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Clermont, une ville ouvrière (1935-2002)
Thème : Économie

Clermont, une ville ouvrière (1935-2002)

Christian Harvey. Historien. Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 27 septembre 2002


La ville de Clermont, unique milieu industriel de Charlevoix, doit sa fondation à un poète de renom, l’abbé Félix-Antoine Savard (1896-1982). Homme d’église et écrivain, il est l’auteur notamment du roman Menaud. Maître-Draveur (1937), devenu un classique de la littérature canadienne-française. Il aurait voulu par la choix du nom de Clermont rendre hommage au philosophe Blaise Pascal né dans la ville française de Clermont-Ferrand. Félix-Antoine Savard, dans l’esprit de l’encyclique Rerum Novarum de l’Église catholique, cherche à structurer dans les années 1930 sur le plan religieux, municipal, scolaire et syndical ce petit hameau ouvrier rattaché à La Malbaie dont la papetière Donohue est le principal employeur. 
 
Dès 1800, les premiers colons s’installent dans l’actuel secteur de Clermont alors nommé « Chute Nairne ». La majorité de sa population pratique à l’origine l’agriculture. Des moulins à scie et à farine, des boutiques d’artisans et des commerces font par la suite leur apparition. Clermont se compare alors à bien d’autres localités rurales québécoises. Toutefois, ce petit village attire l’attention au début du 20e siècle. Des entrepreneurs remarquent qu’il existe sur place un potentiel hydroélectrique. Dès 1900, un barrage alimente en électricité La Malbaie est ses environs. La porte est ouverte à un développement industriel. 
 
Rodolphe Forget fonde en 1909 la East Canada Power and Pulp. Le marché des pâtes et papiers connaît à ce moment une croissance phénoménale. Forget désire profiter de cette occasion et fait construire en 1911 la première usine de pâtes dont les activités débutent en 1912. C’est toutefois autour de 1936, sous la direction des frères Timothée et Charles Donohue que l’usine de pâtes et papiers connaît une activité sur une base permanente. De 60 à 75 employés au début des opérations, l’usine embauche près de 250 en 1941. Une classe ouvrière s’impose alors à Clermont ce qui provoque des changements. Les ouvriers vivent d’une façon différente des agriculteurs et la société clermontoise se transforme au niveau socioculturel. Le milieu rural et agricole n’est plus aussi majoritaire à Clermont. Un véritable cadre institutionnel manque à la Chute Nairne afin de faire face à ces transformations profondes. 
 
Félix-Antoine Savard, alors vicaire dans la paroisse de Saint-Étienne-de-la-Malbaie, se rend faire son ministère à la Chute Nairne à l’École Dollard-des-Ormeaux (ou « l’école jaune » pour la population locale). Il écoute les doléances de ses paroissiens un peu laissés à eux-mêmes et éloignés de l’église paroissiale. Il faudrait selon eux un temple paroissial à la Chute Nairne pour remédier à ce problème. L’idée n’enchante toutefois pas le curé de La Malbaie, le chanoine Philippe Tremblay. L’entretien de l’église coûte cher et le retrait d’une partie des paroissiens pourrait rendre précaire la situation financière de la fabrique. Félix-Antoine Savard ne démord pas et rédige à la demande des résidents de la Chute Nairne une requête à l’évêque de Chicoutimi, Mgr Charles Lamarche, afin d’obtenir l’érection canonique de la nouvelle paroisse. La demande est acceptée le 17 septembre 1931 et la paroisse de Saint-Philippe-de-la-Chute-Nairn est formée. La liturgie à Clermont dès lors peut mieux tenir compte du contexte ouvrier de la localité. 
 
Félix-Antoine Savard et de nombreux paroissiens voient de plus à l’érection civile de la paroisse. Le 16 février 1935, la municipalité de Clermont est formée à son tour d’un détachement de La Malbaie paroisse. La constitution d’un véritable milieu autonome se poursuite par la suite avec la formation d’un syndicat ouvrier à la Donohue grâce au travail de l’abbé Alfred Bergeron et de Lucien Gaudreault (1935), une commission scolaire indépendante (1937) et une coopérative d’alimentation (1939). La démarche de Félix-Antoine Savard s’inscrit dans celle de l’encyclique Rerum Novarum (1891) développée par la pape Léon XIII. L’Église doit s’intéresser à l’amélioration du sort de la classe ouvrière si elle veut maintenir la religion chez ce groupe social. L’abbé Antoine Grenier, successeurs de Savard comme curé de Clermont de 1945 à 1957, développe dans le même esprit le projet d’aménager la montagne de la Croix, un véritable projet d’Église en milieu ouvrier. Toutefois, la pratique religieuse recule. 
 
Le paysage de Clermont se modifie avec la croissance de sa population qui suit les le nombre de nouveaux embauchés par la Donohue. L’usine emploie près de 450 employés dans les années 1960 et près de 950 (dont 350 en forêt) en 1971. Les terres agricoles de la localité se transforment dans les années 1960 et 1970 en développements résidentiels. Clermont obtient en 1967 le statut de ville. Le secteur des services demeure toutefois peu développé comparativement au chef-lieu régional de La Malbaie. Dans les années 1990, de nouveaux projets comme le réaménagement de la Montagne de la Croix et le projet des Berges viennent doter Clermont d’infrastructures récréatives et touristiques intéressantes. 
 
Bibliographie :

Serge Gauthier. « 1931-1945. Clermont au temps de Félix-Antoine Savard », Revue d’histoire de Charlevoix, 23, mai 1996, p. 10-17. 
Serge Gauthier et Christian Harvey. « La Montagne de la Croix de Clermont : un projet d’Église en milieu ouvrier », Revue d’histoire de Charlevoix, 36, mai 2001, p. 2-6. 
 
 
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