Ils étaient nombreux les quêteux parcourant les routes du Québec au XIXe siècle et au début du XXe. Ces mendiants faisaient partie du paysage de nos campagnes. Certains paraissaient parfois inquiétants car lorsqu’ils étaient mal reçus dans une maison ils pouvaient alors, selon la légende populaire, « jeter des sorts ». Ainsi, certains ont raconté que certaines femmes sont devenues incapables de cuire du pain car la pâte ne levait plus, suite à un sort jeté par un quêteux à qui elle avait refusé l’hospitalité. Toutefois, dans l’ensemble, les quêteux sont aimables et leur visite est appréciée par la population qui reçoit ainsi des nouvelles d’ailleurs. Tout le monde s’amuse ferme des propos de ces mendiants à la verve parfois intarissable et à l’allure pittoresque.
Dans Charlevoix, le quêteux Pierriche est passé à l’histoire. Il a vécu au XIXe siècle et nul ne sait où il est né et encore moins la date de sa mort. Il va de soi que les quêteux laissent habituellement peu de place dans l’histoire. Toutefois, le nom de Pierriche reste associé à celui de l’abbé Charles Trudelle, curé de Baie-Saint-Paul de 1856 à 1864. Ce prêtre, fin lettré, a publié un ouvrage intitulé Trois Souvenirs dans lequel il raconte des anecdotes relatives à sa fonction de curé dans trois paroisses du Diocèse de Québec. C’est grâce à lui si nous connaissons aujourd’hui le nom de Pierriche.
En fait, l’abbé Charles Trudelle donne peu de détails sur Pierriche. Il indique seulement que c’est un quêteux reprenant à chaque année sa tournée de la région de Charlevoix. Il constate aussi que Pierriche est un conteur d’histoires. L’abbé Trudelle rapporte cette légende fort amusante qu’il attribue au quêteux Pierriche :
« Quand le Bon Dieu créa le monde, il eut de la terre de reste. Il dit au démon : « Je te permets de faire une partie de la terre ». Aussitôt le diable se mit à l’œuvre et il fit la Côte du Nord. Mais il ne put jamais l’aplanir mieux qu’elle est. Il obtint ensuite du Bon Dieu la permission de faire des habitants pour ces montagnes et c’est alors, qu’il fit les Bélair, les Lelièvre, les Coudé, etc. Donnant la liste de tous ses ennemis personnels. Mais le Bon Dieu lui dit : « Arrête! Démon, arrête! Tu en as déjà assez fait pour empester toute la terre. »
Cette légende est connue sous le nom de Charlevoix, pays du huitième jour et la Côte du nord du quêteux est bien le territoire charlevoisiens situé sur la Côte nord. Par son récit, le quêteux raconte que cette région aurait été créée par le Diable le huitième jour, soit un jour après la création de la terre par Dieu. La Bible dévoile, en effet, que le créateur aurait accompli son travail en sept jours mais le quêteux Pierriche ajoute au fait un huitième jour où Dieu fit place au Démon.
Bien sûr, cette histoire est une légende. Elle n’a pas de fondements historiques, sauf dans la tradition orale. Il semble même que le quêteux Pierriche l’ait inventé un peu par bravade, car il était fatigué de parcourir les routes escarpées de Charlevoix. À cause de cela, Pierriche en serait venu à raconter cette histoire pour décrire ce territoire où il revenait régulièrement et qu’il devait parcourir avec beaucoup d’efforts. Peut-être aussi trouvait-il les habitants de Charlevoix peu généreux dans leurs dons, en les décrivant comme des descendants des amis de Satan ? Nous ne pouvons que le supposer. Personne dans Charlevoix ne lui en a tenu rigueur. L’histoire continue d’être racontée même de nos jours.
Les paysages de Charlevoix continuent d’impressionner les visiteurs, surtout par leur beauté remarquable. Pierriche, sorte de touriste avant la lettre, a doté la région charlevoisienne d’une légende reflétant bien cet espace géographique. Charlevoix, pays du huitième jour. Les propos du quêteux Pierriche continueront longtemps d’être associés à cette région où le folklore et l’histoire s’entremêlent parfois et où plusieurs personnes se souviennent encore du temps des quêteux, conteurs d’histoires amusantes et fascinantes.
Bibliographie :
Trudelle, Charles. Trois souvenirs. Québec, Léger Brousseau, 1878. 172 p.
Revue d’histoire de Charlevoix, 22, septembre 1995, 40 p.