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Un épisode guerrier à Baie-Saint-Paul en 1759
Thème : Société et institutions

Un épisode guerrier à Baie-Saint-Paul en 1759

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 4 juin 2002

 
L’année 1759 est marquée par la bataille des Plaines d’Abraham à Québec. C’est le début de la Conquête anglaise. Ailleurs en région, quelques épisodes guerriers se produisent aussi, comme c’est le cas à Baie-Saint-Paul où se vit alors « tout un été de guerre ».
 
En effet, l’année s’annonce sous de bien mauvais auspices en 1759 pour la population de Baie-Saint-Paul. La rumeur de la venue prochaine de l’envahisseur anglais provoque une réelle inquiétude. Dès les premiers jours du printemps, des navires anglais se pointent à l’horizon. Toute la population de l’île aux Coudres se refugie bientôt à Baie-Saint-Paul où elle rejoint les résidents du secteur abrités dans des cabanes construites en forêt spécialement pour la circonstance. L’atmosphère est à la crainte. Les habitants ont peur que le village soit entièrement détruit par l’ennemi anglais.
 
De fait, les forces anglaises s’installent à l’île aux Coudres, transformée en avant-poste des hostilités à venir. C’est une étape importante de la stratégie anglaise visant à s’emparer de Québec. Il y a bien des miliciens canadiens qui tentent de résister aux anglais, mais leurs moyens de défense sont dérisoires et leur nombre nettement insuffisant. Certains miliciens canadiens s’aventurent toutefois sur l’île aux Coudres afin d’observer les activités des Anglais. Ils veulent constater si ces derniers ont fait des dégâts aux bâtiments de l’île. Ces miliciens canadiens réussisent même à capturer deux soldats anglais lors d’une de ces expéditions. Sans délai, les Anglais répondent à ce fait en débarquant sur la rive de Baie-Saint-Paul en août 1759.
 
Les Anglais pourchassent alors sans merci les miliciens canadiens jusqu’à La Malbaie. Les soldats anglais incendient toute la côte et ils brûlent plus d’une cinquantaine de fermes et de granges. Ils rasent tous les bâtiments existants à La Malbaie. Cependant, les Anglais ne font pas brûler l’église paroissiale et le manoir seigneurial de Baie-Saint-Paul. Ils détruisent surtout des propriétés appartenent à des milicens canadiens. Ils font trois prisonniers : Charles Desmeules qui meurt scalpé, un dénommé Tremblay pendu à la vergue d’un navire et Jean-Baptiste Grenon impossible à maîtriser et relâché par les Anglais à cause de sa force physique herculéenne. Outre ce moment difficile, le passage de l’administration française à celle des Anglais se serait passé sans histoire ou presque dans le secteur.
 
Une légende raconte que les Anglais ont mis fin à leur dévastation après avoir entendu le cri des oies. Cette anecdote connue sous le nom « des oies de la Baie-saint-Paul » n’a pas de fondement historique. Elle a été racontée pour la première fois en 1916 par J.-Hidola Simard, un magistrat originaire de Baie-Saint-Paul. Ce dernier s’est sans doute inspiré de la légende « des oies de Rome » afin de construire son récit légendaire. L’histoire est néanmoins amusante et fort pittoresque:
 
« Alors, comme un éclair, une idée jaillit dans la tête de l’un des hommes et le mot d’ordre courut qu’il fallait au plus vite mettre la main sur toutes les oies à trouver sur place. « Allez, partez avec elles sous le bras et faites-les crier le plus possible. » Et tous usant du stratagème comme d’un ultime recours, de s’élancer tel un bataillon bien armé à la rencontre de l’envahisseur. Or, dès que les Anglais entendent retentir le cri des oies affolées, ils comprennent que c’est un parti des terribles Abénakis qui va fondre sur eux. Il n’y a plus rien pour les retenir de céder à la panique. Tout aussitôt ils tournent les talons et prennent la fuite. »
 
Après la capitulation de Québec, le 13 septembre 1759, les habitants de Baie-saint-Paul et de l’île aux Coudres regagnent leurs domiciles. Ils reconstruisent bientôt ce qui a été détruit et ils reprennent leur vie habituelle. Une courte période de famine est ressentie mais bien vite la vie normale reprend. Les Anglais découvrent le lieu et ils semblent vite l’apprécier. De passage à Baie-Saint-Paul en 1759, John Knox, un soldat britannique écrit dans son journal le passage suivant : « Je crois que jamais je n’ai vu établissement situé dans un endroit aussi enviable; les habitations paraissent bien entretenues et fort convenables. » L’heure est déjà à la réconciliation après un triste mais court été de guerre.
 

Bibliographie :

Tremblay, Jean-Paul-Médéric. Tout un été de guerre. Baie-Saint-Paul, Société d’histoire de Charlevoix, 1986. 116 p. 
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