Thème :
Société et institutions
Les exploits du capitaine Joseph-Elzéar Bernier
Jacques Saint-Pierre, historien, 10 juillet 2002
La Côte-du-Sud est une pépinière de marins, dont le plus illustre est sans contredit le capitaine Bernier. Originaire de L’Islet-sur-Mer, Joseph-Elzéar Bernier voit le jour le 1er janvier 1852 et il décède à Lévis le 16 décembre 1934. Son père Thomas et son grand-père sont des capitaines de métier, comme plusieurs de ses ancêtres. La carrière de navigateur de J.-E. Bernier apparaît comme un long roman d’aventure dont la prise de possession des îles de l’Arctique au nom du Canada marque l’aboutissement.
Capitaine au long cours à 17 ans
Marin dans l’âme, Joseph-Elzéar Bernier suit très tôt les traces de son père. Dès l’âge de deux ans, il est sur le Zillah commandé par celui-ci, lors de la guerre de Crimée. C’est son baptême de la mer. Il quitte l’école du village très tôt, à 14 ans, pour aller naviguer avec son père et ses frères. Au terme de son apprentissage comme mousse sur le brigantin Saint-Joseph, construit par son père, il s’en voit confier le commandement alors qu’il n’a que 17 ans. Il prend ensuite charge du brigantin Saint-Michel à bord duquel il navigue jusqu’en 1871. À ce moment, il est embauché par l’armateur W.H. Ross. C’est le début d’une longue carrière au cours de laquelle le capitaine Bernier pilote plusieurs voiliers construits à Québec lors de leur voyage inaugural en Angleterre ou vers d’autres destinations. Après la firme Ross, il travaille pour P. Baldwin, puis pour plusieurs autres armateurs québécois et étrangers.
En 1895, il abandonne la navigation pour accepter le poste assez prestigieux de gouverneur de la prison de Québec. Il compte alors plus de 100 voyages au long cours, principalement entre l’Amérique du Nord et l’Europe, mais aussi en Amérique du Sud, en Afrique et en Australie. Son journal de bord ne rapporte aucun accident majeur durant tous ces voyages, ce qui dénote chez lui une très bonne connaissance de la navigation hauturière. Le vieux loup de mer veille toujours à éviter les tempêtes plutôt qu’à défier les éléments naturels.
Le capitaine Bernier commence à s’intéresser sérieusement à l’Arctique en 1871, au moment de la dernière expédition polaire de l’Américain Charles Francis Hall. Il accumule par la suite cartes et livres sur les diverses expéditions dans l’océan Arctique. Ces documents nourrissent sa réflexion sur la navigation dans les eaux polaires et l’amènent à tracer la route qu’il suivra lors de ses expéditions. Mais il lui faut convaincre au préalable le gouvernement canadien de l’importance d’affirmer sa souveraineté sur les îles de l’Arctique par une prise de possession officielle de cet immense territoire vers lequel lorgnent plusieurs pays. Après avoir obtenu le soutien des milieux scientifiques, il réussit à persuader le gouvernement de Wilfrid Laurier de financer une expédition polaire canadienne.
La souveraineté du Canada dans l’Arctique
En 1904, le capitaine Bernier est autorisé à acheter un navire allemand, qu’il baptise Arctic. Il se prépare pour une expédition de cinq ans. Celle-ci est cependant contremandée à la dernière minute et le navire est chargé plutôt d’établir une série de postes de la Gendarmerie royale à la baie d’Hudson. Le capitaine Bernier en profite pour mener quelques études, notamment sur le mouvement des glaces dans la région. Il repart en 1906 avec mission de prendre possession de l’archipel de l’Arctique au nom du gouvernement canadien. Il se rend alors jusqu’à la terre de Baffin et à l’archipel Parry. Il conduit une autre expédition en 1908 qui l’amène jusqu’aux îles Banks et Melville. Le 1er juillet 1909, l’explorateur pose sur l’île Melville une plaque attestant la prise de possession de tout l’archipel arctique au nom du Canada.
Au total, le capitaine Bernier effectue douze voyages dans l’Arctique et y séjourne durant huit hivers. Après les missions officielles de 1906, 1908 et 1910 pour le ministère de la Marine, il doit céder son poste à la suite du changement de gouvernement. Les expéditions qu’il effectue à titre privé, en 1913, en 1914 et en 1916, sont de nature commerciale. En effet, il établit trois postes de traite des fourrures à l’inlet Pond au nord de l’île de Baffin, qu’il exploitera jusqu’en 1920. À compter de 1917, il se consacre au transport du courrier et à l’approvisionnement des villages du golfe Saint-Laurent et du Labrador à bord du Guide, un navire à vapeur acheté en Écosse en 1914. Il n’en continue pas moins de se préoccuper de la question de la souveraineté du Canada dans l’Arctique.
Après la fin de la guerre, le gouvernement canadien s’interroge sur les moyens à prendre pour renforcer sa présence dans l’Arctique. À la suite de recommandations d’un comité ministériel, le gouvernement conservateur dirigé par Arthur Meighen recommande la mise en place d’une infrastructure pour y exercer la juridiction canadienne. C’est ainsi que le capitaine Bernier est appelé à reprendre du service à bord de l’Arctic afin de patrouiller dans l’est de l’Arctique. De 1922 à 1925, il est donc chargé d’émettre des permis aux baleiniers et aux pêcheurs étrangers fréquentant les eaux territoriales canadiennes et de collaborer à l’établissement de postes de la Gendarmerie royale du Canada et d’assurer ensuite leur ravitaillement.
Le capitaine Bernier n’a jamais pu réaliser son rêve d’atteindre le pôle nord. Cependant, il est un personnage marquant de l’histoire de l’Arctique canadien en raison du rôle qu’il joue dans l’affirmation de la souveraineté du pays sur ce vaste territoire. Les marins de la Côte-du-Sud ont voulu honorer la mémoire de leur illustre prédécesseur en érigeant un monument dans sa paroisse natale en 1962. Dix ans plus tard, le Musée maritime Bernier (devenu depuis Musée maritime du Québec) ouvrait ses portes aussi à L’Islet.
Bibliographie :
Bélanger, Léon. L'Islet, 1677-1977. [S.l., s.n.], c1977. xvii-191 p.
Dorion-Robitaille, Yolande. Le capitaine J.-E. Bernier et la souveraineté du Canada dans l’Arctique. [Ottawa], Ministère des Affaires indiennes et du Nord, c1978. 110 p.
« Joseph Bernier revendique l’archipel arctique pour le Canada ». In Bibliothèque nationale du Canada. Les voies de la découverte. L’exploration du Canada. [En ligne] http://www.nlc-bnc.ca/2/24/h24-1920-f.html (Page consultée le 9 juillet 2002).