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La famille Forget-Casgrain (1904-1942)
Thème : Société et institutions

La famille Forget-Casgrain (1904-1942). Une dynastie politique dans Charlevoix

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 9 juillet 2002


Une simple question pour débuter cet article: qu’ont en commun la ligne de chemin de fer Saint-Joachim-La Malbaie, le Manoir Richelieu, l’usine de pâte et papier de Clermont, l’ancienne ferme modèle Saint-Aubin de Baie-Saint-Paul et l’actuel Domaine Forget de Saint-Irénée? Toutes ces réalisations significatives pour l’économie et la vie culturelle de Charlevoix ont été pensé et mis en œuvre à l’origine par l’homme d’affaire Rodolphe Forget, un ancien député fédéral de Charlevoix. Rares sont les hommes politiques à avoir autant marquer l’histoire de leur circonscription électorale. Et pourtant, à l’origine, rien ne destinait Rodolphe Forget, né à Terrebonne en 1861, à devenir député de Charlevoix.
 
Il semble plutôt que la candidature de Rodolphe Forget à titre de candidat d’allégeance conservatrice dans Charlevoix soit plutôt suspecte aux yeux de l’élite intellectuelle de Montréal. Dans le journal Le Nationaliste (9 octobre 1904), Olivar Asselin se moque des prétentions de Forget à vouloir devenir député : « N’est-ce pas qu’il sait qu’ici (à Montréal), depuis longtemps, le seul fait d’être vu en sa compagnie est une note infamante pour un représentant du peuple et que lui, le grand débaucheur des corps législatifs, l’organisateur des coups de bourse qui ruinent en un jour des milliers de familles... ne pourrait monter à la tribune sans s’exposer à recevoir des œufs pourris? ...dans Charlevoix...  il pourra battre monnaie sur ces charités retentissantes... »
 
En effet, Rodolphe Forget compte sur l’éloignement de Charlevoix afin de se faire élire puisque dans cette région sa mauvaise réputation d’homme d’affaires plutôt véreux n’est pas connue. Forget utilise donc sa fortune personnelle afin de récompenser ses électeurs selon la pratique bien connue du patronage politique. Encore une fois, Olivar Asselin raille Forget à ce sujet : « C’est évidemment ainsi qu’il envisage une élection: Combien le comté, messieurs? Je vous achète. J’ai besoin de vous pour mes affaires. » Cette méthode politique connaît pourtant du succès : Rodolphe Forget est réélu sans interruption député de Charlevoix entre 1904 et 1917.
 
L’élection la plus difficile vécue par Rodolphe Forget reste celle du 3 novembre 1904, sa première dans Charlevoix. Forget affronte alors le député libéral sortant Charles Angers qui fait campagne contre la promesse de l’homme d’affaires de construire une ligne de chemin de fer dans Charlevoix. Charles Angers décrit le projet de Forget comme étant«un chemin de fer dans la lune ». Forget l’emporte difficilement au soir de l’élection par seulement 83 voix. Par la suite, Forget devient un personnage important dans Charlevoix et ses réélections se font sans aucune difficulté. C’est que Forget a mené à terme son projet de chemin de fer qui voit le jour en 1919 après que le gouvernement canadien se soit chargé de sa réalisation définitive. 1919 est aussi l’année de la mort de Rodolphe Forget décédé quelques mois avant l’inauguration de la ligne de chemin de fer desservant La Malbaie jusqu’à Saint-Joachim et Québec. La population de Charlevoix rend un hommage vibrant à Rodolphe Forget en installant sur son Domaine à Saint-Irénée en 1923, un buste du sculpteur Henri Hébert représentant ce député fédéral marquant avec comme inscription « de la part de ses électeurs reconnaissants ».
 
La popularité de Rodolphe Forget permet à son gendre Pierre Casgrain, époux de Thérèse Forget-Casgrain, de poursuivre la lignée politique familiale dans la circonscription fédérale de Charlevoix. Pierre Casgrain, sous la bannière libérale toutefois, se fait élire dans Charlevoix de 1917 à 1942. Pierre Casgrain est né à Montréal en 1886 et il meurt en 1942, alors qu’il siège toujours à Ottawa. Orateur ou président de la Chambre des communes durant dix ans, Pierre Casgrain n’occupe jamais de fonction ministérielle. La rumeur populaire raconte que « Pierre Casgrain n’a qu’à venir lever son chapeau dans Charlevoix en période électorale pour être réélu ». En fait, seul la mort met un terme à sa longue carrière politique à titre de député fédéral de Charlevoix en 1942.
 
La dynastie politique des Forget-Casgrain se termine en 1942. Thérèse Forget-Casgrain, veuve de Pierre Casgrain et fille de Rodolphe Forget, tente bien de succéder à son mari lors de l’élection partielle occasionnée par son décès. Elle est candidate à titre de libérale indépendante. Thérèse Forget-Casgrain possède un esprit indépendant : « Je me présente comme libérale indépendante. En général, j’appuierai le gouvernement de Monsieur King...Mais, je veux me réserver le droit de voter contre tout projet de loi qui d’après moi serait susceptibles de nuire à mon pays...  » Elle s’oppose aussi à la conscription : « ...je désire ardemment la victoire du Canada et de ses alliés... Mais tout cela peut se réaliser sans l’imposition du service militaire obligatoire pour outre-mer ». Cette volonté d’affirmation de la célèbre suffragette n’est pas bien vue. Thérèse Forget-Casgrain subit la défaite au soir de l’élection et ne parvient pas à succéder à son mari. Thérèse Forget-Casgrain se présente par la suite à d’autres élections ailleurs que dans Charlevoix mais sans jamais connaître la victoire électorale. Cette pionnière de la lutte en faveur du droit des femmes est cependant nommée sénatrice en 1971 par le premier ministre libéral Pierre Elliot Trudeau.
 
La famille Forget-Casgrain a marqué la vie politique canadienne. Pour Charlevoix, le nom de Rodolphe Forget demeure le plus célèbre et son apport est grand dans le développement de l’économie de la région au XXe siècle. Reste aussi son Domaine, dont la résidence principale est incendiée en 1965, où vécurent Rodolphe Forget, Pierre Casgrain et Thérèse Forget-Casgrain tout au cours de leur carrière politique dans Charlevoix. Ce site splendide si judicieusement choisi par Rodolphe Forget est devenu aujourd’hui une école de musique de réputation internationale. Les Forget-Casgrain ne sont pas près d’être oubliés dans Charlevoix!
 

Bibliographie :

Asselin, Olivar. « Un texte sur Charlevoix », Revue Charlevoix, hors série 2, mai 1995, p. 6-7.
Perron, Normand et Serge Gauthier. Histoire de Charlevoix. Québec, PUL-IQRC, 2000. 387. (Texte de Thérèse Casgrain à ses électeurs, p. 229).
Simard, Léo. La petite histoire de Charlevoix. La Malbaie, s.é, 1987. 304 p. 
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