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La compagnie Price
Thème : Économie

La compagnie Price

Jacques Saint-Pierre, historien, 15 août 2002


William Price joue un rôle marquant dans l’histoire de l’est du Québec, y compris dans celle de la Côte-du-Sud. Commerçant de bois à ses débuts, cet entrepreneur d’origine britannique réinvestit les capitaux accumulés dans l’exportation de bois équarri vers la Grande-Bretagne dans les scieries et l’exploitation forestière. Il met sur pied une importante entreprise qui est présente dans la région durant plus d’un siècle.
 
Genèse d’un petit empire
 
William Price entre dans l’histoire de la Côte-du-Sud dans les années 1820 comme client de Nicolas Boissonneau, qui possède des moulins à scie en bordure de la rivière du Sud à Saint- Vallier et à Saint-Thomas au début du 19e siècle, puis ce dernier lui cède ses installations, en se réservant un rôle de gérance. En 1834, Price loue par bail emphytéotique du seigneur Jean-Baptiste Couillard-Dupuy un moulin à scie situé à l’embouchure de la rivière et il obtient un privilège exclusif de coupe sur les affluents de la rivière du Sud, dont le Bras-Saint-Nicolas. En 1839, Price ajoute à ses actifs dans la région une douzaine de lots le long de la rivière du Sud situés à des endroits stratégiques pour la construction de barrages. Il ne néglige rien pour assurer le succès de ses entreprises. 
 
Même si William Price concentre ses activités de coupe dans les comtés de Montmagny, de L’Islet et de Bellechasse, ses activités ont aussi des retombés dans la région de Kamouraska. En effet, il fait affaire avec la société de Pierre-Thomas Casgrain et Charles-Hilaire Têtu, de Rivière-Ouelle pour l’approvisionnement de ses importants chantiers du Saguenay en foin et en grain. 
 
Au recensement de 1871, la scierie Price de Saint-Thomas n’est encore que la troisième plus importante de la Côte-du-Sud. Elle emploie une soixantaine de personnes. En fait, ce sont les fils du fondateur de la dynastie, réunis sous la raison sociale Price Brothers, qui permettent à l’entreprise de devancer toutes les autres dans la région. Après le décès de leur père, en 1867, les frères Price se dotent d’une nouvelle cour à Saint-Thomas pour entreposer leur bois et ils obtiennent du conseil municipal l’autorisation d’aménager une dalle pour faciliter le flottage des billots. Après le décès de Léandre Méthot, en 1881, la Price Brothers prend le contrôle de cette importante entreprise de Cap-Saint-Ignace. En 1891, Evan-John Price, le seul survivant des trois frères, fait construire une scierie à vapeur à Saint-Thomas, qui accroît la capacité de production de 125 000 à 500 000 billots par saison. 
 
La Price Brothers vers 1900
 
Au début du 20e siècle, la Price Brothers est la plus importante compagnie de la Côte-du-Sud. Elle détient à elle seule près de 600 kilomètres carrés de limites forestières dans les comtés de Montmagny, l’Islet et Bellechasse et possède à Montmagny, au Cap Saint-Ignace et au village de Trois-Saumons, d’importantes scieries qui requièrent, bon an, mal an, les services de 300 à 400 hommes. Les chantiers procurent en outre un emploi saisonnier à plus de mille personnes. 
 
La principale scierie de la compagnie Price est située à Montmagny, sur les bords de la rivière du Sud, à proximité de la gare. Eugène Rouillard écrit en 1900 : « Les opérations de la maison Price dans cette partie du pays augmentent d’année en année. Aussi, fait-on de grands travaux pour répondre aux besoins toujours grandissants du marché. Un planeur électrique vient d’être construit dans le voisinage des quais du bassin de Montmagny; de plus, la maison Price a fait, en ces derniers temps, l’acquisition d’une assez grande partie des lots de grève du bassin, afin de prolonger ses quais qui serviront à recevoir son bois. »
 
Les madriers qui sortent des scieries Price sont destinés à l’exportation, surtout en Angleterre, en France, en Espagne et jusqu’aux Indes. L’entreprise possède sa propre flotte de navires de transport. L’épinette, qui domine dans les forêts du haut de Montmagny et de L’Islet, reste en 1900 la principale essence exploitée par l’entreprise. Cependant, un nouveau marché apparaît à la fin du siècle avec le développement de l’industrie des pâtes et papiers.
 
Le départ des Price de la Côte-du-Sud
 
À la mort de Evan-John Price, c’est son neveu William III qui hérite de l’entreprise forestière. Dans un effort de diversification, il met sur pied la Montmagny Light and Pulp Company, une entreprise de production de pulpe. La pâte de bois est transportée par bateau jusqu’à l’usine de Kénogami, où elle entre dans la fabrication de papier journal. À la même époque, Price établit aussi un petit chantier maritime au bassin de Montmagny. Cependant, la fabrication de pâte de bois est abandonnée assez vite parce que cette industrie ne peut être exploitée avec profit dans la région. La nouvelle entreprise est liquidée dès 1906.
 
Les activités de sciage de la Price Brothers se poursuivent durant une trentaine d’années. Mais l’entreprise forestière se retire progressivement de la Côte-du-Sud pour concentrer ses affaires au Saguenay et au Bas-Saint-Laurent. L’incendie à l’atelier de construction mécanique situé à Cap-Saint-Ignace, en 1908, marque le début du regroupement des activités de la compagnie à Montmagny. L’ancienne scierie de la pointe de la rivière du Sud est démolie pour faire place à une usine plus moderne en 1912. La scierie de Cap-Saint-Ignace ferme ses portes peu après.
 
En 1920, la nouvelle scierie de Montmagny est à son tour la proie des flammes. Les dirigeants de la Price Brothers décident alors de ne pas reconstruire l’usine, ce qui porte un très dur coup à l’économie de la ville. La compagnie poursuit néanmoins ses activités à l’autre usine durant quelques années. En effet, la conjoncture difficile l’oblige à diminuer sa production à compter de 1927 et le krach boursier de 1929 ne fait qu’accentuer ses difficultés. Finalement, la scierie ferme ses portes en 1938 et les actifs sont acquis par la Collin Lumber l’année suivante.
 
Plus d’un siècle après l’établissement de William Price au moulin à scie des Couillard-Dupuy, à l’embouchure de la rivière du Sud, la compagnie qu’il a mise sur pied quitte la Côte-du-Sud. Aucune autre entreprise n’aura joué un rôle aussi important dans l’histoire de la région. 
 
 
Bibliographie :

Côté, Martine. Industrialisation et urbanisation à Montmagny 1883-1930. Thèse de maîtrise (histoire), Université Laval, 1990. vi-164 p.
Hébert, Yves. Montmagny… une histoire, 1646-1996 : la seigneurie, le village, la ville. Montmagny, Montmagny 1646-1996 inc., 1996. 304 p.
Rouillard, Eugène. La colonisation dans les comtés de Dorchester, Bellechasse, Montmagny, L'Islet, Kamouraska. Québec, [s.n.], 1901. 80 p.
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