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Les premières alliances
Thème : Société et institutions

Les premières alliances franco-indiennes : l'alliance de 1603 à pointe Saint-Mathieu

Camil Girard et Édith Gagné, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003


La description d'une rencontre qui se déroule à la pointe Saint-Mathieu près de Tadoussac, le 27 mai 1603, apparaît dans le récit qu’en a fait Champlain à son retour en France, alors qu'il publie, le 15 novembre de la même année, un ouvrage sur les peuples rencontrés : Des Sauvages. Pour saisir toute la portée de cet événement, il faut l’interpréter en prenant en considération le contexte qui entoure cette expédition alors que les Français désirent, pour assurer la colonisation et organiser le commerce des fourrures, développer des rapports étroits avec les peuples autochtones, les seuls intervenants capables de chasser dans ces territoires d’Amérique du Nord. C’est un événement important puisqu'il jette les bases d'une alliance durable avec les nations algiques de la coalition laurentienne qui deviennent rapidement alliées des Français pour le commerce et pour la défense contre les ennemis Iroquois. Cet événement montre une première alliance entre les Ilnus (Montagnais), représentés par leur grand chef Anadabijou (rencontre protocolaire du 27 mai), et leurs alliés, les Algonguins, représentés par Besouat et les Etchemins qui se joignent à eux le 9 juin. Aujourd'hui encore, cet événement inspire les Ilnus dans leurs démarches afin de redéfinir un nouveau partenariat avec les gouvernements provincial et fédéral.
 
Rencontre avec les Montagnais à la pointe Saint-Mathieu, près de Tadoussac, le 27 mai 1603
 
 (Description de Samuel De Champlain, Des Sauvages..., dans Beaulieu et Ouellet 1993 : extraits, p. 95-98) :
 
« Bonne réception faite aux Français par le grand sagamo [chef] des Sauvages de Canada, leurs festins et danses, la guerre qu'ils ont avec les Iroquois, la façon et de quoi sont faits leurs canots et cabanes, avec la description de la pointe de Saint-Mathieu.
 
Le 27e jour, nous fûmes trouver les Sauvages à la pointe de Saint-Mathieu, qui est à une lieue de Tadoussac, avec les deux Sauvages que mena le sieur du Pont pour faire le rapport de ce qu'ils avaient vu en France, et de la bonne réception que leur avait fait le roi. Ayant mis pied à terre, nous fûmes à la cabane de leur grand sagamo [chef], qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvâmes avec quelque 80 ou 100 de ses compagnons qui faisaient tabagie [qui veut dire festin], lequel nous reçut fort bien, selon la coutume du pays et nous fit asseoir auprès de lui, et tous les Sauvages arrangés [rangés] les uns auprès des autres des deux côtés de ladite cabane. L'un des Sauvages que nous avions amenés commença à faire sa harangue, de la bonne réception que leur avait fait le roi, et le bon traitement qu'ils avaient reçu en France, et qu'ils s'assurassent que sadite Majesté leur voulait du bien et désirait peupler leur terre et faire [la] paix avec leurs ennemis (qui sont les Iroquois) ou leur envoyer des forces pour les vaincre; en leur contant aussi les beaux châteaux, palais, maisons et peuples qu'ils avaient vus, et notre façon de vivre; il fut entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de plus. Or après qu'il eut achevé sa harangue, ledit grand sagamo [chef] Anadabijou, l'ayant attentivement ouï [entendu], commença à prendre du pétun [tabac] et en donner audit sieur du Pont Gravé de Saint-Malo et à moi, et à quelques autres sagamos [chefs] qui étaient auprès de lui; ayant bien pétuné [fumé], il commença à faire sa harangue à tous, parlant posément, s'arrêtant quelquefois un peu, et puis reprenait sa parole, en leur disant que véritablement ils devaient être fort contents d'avoir sadite Majesté pour grand ami; ils répondirent tous d'une voix : « ho, ho, ho », c'est-à-dire « oui, oui ». Lui, continuant toujours sadite harangue, dit qu'il était fort aise que sadite Majesté peuplât leur terre et fit la guerre à leurs ennemis, qu'il n'y avait nation au monde à qui ils voulussent plus de bien qu'aux Français. Enfin, il leur fit entendre à tous le bien et utilité qu'ils pourraient recevoir de saditeMajesté. (...) Ils faisaient cette réjouissance pour la victoire par eux obtenue sur les Iroquois... Ils étaient trois nations quand ils furent à la guerre: les Etchemins, Algonquins et Montagnais, au nombre de mille, qui allèrent faire la guerre... »
 
Le texte de la rencontre apporte certaines précisions sur la nature de celle-ci. Il est clair que les Français sont accueillis par les autochtones avec respect et déférence. Champlain précise que son compagnon, Pont Gravé, ainsi que lui-même se comportent selon « la coutume du pays ». En participant à la tabagie ou au festin et en fumant le pétun, les Français participent au protocole de leur hôte montagnais (ilnu) Anadabijou. Champlain précise dans son texte les trois objectifs que poursuit la France, à savoir 1) qu’elle leur veut du bien, 2) qu’elle désire peupler leur terre et 3) faire la paix avec leurs ennemis. Au besoin, elle pourra les aider à vaincre ces ennemis. 
 
Bibliographie :
 
Girard, Camil et Édith Gagné. « Première alliance interculturelle. Rencontre entre Montagnais et Français à Tadoussac en 1603 », Recherches amérindiennes au Québec, vol. XXV, no 3, 1995, p. 3-14.
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