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Contes, légendes et chansons
Thème : Culture

Contes, légendes et chansons

Jacques Saint-Pierre, historien, 13 janvier 2004


La Côte-du-Sud est un coin de pays au folklore très riche. La littérature orale, en particulier, y a longtemps animé les veillées au coin du feu. Ces récits traditionnels, qui ont été repris et/ou modifiés par des écrivains de la seconde moitié du 19e siècle, comme l’abbé Henri-Raymond Casgrain, ou encore recueillis directement auprès des conteurs par des spécialistes du folklore comme Marius Barbeau et Luc Lacourcière, au 20e siècle, ont pu ainsi être préservés jusqu’à aujourd’hui. 
 
Les conteurs d’autrefois
 
Issus de la tradition orale, les contes sont des histoires merveilleuses qui sont remodelées sans cesse par les différents conteurs et conteuses qui en assurent la transmission d’une génération à l’autre. Ces récits s’adressent tant aux enfants qu’aux adultes. Aux premiers, ils donnent des frissons s’il s’agit d’histoires de revenants et de sorcières ou les aident, au contraire, à faire de beaux rêves quand ils mettent en scène des bons génies ou des fées. Aux seconds, les histoires plus ou moins fantastiques racontées au coin du feu permettent de s’évader de leur quotidien. Le père Romain Chouinard, compagnon de chasse et de pêche de Philippe Aubert de Gaspé, est l’un de ses conteurs intarissables.
 
Jusqu’au début du 20e siècle, la verve des conteurs et conteuses égaie les longues soirées à la campagne. La littérature orale est ensuite supplantée par l’écrit. Le sociologue Horace Miner écrit à ce propos en 1936 :

Il y a une génération, les conteurs et les conteuses étaient de bien des veillées. À présent, il ne reste plus un seul conteur dans la paroisse [de Saint-Denis] et très peu dans la région. L’alphabétisation généralisée a rendu désuet le rôle de conteur. Il a été tout d’abord supplanté par la lecture à haute voix, qui a été aujourd’hui abandonnée pour la lecture individuelle. Les légendes locales sont tombées dans l’oubli, en même temps que disparaissait le conteur. En fait, plusieurs de ces récits légendaires ont été conservés. 
 
Ermite, fantôme, loup-garou
 
L’ermite de Kamouraska est l’un de ces récits où la vérité se mêle à la légende. Réfugié à la montage à Cotton, près de Saint-Pascal, il est dépeint tantôt comme un homme d’une grande piété, tantôt comme un vulgaire voleur. Cet ermite a bel et bien existé; il est arrivé à Québec en 1714. Moine bénédictin de tendance janséniste, dom Georges-François Poulet avait choisi de vivre reclus à Trois-Pistoles, une seigneurie qui était à ce moment-là complètement isolée. Appelé à rentrer en France par ses supérieurs, don Poulet a été menacé d’excommunication par Mgr Jean-Baptiste de Saint-Vallier. Mais il a pu compter sur la protection de ses amis de Kamouraska qui l’ont ramené chez eux au moment après qu’il ait été hospitalisé à Québec. 
 
La Corriveau est probablement la légende sudcôtoise la plus connue. Fille de Saint-Vallier, Marie-Josephte Corriveau se marie en 1749 à Charles Bouchard, un cultivateur de la même paroisse. Ce dernier meurt en 1760 et la jeune veuve se remarie quinze mois plus tard à un autre cultivateur de l’endroit, Louis Dodier. Celui-ci est trouvé mort peu après, gisant dans son écurie à côté de son cheval. On conclut d’abord à un accident, mais l’enquête démontre que le malheureux était déjà mort quand on a traîné son corps jusqu'à l’écurie. L’épouse de Dodier et son père sont traduits devant une cour martiale. Pour éviter le châtiment à sa fille, Joseph Corriveau passe d’abord aux aveux, mais il revient ensuite sur son témoignage. Lors d’un nouveau procès, Marie-Josephte Corriveau est reconnue seule coupable du meurtre et elle est condamnée à la pendaison, sa dépouille devant être exposée à la vue du public. C’est le macabre spectacle de ce cadavre suspendu dans une cage de fer à l’intersection des quatre chemins de Saint-Joseph de Lévis, où devaient passer tous les Sudcôtois qui se rendaient au marché de Québec pour vendre leurs denrées, qui explique la triste notoriété de la Corriveau. La disparition mystérieuse du corps, qui a été enseveli à l’extérieur du cimetière de Lévis, et les récits de ceux qui avaient entendu, la nuit, le cliquetis des ossements et le grincement des crochets de fer ont fait passer la Corriveau dans le domaine de la légende, pour reprendre les mots de Philippe Aubert de Gaspé.
 
