Thème :
Société et institutions
Les chapelles de la Côte-du-Sud
Jacques Saint-Pierre, historien, 12 septembre 2002
Les vieilles églises paroissiales sont probablement les plus importants symboles de la foi qui anime les habitants des campagnes québécoises aux siècles passés. Mais plusieurs villages de la Côte-du-Sud conservent aussi des petites chapelles de procession, dont cinq ont le statut de monument historique. Ces édicules représentent également des témoignages très éloquents de la pratique religieuse avant 1960. Enfin, d’autres sanctuaires ont été au tournant du siècle des lieux de pèlerinage importants.
Les premières chapelles
Il faut distinguer les chapelles de procession de celles qui, au début de la colonisation, servent aux offices religieux avant la construction des premières églises. Les plus anciennes chapelles de procession de la Côte-du-Sud qui ont été conservées sont situées à moins d’un kilomètre et de part et d’autre de l’église de Beaumont. L’une des deux, dédiée à la sainte Vierge, remonte probablement à 1740, alors que la seconde vouée à sainte Anne aurait été bâtie vers 1800. Dès 1719, il y a une chapelle à Beaumont. C’est ce premier édicule, qui tombait en ruines en 1740, qui aurait été remplacé par la chapelle actuelle située à l’est du village. Mais à la demande des autorités du diocèse, elle aurait alors été érigée plus proche de l’église, parce que les habitants avaient pris l’habitude de s’y assembler pour certains offices dominicaux.
Une situation semblable se produit à Saint-Thomas à la même époque. Dans ce cas, le lieu de culte est frappé d’interdiction par le diocèse. On justifiera plus tard cette décision radicale par le fait que la chapelle était devenue une occasion de superstitions et de désordres scandaleux. Selon l’abbé Azarie Couillard-Després, les habitants avaient une grande vénération pour cette chapelle érigée à l’écart sur un promontoire rocheux, mais les rassemblements de jeunes gens éveillèrent les soupçons du clergé. En fait, on ne connaît pas le motif exact de la fermeture de la chapelle du rocher. Mais ce qui est certain, c’est que l’évêque de Québec reste très méfiant jusqu’à la fin du 18e siècle envers les chapelles isolées, en raison des événements survenus à Saint-Thomas. Néanmoins les chapelles de procession se multiplient par la suite.
Les pèlerinages à Sainte-Anne-de-Beaupré
Si la dévotion à sainte Anne remonte à la Nouvelle-France, c’est dans le dernier quart du 19e siècle que le pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré devient populaire sur la Côte-du-Sud. Les pèlerins traversent le Saint-Laurent à bord des différents bateaux à vapeur qui font la navette entre les principaux quais de la région et la ville de Québec. À Cap-Saint-Ignace, un premier contingent de 250 pèlerins se rend à Sainte-Anne-de-Beaupré en 1876. Ils sont au nombre de 340 en 1877 et de 450 en 1878, année où les rédemptoristes prennent en charge le sanctuaire.
Un observateur américain, qui accompagne à Sainte-Anne un groupe de paroissiens de Saint-Jean-Port-Joli et des environs au début de la décennie 1880, raconte que les pèlerinages sont organisés à l’initiative du curé et d’un marchand. Les pèlerins s’embarquent très tôt le matin à bord du bateau affrété en emportant leur panier de provisions pour la journée. Durant le trajet, ils chantent et récitent leur chapelet. Les prêtres emportent aussi des confessionnaux portatifs qui permettent aux fidèles de se préparer à recevoir l’eucharistie en faisant d’abord pénitence. Il semble que la dévotion à Sainte-Anne soit beaucoup plus populaire auprès des femmes que des hommes. Il est possible cependant que les hommes soient moins nombreux à se rendre au sanctuaire simplement parce que la fête de Sainte-Anne coïncide avec le début des récoltes.
Les lieux de pèlerinage locaux
Le plus ancien lieu de pèlerinage de la Côte-du-Sud se trouve à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, où les Autochtones du Bas-Saint-Laurent et des Maritimes s’arrêtent pour prier la mère de la Vierge durant leur périple annuel à Sainte-Anne-de-Beaupré. À l’invitation du curé Georges-Raphaël Fraser, l’église de Sainte-Anne-de-la-Pocatière accueille aussi, à la fin du 19e siècle, les habitants des paroisses environnantes et ceux du quartier populaire Saint-Roch, à Québec. Durant une dizaine d’années, ces derniers s’y rendent en train prier la « bonne sainte Anne ». Quant aux pèlerins du voisinage, ils se rendront à Sainte-Anne jusque vers 1950.
La popularité des pèlerinages incite d’autres curés de la Côte-du-Sud à créer des sanctuaires locaux. C’est le cas à Saint-Damien, où l’abbé Joseph-Onésime Brousseau fait ériger près de son orphelinat une chapelle dédiée à Notre-Dame des Montagnes. Selon Eugène Rouillard, le sanctuaire est fréquenté par dix ou douze mille pèlerins à chaque année au tournant du siècle. À Montmagny, le curé Victor-Odilon Marois bénit, en 1900, une chapelle dans le rang de la Normandie. Connu jusque-là sous le nom de « L’Enfer », ce lieu mal famé devient un lieu de pèlerinage pour les Magnymontois.
La chapelle Notre-Dame de Lourdes de Saint-Michel constitue le principal lieu de pèlerinage de la Côte-du-Sud. Le petit sanctuaire de style gothique est construit en 1879 à l’initiative du curé de la paroisse, l’abbé Jean-Baptiste Napoléon Laliberté. Érigée sur un rocher, la chapelle domine un vaste terrain bordé d’érables où les pèlerins peuvent se regrouper pour entendre la messe ou pour faire une prière à la Vierge. Elle devient un lieu de pèlerinage très réputé dans la région. Le 15 août 1886, par exemple, 5 000 à 6 000 personnes se retrouvent à Saint-Michel pour participer à une procession aux flambeaux. Le sanctuaire périclite cependant par la suite.
Les chapelles de la Côte-du-Sud constituent un élément important du patrimoine régional. Au même titre que les églises, elles sont l’expression de la piété populaire et une manifestation du sens communautaire. Au tournant du siècle, certaines chapelles sont même devenues des lieux de pèlerinage à vocation régionale, mais la proximité de Sainte-Anne-de-Beaupré a sans doute nui au développement de ces sanctuaires.
Bibliographie :
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