Thème :
Société et institutions
Les chemins de colonisation
Jacques Saint-Pierre, historien, 21 août 2002
L’ouverture des chemins est l’un des principaux moyens dont dispose le gouvernement pour encourager la colonisation. Sur la Côte-du-Sud, plusieurs chemins sont tracés vers 1850 afin de relier les anciens établissements du littoral du Saint-Laurent aux cantons de l’arrière-pays des Appalaches. La route des Commissaires, dans le comté de Montmagny, et la route Elgin, dans celui de L’Islet, représentent deux axes majeurs du réseau routier régional au 19e siècle parce qu’elles facilitent l’occupation des terres de toute la partie centrale de la Côte-du-Sud. Ces voies d’accès perpendiculaires au fleuve se raccordent ensuite au chemin Taché, le long de la frontière américaine.
La route des Commissaires
Les premiers chemins des nouveaux établissements sont de simples sentiers tracés à travers la forêt, où l’on peut circuler à cheval durant l’été. Le chemin de charrette, qui coûte quatre fois plus cher à aménager, est défriché sur trois ou quatre mètres de large et le terrain est pioché et nivelé. On y pratique également un pontage solide de piquets de cèdre dans les lieux humides et marécageux. Il y a un tel chemin de charrette, d’une longueur de trois lieues, qui franchit la moitié de la montagne située en arrière de Saint-Thomas, en 1827. Les habitants de la Rivière-du-Sud réclament des fonds du gouvernement pour l’améliorer et le prolonger jusqu’au cours supérieur de la rivière de l’autre côté de la montagne. Ce bout de route constitue sans doute le premier tronçon de la route des Commissaires.
Ernest Mercier écrit que cette route des Commissaires est construite dans les années 1830. On la nomme ainsi parce qu’elle est utilisée par les agents du gouvernement préposés à la gestion des terres de la Couronne. Le premier commissaire est nommé en 1826 et les terres du canton d’Armagh, qui est situé ne partie en arrière de la seigneurie de Rivière-du-Sud, sont arpentées en 1833. Quinze ans plus tard, la route est carrossable, mais elle ne permet pas le transport de charges lourdes. À l’époque, elle est connue sous le nom de « chemin des Anglais » parce que c’est la route empruntée par les arpenteurs qui tracent la frontière canado-américaine, après la signature du traité Webster-Ashburton, en 1842. La route relie la paroisse de Saint-Thomas au lac Frontière, appelé alors « lac des Anglais ».
En plus de servir les intérêts du gouvernement, cette route est fréquentée par les bûcherons et les premiers colons de Notre-Dame-du-Rosaire, Sainte-Euphémie et Saint-Paul-de-Montminy. Le chemin des Anglais suit à peu près le même tracé que l’actuelle route 283.
La route Elgin
La route Elgin est ouverte officiellement en 1856. Elle part de Saint-Jean-Port-Joli et se rend jusqu’à la frontière américaine après avoir traversé six cantons. Dès 1827, on avait évoqué la possibilité d’ouvrir une voie de communication entre la Côte-du-Sud et la rivière Saint-Jean. Le seigneur Joseph Couillard-Després, de L’Islet, croyait que cette route devait passer vis-à-vis de cette paroisse, où la chaîne de montagnes était plus aisément franchissable qu’ailleurs. Plusieurs fils de cultivateurs souhaitaient d’ailleurs obtenir des terres dans le fief Lessard, en arrière de L’Islet, qui n’était pas encore établi. La route sera finalement construite un peu plus à l’est, dans la seigneurie du Port-Joly.
