Thème :
Société et institutions
Le cimetière des Picotés à La Malbaie
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. Notre-Dame-des-Monts, 26 septembre 2002
En 1948, un résident de La Malbaie, Freddy Dassylva, achète un terrain non loin de la gare de la municipalité. Il pense y faire construire une maison. Il engage donc des ouvriers afin d’en creuser les fondations. L’opération se déroule rondement mais bientôt les ouvriers découvrent de nombreux ossements humains. S’agit-il du meurtre de plusieurs personnes dont les ossements sont enfouis ici depuis on ne sait combien d’années? Une enquête s’ensuit.
L’affaire intrigue la population de La Malbaie et de tout Charlevoix. Finalement, les recherches permettent d’identifier l’existence d’un ancien cimetière datant de 1875 autrefois érigé sur le terrain acheté par Freddy Dassylva. Il s’agit d’un cimetière dont à peu près tout le monde a oublié l’existence et qui avait été créé afin d’accueillir les corps de personnes mortes à la suite d’une épidémie de picote noire (sorte de variole). À l’époque, personne ne s’approchait de ce cimetière entouré d’une clôture en bois par crainte d’attraper la picote.
En 1937, le curé de La Malbaie, le chanoine Philippe Tremblay a fait transporter discrètement les restes des malheureux « picotés » dans le nouveau cimetière de la paroisse situé sur le Cap Fortin. Il semble toutefois que l’entrepreneur chargé du travail a pris peur face à la contagion possible de la picote qu’il a abandonné son travail laissant sur place plusieurs restes et ossements finalement redécouverts en 1948.
Le site est alors totalement ratissé. Les ossements retrouvés sont finalement transportés au cimetière de La Malbaie. Freddy Dassylva a pu par la suite ériger sa maison. De nombreuses résidences se sont ainsi construites dans ce secteur aujourd’hui entièrement habité. Et plus personne ne semble se souvenir du cimetière des picotés de La Malbaie.
Pourtant cette anecdote historique témoigne d’une époque où les contagieux étaient totalement isolés du reste de la population au point de ne pouvoir trouver une sépulture dans le cimetière paroissial. Au XIXe siècle de nombreuses paroisses de Charlevoix sont ainsi décimées par la picote noire et il est probable qu’il s’y trouve aussi des anciens cimetières de Picotés. En ce temps-là, tous croyaient qu’il fallait ensevelir dans un coin isolé les victimes de maladies contagieuses afin d’éviter les risques de propagation. Cette conception est aujourd’hui dépassée et les cimetières de Picotés font désormais partie d’une histoire ancienne que la mémoire populaire s’empresse bien vite d’oublier. Mais seulement jusqu’à la découverte d’ossements humains comme ce fut le cas à La Malbaie en 1948 sur le terrain du pauvre Freddy Dassylva qui ne s’en formalisa pas et il a vécu longtemps sur ce site sans s’inquiéter du sombre passé du lieu.
Bibliographie :
Frenette, François-Xavier. Notes historiques sur la paroisse de La Malbaie. La Malbaie, s.é, 1952. 94 p.
Gauthier, Serge. « Le cimetière des picotés », L’Hebdo Charlevoisien, 1er mars 1997, p. 4.