Thème :
Société et institutions
Les croix de chemin dans Charlevoix
Serge Gauthier Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. Notre-Dame-des-Monts., 1er octobre 2002
La pratique d’élever des croix le long des chemins existe dès l’origine des premiers peuplements sédentaires dans Charlevoix soit à partir du XVIIe siècle. Les croix de chemin se font encore plus nombreuses dans la région au XIXe siècle avec l’apparition des rangs de l’arrière-pays. En effet, les habitants des rangs parfois fort éloignés de l’église paroissiale érigent des croix de chemin afin de marquer un signe d’appartenance religieuse proche de leur lieu de résidence. Le site de la croix de chemin devient ainsi un lieu de rassemblements pour les dévotions religieuses des habitants des rangs. Cette pratique d’élever des croix de chemin subsiste jusqu’à nos jours et il arrive encore en 2002 que de nouvelles croix soient érigées.
En 1990, une enquête menée par les responsables pastoraux de la région permet de relever 115 croix de chemin encore debout sur l’ensemble du territoire de Charlevoix. Trois types de croix sont signalés: la croix simple, la croix décorée avec des instruments associés à la Passion du Christ et le calvaire. Selon le relevé de 1990, la croix simple ne comprenant aucune décoration est la plus fréquente avec 87 spécimens dans Charlevoix. La croix décorée avec des instruments associées à la Passion du Christ (particulièrement la lance, la couronne d’épines, le marteau, les clous, l’échelle, le pot d’eau) compte alors 14 spécimens. Le calvaire sur lequel est placé une figuration du Christ en croix mais aussi parfois de la Vierge, de saint Jean ou encore de Marie Madeleine ou des larrons et qui possède habituellement un abri se retrouve à quatorze occasions le long des routes de Charlevoix en 1990.
En 1990, toutes les paroisses de Charlevoix possèdent encore au moins une croix de chemin. Ce sont dans les secteurs plus urbanisés de La Malbaie, Baie-Saint-Paul et Clermont que se retrouvent le moins grand nombre de croix de chemin. Par contre, il existe une croix de chemin dans presque tous les rangs de la région. L’île aux Coudres est l’endroit où se retrouve le plus grand nombre de croix avec 17 croix recensées en 1990. Un fait historique local explique ce phénomène tel que relaté dans le relevé du conseil de pastorale de Charlevoix:
« En effet, en ce temps-là sévissait une terrible épidémie de tourtes qui détruisit les récoltes. Le curé du temps fit une procession du Saint-Sacrement tout autour de l’île aux Coudres en vue de freiner la menace. Dès le lendemain, une averse épouvantable s’abattait sur toute l’île et qui tua des centaines de tourtes. Suite à cet événement, les insulaires firent ériger des croix dans chaque canton de l’île aux Coudres en guise de remerciement. Ce fait explique la présence de nombreuses croix sur l’île et aussi pourquoi les habitants du lieu les préservent avec respect depuis toutes ces années. »
Le 6 septembre 1535, Jacques Cartier fait élever une croix à l’île aux Coudres dans le secteur connu par la suite sous le nom de “ mouillage des français ”. Une croix de pierre élevée le 23 septembre 1928 à l’île aux Coudres par la Commission des sites et monuments historiques du Canada commémore cet événement. Se retrouve aussi à l’île aux Coudres un très beau calvaire en bois sculpté par l’artiste Louis Jobin situé en la section de l’île connue sous le nom de La Baleine non loin de la résidence de monsieur Gédéon Desmeules. Sur le domaine de l’artiste Jean-Paul Lemieux qui a longtemps résidé à l’île aux Coudres, il est possible d’apercevoir une croix de chemin en fer très ancienne datant de plus de cent ans et qui a été transporté du rang saint Laurent à Baie-Saint-Paul à l’île aux Coudres par le peintre lui-même. Ce geste cause d’ailleurs un grand désarroi chez les anciens de ce rang de Baie-Saint-Paul qui réclament durant longtemps le retour de leur croix sur leur territoire. Bien des artistes canadiens ont reproduit des croix de chemin de Charlevoix sur leurs tableaux: la peinture de Clarence Gagnon intitulée « une croix de chemin » reste la plus célèbre à ce chapitre et constitue même un véritable chef-d’œuvre.
Le site de la croix de chemin demeure durant bien des années un lieu de rassemblements communautaires. Surtout durant le mois de Marie en mai ou encore en octobre pour le mois du Rosaire. Il semble que ces réunions de prières autour de la croix soient aussi des occasions pour les jeunes de la paroisse de se rencontrer et même de se fréquenter: bien des futurs mariages se seraient même préparés autour de la croix de chemin. Le paysan de Charlevoix se retourne vers la croix de chemin pour la prière de l’Angélus à chaque midi. En 1776, Thomas Anburry un officier de l’armée anglaise, se plaint avec exaspération dans une de ses lettres, des dévotions des Canadiens français envers les croix de chemin: « Ces croix élevées dans une bonne intention sont une cause de retard, raconte-t-il... car le conducteur d’une calèche...arrive près d’une de ses croix se met à genoux et récite une longue prière, quelque soit la rigueur de la saison.. »
Toutes ces coutumes sont aujourd’hui chose du passé. Pourtant, même de nos jours, les croix de chemin sont entretenues dans Charlevoix et elles ont même fait l’objet de projets de restauration dans certaines localités comme ce fut le cas à Saint-Aimé-des-Lacs de 1997 et jusqu’à 2002.
Bibliographie :
Gauthier, Serge et al. Les croix de chemin dans Charlevoix: un héritage à conserver. Pointe-au-Pic, Conseil régional de pastorale de Charlevoix, 1990. 75 p.