Thème :
Économie
L’exploitation de la baleine et de la morue dans les environs de Tadoussac : 1500-1580
Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003
Les premiers contacts des Blancs avec le Saguenay se font sous le signe de la pêche. Dans le secteur de Tadoussac, plus précisément à Bon-Désir et aux Escoumins, ce sont surtout les bancs de baleines qui attirent les Basques, spécialistes de cette chasse. Ceux-ci ont l'habitude de chasser ce cétacé au nord de la côte espagnole et au sud-est de la France, dans la baie de Biscaye. Selon la tradition basque, ils auraient fréquenté les bancs de Terre-Neuve dès 1372. Du côté français, ils viennent surtout des régions de Bayonne ou de Saint-Jean-de-Luz ; du côté espagnol, ils partent de la province de Guipuzcoa (capitale, San Sebastian), de Biscaye (Bilbao) ou d'Alava (Victoria). Les Basques ont peu à peu remonté l'estuaire du Saint-Laurent et atteignent les environs de Tadoussac vers 1545. Dans son volume Le Grand insulaire, dont le manuscrit date des années 1550, André Thévet rapporte que tout pilote, après avoir navigué en quelques endroits dangereux, probablement la Côte-Nord, se retrouve à la rivière et au pays du Saguenay.
Même si nos connaissances actuelles des archives basques ne permettent pas d'affirmer la présence des baleiniers au-delà des côtes du Labrador et de l'île d'Anticosti avant 1580, des vestiges archéologiques et la toponymie locale confirment la présence des Basques aux alentours du Saguenay. Les recherches archéologiques les plus récentes ont permis de trouver du côté de Charlevoix, à l'Échafaud aux Basques, de nombreux fragments de terre cuite ainsi que des débris de système de purification de l'huile de baleine. Les Basques auraient, jusqu'en 1630 environ, bâti des fours sur les rivages. Après cette date, ils font fondre le lard de ces mammifères aquatiques géants à bord de leurs vaisseaux. L'Anse aux Basques, les Escoumins, Bon-Désir, l'île aux Basques, les Grandes-Bergeronnes et Sept-Îles sont des sites où l’on peut croire que les Basques se rendaient chasser la baleine vraisemblablement dès le 16e siècle. L’huile obtenue est par la suite écoulée sur les marchés d'Europe. Dès 1533, des documents font état que le port de Rouen reçoit 150 barriques de baleine et 45 barriques d'huile. En 1589, deux bourgeois de Honfleur se plaignent à leur ambassadeur auprès de la reine Élisabeth d'Angleterre que leur navire chargé de morue et d'huile a été pris par des corsaires anglais près de Sept-Îles.
La proie favorite des Basques est la baleine franche (eubalaena glacialis). Elle mesure environ 15 mètres. Lente, elle peut être harponnée facilement à partir des petites embarcations à rames. Au 16e siècle, l'Eglise considère ce cétacé parmi les poissons ce qui en favorise la pêche dans les pays catholiques. L'huile, qu'on appelle parfois « crapois » ou « graspois », est utilisée comme lubrifiant et sert également dans la fabrication du savon. De la langue et du foie, qui pèsent à eux seuls quelques milliers de kilogrammes, on tire des huiles très fines que les horlogers et les usagers de mécanique de précision recherchent. La graisse de baleine sert aussi de combustible ou remplace les chandelles de cire d'abeille pour l'éclairage.
Les marins basques pêchent aussi la morue qu'ils préfèrent sécher. La morue, verte ou salée, se conserve mal dans la chaleur du Sud de la France ou de l'Espagne. Le séchage exige le débarquement à terre ce qui favorise les contacts avec les autochtones. Il est nécessaire d'apprêter le poisson avant de l'étendre sur les rochers ou les galets. La qualité du produit dépendra du soin apporté à retourner le poisson, à le protéger des intempéries, de la brume ou de la chaleur trop vive, un art que les Basques possèdent si bien qu’ils sont peut-être les inventeurs de la technique du séchage.
Tout en pratiquant la pêche, les Européens commencent à échanger avec les autochtones. Jacques Cartier n'est-il pas surpris, dès son premier voyage de 1534, de voir les Amérindiens prêts à troquer tout naturellement des peaux pour des couteaux ou autres « ferrements qu'ils acquièrent avec joie »? S'il apparaît qu'au 16e siècle, pilotes, marins et pêcheurs venus d'Europe font bien quelques échanges de fourrures, ce n'est pas là l'essentiel de leur activité. Selon toute évidence, la chasse et pêche sont jusque-là les principales préoccupations des Européens. S’il existe des liens entre chasse, pêche et fourrure dans cette phase initiale de l’histoire du Saguenay, ils restent encore mal connus.
Ce que l'histoire connaît mieux, c'est que certains ports naturels, Tadoussac en tête, apparaissent comme des lieux privilégiés où les bateaux mouillent et effectuent la plupart des échanges. Selon des témoignages recueillis par le père Charles Lalemant, des autochtones auraient vu jusqu'à une vingtaine de vaisseaux à Tadoussac en 1560. Les bancs de Terre-Neuve ainsi que les côtes du Saint-Laurent jusqu'à l'embouchure du Saguenay sont achalandés dès le 16e siècle. Français, Espagnols, Portugais, Anglais et Hollandais partent des ports de la côte atlantique en direction de l’Amérique du Nord. Ces marchands, commerçants, navigateurs et pêcheurs connaissent la valeur du poisson sur les marchés d’Europe. Aussi sont-ils prêts à affronter les risques des voyages saisonniers et les difficultés de leur dur métier.
Bibliographie :
Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.