La légende du loup-garou de Kamouraska est tout aussi intéressante. Elle témoigne surtout de la persistance d’une vieille superstition voulant que ceux qui manquent à l’obligation de faire leurs Pâques durant sept années consécutives se transforment la nuit en loups féroces. Dans son édition du 14 juillet 1766, la Gazette de Québec exhorte la population à se méfier d’un loup-garou, qui a été aperçu pour la première fois aux environs de Saint-Roch-des-Aulnaies. On dit que la bête maléfique aborde les gens sous les traits d’un mendiant. Elle refait surface dans les colonnes du journal à la fin de l’automne de l’année suivante, lorsque l’on annonce que la créature a été blessée à plusieurs reprises par d’autres animaux lancés à sa poursuite, mais qu’elle court toujours dans les parages de Kamouraska. D’après la croyance populaire, il faut tirer du sang de la personne ensorcelée pour la libérer. 
 
Les chansons
 
La chanson est une autre forme d’expression populaire dans la seconde moitié du 19e siècle. Gabriel Griffard, qui a été domestique de l’un des voisins de l’abbé Henri-Raymond Casgrain est célèbre dans toute la région pour les complaintes qu’il compose en diverses circonstances. Philippe Aubert de Gaspé écrit : « C’est le poëte en vogue de la côte du sud. Ses complaintes sont chantées dans toutes les paroisses. On se réunit dans les maisons pour le faire chanter; et plus d’une fois on a vu son auditoire tout en larmes à la fin de ses complaintes. Il faut que cet homme ait un véritable talent pour produire une telle émotion sur ceux qui l’écoutent. » Louis Martineau, connu comme le père Lizotte, de Saint-François est un autre de ces poètes locaux. On dit qu’il chanté presque tous les événements les plus importants de la paroisse auxquels il a pris part. On connaît aussi des textes de chansons satyriques sur des politiciens, mais la plus grande partie des compositions de ces troubadours restera à jamais inconnue. 
 
Les temps ont bien changé depuis cette époque. La fonction de divertissement est aujourd’hui laissée à des artistes professionnels que les gens vont voir en tant que simples spectateurs. Il faut toutefois se réjouir du fait que cette littérature orale ne soit pas complètement disparue.
 
 
Bibliographie :

Aubert de Gaspé, Philippe. Mémoires. Montréal, Éditions Fides, 1971. 435 p.
Bonneau, Louis-Philippe. Notes d’histoires de St-François par Charles Trudelle, curé de 1854 à 1876 à St-François. Manuscrit dactylographié, s.d. 57 p.
Casgrain, Henri-Raymond. Philippe Aubert de Gaspé. Québec, Léger Brousseau, 1871. 125 p.
Miner, Horace. Saint-Denis : un village québécois. Présentation de Jean-Charles Falardeau. Montréal, Hurtubise HMH, 1985. 392 p. Coll. « Sciences de l’homme et humanisme », n11.
Paradis, Alexandre. Kamouraska (1674-1948). Kamouraska, Conseil de la Fabrique, 1984). xix-337 p. (Réédition de l’ouvrage original paru en 1948).
 
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