Le premier rapport de l’agent de colonisation du comté de L’Islet, Stanislas Drapeau, révèle la présence de quelques familles établies au printemps de 1859, qui habitent des abris de fortune ou des cabanes à sucre. Six ans plus tard, Drapeau recense dans le territoire sous sa juridiction 130 familles, représentant une population de 1 100 âmes, qui possèdent une maison beaucoup plus confortable, des bestiaux et une vingtaine d’hectares de terre défrichée en moyenne. Les familles sont regroupées en trois îlots de peuplement qui donneront naissance aux paroisses de Saint-Damase, Sainte-Perpétue et Saint-Pamphile. L’appellation « route Elgin » subsiste dans les limites de Saint-Jean-Port-Joli et de Saint-Aubert. À partir de Saint-Damase, on la désigne comme la route 204.
Le chemin Taché
L’ouverture du chemin Taché à la fin des années 1850 est peut-être le plus puissant stimulant au peuplement de l’arrière-pays de la Côte-du-Sud. Au moment où le chemin de fer du Grand Tronc relie les vieilles paroisses de la plaine, cette nouvelle voie de communication rapproche les colonies dispersées le long de la frontière. Le publiciste Eugène Rouillard écrit au tournant du siècle, en se référant à la marche du peuplement dans le comté de Montmagny : « Il y eut à ce moment une poussée générale, et à mesure que les travaux du chemin avançaient, de hardis pionniers s’emparaient des lots qui le bordaient et fondaient des paroisses qui sont aujourd’hui en pleine voie de prospérité. »
Le projet initial prévoyait que le chemin Taché relierait le haut du comté de Bellechasse à la vallée de la Matapédia, mais la voie ne sera jamais carrossable à l’est de la route Elgin. Dans le comté de Kamouraska, les colons ne vont pas très loin à l’intérieur des terres. Ils préfèrent prendre la direction du Lac-Saint-Jean, où le sol est beaucoup plus facile à cultiver. Même si le prix des lots de colonisation reste assez peu élevé sur la Côte-du-Sud, le gouvernement du Québec décide, en 1873, de distribuer gratuitement les terres situées le long du chemin Taché afin d’accélérer le peuplement. Selon Eugène Rouillard, le chemin Taché est « l’une des plus belles routes de colonisation de la province ». Il correspond aujourd’hui à la section à l’ouest de Saint-Pamphile de la route 204.
La route des Commissaires, la route Elgin et le chemin Taché ne représentent que l’embryon d’un réseau routier qui atteint aujourd’hui plusieurs milliers de kilomètres. D’autres voies de communication sont tracées à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle dans l’arrière-pays sudcôtois pour desservir les nouvelles zones de colonisation. Les rangs parallèles et les routes perpendiculaires à l’axe du fleuve forment un quadrillage, dont la régularité n’est rompue que par certains accidents de terrain.
Bibliographie :
Bas-Canada, Législature, Chambre d’Assemblée. Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, vol. 36. Québec, Neilson & Cowan, 1827. appendice M : Premier rapport du Comité spécial nommé pour s’enquérir s’il est nécessaire d’ouvrir de nouveaux chemins en vue de faciliter de nouveaux établissements et les dépenses d’iceux.
Description des cantons arpentés et des territoires explorés de la province de Québec extraits des rapports officiels d’arpentages qui se trouvent au département des terres ainsi que de ceux de la commission géologique du Canada et autres sources officielles. Québec, Imprimeur de la Reine, 1889. lxxii-955 p.
Mercier, Ernest. Influence du traité Webster-Ashburton sur la colonisation (dans le centre et le haut du comté de Montmagny). La Pocatière, Société historique de la Côte-du-Sud, 1981. 139 p.
Rouillard, Eugène. La colonisation dans les comtés de Dorchester, Bellechasse, Montmagny, L'Islet, Kamouraska. Québec, [s.n.], 1901. 80 p.
Thibault, Charles. Biographie de Stanislas Drapeau : auteur des "Études sur les développements de la colonisation du Bas-Canada" et promoteur des "Sociétés de secours" pour venir en aide au colons défricheurs. Ottawa, A. Bureau & frères, imprimeurs, 1891. 63 p.