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Thème : Culture

Radio-Nord : la voix de l’Abitibi-Témiscamingue. Histoire d'un monopole

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 25 août 2004


L’implantation de la radio en Abitibi-Témiscamingue survient relativement tard dans son histoire. En effet, malgré la présence de familles dans la région depuis 1885, ce n’est qu’à la fin des années 1930 que des stations de radio s’implantent dans les villes abitibiennes. Au Témiscamingue, il faut attendre la fin des années 1940. Auparavant, les quelques personnes possédant un poste de radio doivent syntoniser les stations ontariennes, de langue anglaise. L’implantation de la radio en Abitibi se fait sur fond de querelles linguistiques, entre anglophones et francophones. Ces derniers en sortent vainqueurs, si l’on peut dire, et cela permet la formation de Radio-Nord inc. Au fil des ans, cette entreprise se développe au point de détenir le monopole de la diffusion de la radio et de la télévision en Abitibi-Témiscamingue et de se hisser parmi les plus importantes compagnies privées de ce secteur au Québec. 
 
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la radio s’implante lentement dans la région. Ainsi, en 1941, seulement 12,4% des foyers du comté de Chapleau, en Abitibi, possèdent un appareil radio. Il s’agit du plus faible taux au Québec puisque, dans les autres régions, les données varient entre 23 % et 35 %. Cette situation est corollaire du fait qu’il n’existe pas de station de radio diffusant à partir de la région, à cette époque-là. Plusieurs éléments expliquent cette situation particulière à l’Abitibi et au Témiscamingue, dont le faible auditoire francophone et la difficulté technique de se brancher aux réseaux nationaux. L’initiative de fonder des stations de radio en région revient donc aux entrepreneurs locaux. Or, la compétition est forte entre les promoteurs anglophones et francophones pour le contrôle des ondes en Abitibi. 
 
Le contrôle de l’exploitation des ressources naturelles par des financiers ontariens fait de l’Abitibi une extension du nord-est ontarien, sur les plans économique et culturel. Des hommes d’affaires anglophones se font accorder les premiers permis de diffusion radiophonique en Abitibi. Ainsi, en 1938, Donald A. Jones, propriétaire du Rouyn-Noranda Press, obtient un permis pour la station CKRN de Rouyn. L’année suivante, CKRN s’affilie à CBL-Toronto, ce qui soulève l’ire de la population francophone, obligée d’écouter une programmation presque entièrement anglaise. Également, en 1942, Roy Thompson, un homme d’affaires de l’est ontarien, fonde la première station radiophonique d’Amos, CHAD. Northern Broadcasting, l’entreprise de communications de Thompson, se porte également acquéreur des stations CKRN, en 1941, et CKVD de Val-d’Or, l’année suivante. Cette entreprise possède également des stations radiophoniques à Timmins et à Kirkland Lake. 
 
L’élite francophone locale réagit rapidement à cette situation puisqu’elle cherche elle aussi à se tailler une place dans le secteur culturel. En 1944, Hector Authier, un homme d’affaires qui possède des intérêts dans les journaux et les mines en Abitibi, achète les stations radiophoniques de la région. Cela met fin à la présence canadienne-anglaise dans le domaine de l’information en Abitibi, mais la nouvelle direction poursuit néanmoins l’embauche d’annonceurs francophones et anglophones. Le vrai changement à cet égard se produit en 1948, à la suite du rachat de ces stations par Radio-Nord, une nouvelle compagnie formée par des Abitibiens. Il s’agit de David-Armand Gourd, Jean-Joffre Gourd, issus d’une famille pionnière installée à Amos en 1912, et Roger Charbonneau. En 1952, le réseau acquiert la nouvelle station CKLS de La Sarre, complétant ainsi sa mainmise sur les stations radio de l’Abitibi. Seule la station CKVM, au Témiscamingue, échappera à l’emprise de Radio-Nord. 
 
Les stations de l’Abitibi et du Témiscamingue n’atteignent toutefois pas l’autosuffisance en matière de programmation. Elles ne possèdent pas les ressources humaines et financières pour arriver à cette fin. Radio-Nord et Radio-Témiscamingue négocient donc, séparément, des temps antennes avec la société Radio-Canada afin de compléter leur programmation. Elle comprend des émissions musicales, des bulletins de nouvelles dans les deux langues officielles jusqu’au milieu des années 1950, des causeries radiophoniques à but éducatif, des émissions religieuses telles que les offices dominicaux, la récitation du chapelet, et des activités culturelles touchant la littérature, la  musique et le théâtre. À cela s’ajoutent des émissions à l’intention des divers groupes ethniques, animée dans leur langue maternelle. 
 
La fin de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) entraîne une période de prospérité économique sans précédent et, du même coup, le développement de la culture de consommation. Dans ce dernier mouvement, il faut signaler l’apparition de la télévision. En Abitibi-Témiscamingue, le petit écran fait son entrée dans les foyers, en décembre 1957, grâce à l’entreprise de type familial, Radio-Nord inc. Au début des années 1980, Radio-Nord dirige les stations de télévision francophone CKRN-TV, affiliée à Radio-Canada, et CFEM-TV, affiliée au réseau TVA. En 1986, l’entreprise régionale ajoute deux autres stations à son réseau régional, CFVS-TV et CFGS-TV, affiliées à Quatre-Saisons. Seule la station CIVM-CIVA, Radio-Québec, échappe à son contrôle. Dans le secteur de la radio, Radio-Nord contrôle les principales stations AM et FM de l’Abitibi et possède une partie du capital-actions de Radio-Témiscamingue. Par ailleurs, en 1978, le groupe Radio-Nord acquiert la station CHOT-TV dans l’Outaouais et possède CJLA-MF de Lachute, depuis 1990. Cette même année, Radio-Nord devient le même plus grand réseau privé de radiodiffusion au Québec avec ses six stations radiophoniques, ses cinq stations de télévision et ses onze réémetteurs. 
 
Les débuts de la radiodiffusion en Abitibi sont marqués par une guerre entre les anglophones et les francophones. Les anglophones remportent la première manche grâce à des entrepreneurs ontariens qui réussissent à mettre sur pied des stations radiophoniques en Abitibi, entre 1938 et 1942. Un entrepreneur francophone rachète ces stations, en 1944, puis les cèdent à une nouvelle entreprise, Radio-Nord. Cette dernière s’impose rapidement dans le domaine de la radiodiffusion en Abitibi et au Québec puisque, à compter des années 1970, elle dirige des stations de télévision et de radio dans différentes régions. 
 
 
Biliographie :

Rousseau, Carmen. Les débuts de la radio abitibienne, 1939-1957. Rouyn, Collège de l’Abitibi-Témiscamingue, 1984. 139 pages. Cahiers du département d’histoire et de géographie, Travaux de recherches, no 8. 
VIincent, Odette. « Au carrefour des influences : la vie socio-culturelle », dans Odette Vincent (dir.), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, p. 369-409. Collection les régions du Québec no 7. 
Vincent, Odette. « Ébullition culturelle au Nord », dans Odette Vincent (dir,), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, p. 561-606. Collection les régions du Québec no 7.
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