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La Première alliance de 1603
Thème : Société et institutions

La Première alliance de 1603 à Tadoussac : des acteurs à redécouvrir

Camil Girard et Édith Gagné, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 2003

 
Pour comprendre le contexte global de la rencontre de 1603, il importe de connaître les personnages associés de près ou de loin au commerce au cours de cette période de l'histoire où la France cherche à organiser ses colonies. Troilus Mesgouez de la Roche, même s’il n’est pas impliqué directement dans le voyage de 1603 à Tadoussac, demeure un homme important pour le Canada. Il obtient le 3 janvier 1578, le titre de vice-roi de la Nouvelle-France. Des malchances successives l’empêchèrent d’envoyer des navires en Amérique. Le 12 janvier 1598, de nouvelles lettres patentes lui confèrent le titre de lieutenant général des pays de Canada, Terre-Neuve, Labrador et Norembègue. Il établit en 1598 une colonie sur l’île de Sable qui n’a cependant pas une fin très heureuse, puisqu'il y oublie les colons. Il meurt au cours de l’année 1606.

Le deuxième personnage en cause est Pierre Chauvin de Tonnetuit. Le 22 novembre 1599, il sollicite avec succès le monopole des fourrures en Nouvelle-France à Henri IV. À la suite des protestations de La Roche qui voyait son emprise sur le territoire menacé, le roi revient sur sa décision dès le 15 janvier 1600. Chauvin se retrouve alors simple lieutenant de La Roche avec un droit de pêche dans un territoire qui s'étend du golfe Saint-Laurent à Tadoussac. Il se rend à Tadoussac en 1600, accompagné par François Gravé Du Pont et Pierre Du Gua de Monts. Il construit une habitation et laisse quelques hommes sur place pour l’hiver. Officiellement, La Roche détient toujours le monopole général en Amérique, mais dans les faits Chauvin intervient de plus en plus.
 
Le monopole de Chauvin était contesté par les marchands qui en étaient exclus. Dans une lettre aux députés de la province de Bretagne, les marchands de Saint-Malo avançaient que ce monopole leur portait préjudice et mentionnaient que Chauvin n’en respectait pas les conditions puisqu’il avait promis d’implanter des colons et de bâtir des forteresses ce qui, selon les marchands, était impossible puisque Jacques Cartier l’avait prouvé.
 
Afin de régler ce problème, le roi ordonna qu’une commission d’enquête se réunisse à Rouen en janvier 1603. Des commissaires, dont Aymar de Chaste, reçurent en audience Chauvin, des marchands de Rouen et de Saint-Malo. Le monopole de Chauvin est maintenu car les marchands de Saint-Malo refusent de se joindre au groupe s’ils ont l'obligation d'investir dans le peuplement de la Nouvelle-France. Pour ces marchands, la colonie n'est qu'un simple comptoir de commerce. N’oublions pas que la France associait depuis la fin du 16e siècle colonisation et commerce. Donc, en échange d’un monopole du commerce, il fallait installer une colonie. Pour les marchands, un simple comptoir de commerce permettait des profits rapides et peu d’investissements. Pour l'État, l’implantation véritable d’une colonie française en Amérique nécessitait un gros investissement et somme toute, peu de profits, du moins à court terme. Voilà un dilemme qui rendait difficile le développement d’une colonie qui se développait selon des visions opposées.
 
Chauvin meurt en février 1603. C’est sous le monopole de son successeur, Aymar de Chaste, que se prépare l’expédition de 1603. Pour partager les frais de l'expédition, il s’associe à des marchands, principalement de Rouen. La direction du voyage est assurée par François Gravé Du Pont, un habitué du Saint-Laurent. D’ailleurs, le 13 mars 1603, Gravé Du Pont voit se préciser sa commission pour le trafic du Canada. 
 
Il revient donc à sieur Gravé Du Pont de Saint-Malo d’agir comme commandant à Tadoussac en mai 1603. Marchand de Saint-Malo et de Honfleur, « noble » et capitaine de la marine, Gravé Du Pont avait, selon Champlain, joué un rôle décisif pour que Chauvin obtienne son monopole de commerce en 1599. Il accompagne Chauvin à Tadoussac lors du voyage au printemps 1600. En 1603, il reste au service du nouveau titulaire du monopole, Aymar de Chaste, qui succède à Chauvin décédé en février de la même année. Il dirige l’expédition qui s’embarque le 15 mars pour le Canada.
 
À son retour en France, Champlain apprend le décès d'Aymar de Chaste. Champlain serait allé rencontrer le roi pour s’assurer de la poursuite du monopole. Lorsque Du Gua de Monts devient le nouvel adjudicataire du monopole en novembre et en décembre 1603, il devient son chargé d’affaires.
 
Du côté autochtone, il est clair qu’Anadabijou est un « grand sagamo » reconnu auprès des autres chefs. Selon Elsie Mcleod Jury, cette rencontre entre Anadabijou, Gravé Du Pont et Champlain, alors qu’on fume le calumet, constitue un geste important où se scelle une alliance pour se défendre contre un ennemi commun :
 
« C’est le premier compte rendu d’une réunion où il fut question d’une alliance entre Français d’une part, et les Algonquins, les Montagnais et les Etchemins, d’autre part, contre leurs ennemis communs, les Iroquois; les Français devaient rester fidèles à cette politique et il en résulta un siècle de conflits entre eux et les Iroquois. »
 
Parmi les personnages associés à cette rencontre, Gravé Du Pont a le mérite d'être le véritable représentant du roi puisqu'il commande l'expédition et qu'il établit des contacts directs avec les chefs autochtones. Sans titre officiel, Champlain reste cependant un acteur important puisqu'il rend compte rapidement de toute l'expédition dans l'ouvrage qu'il publie à son retour en France. Il semble avoir des rapports assez proches de la couronne, ce qui lui permet d'influencer le cours des événements, en particulier pour le renouvellement des commissions et des lettres patentes.
 
Bibliographie : 
 
Girard, Camil et Édith Gagné. « Première alliance interculturelle. Rencontre entre Montagnais et Français à Tadoussac en 1603 », Recherches amérindiennes au Québec, vol. XXV, no 3, 1995, p. 3-14.
 
 
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