles algonquines qu’a observées Speck au début des années 1910 vivent encore de façon traditionnelle. Cela se remarque par l’organisation sociale héritée des générations précédentes. La famille patronymique est à la base de cette organisation. Ses membres s’identifient principalement au territoire de chasse familial, hérité de leurs ancêtres, et dont la propriété est respectée par chaque membre de la bande. Il existe par contre quelques territoires de chasse communautaires, comme c’est le cas pour les grandes îles du lac Témiscamingue.


Bibliographie : 

Speck, Frank G. Family Hunting Territories and Social Life of Various Algonkian Bands of the Ottawa Valley. Ottawa, Canada Department of Mines, 1915. 30 p. Mémoire 70, no 8, Anthropological Series
 
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