Thème :
Économie
Le monopole des Price au Saguenay–Lac-Saint-Jean au 19e siècle
Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003
S'il y a une famille qui a profondément marqué le développement du Saguenay–Lac-Saint-Jean surtout au 19e siècle, c'est celle des Price. À travers cette famille, nous voyons comment se constitue et se maintient un monopole économique en région. En laissant aux compagnies des pouvoirs considérables sur le territoire, l'exploitation du bois, l'organisation du travail et du commerce, la société locale se trouve enfermée dans ce que certains appellent un mal développement du système capitaliste à la périphérie. Les élites du milieu trouvent peu de moyens de s'affirmer. Les petits contracteurs qui font chantiers pour les grandes compagnies deviennent vite des partenaires soumis à des contingences qui limitent considérablement leur champ d'action. Quant aux agriculteurs, leur indépendance reste relative puisque plusieurs doivent vendre leur bois ou leurs surplus à Price qui contrôle ses propres magasins.
Trois grandes étapes caractérisent l'histoire des Price au Québec aux 19e et 20e siècles : les premières expériences dans le négoce (1810-1840), les manufacturiers de bois de sciage (1840-1900) et les industriels du papier (1900 à nos jours). Avec l'arrivée du patriarche, William, premier du nom, qui s'installe dans la ville de Québec dès 1810, commence l'ère du marchand et du négociant de bois.
Fort d'une longue expérience dans le commerce international, Price peut contrer les incertitudes des marchés et acquérir un bon capital. Il a l'assurance d'obtenir des contrats d'approvisionnement pour l'Amirauté, ce qui facilite l'expansion de ses activités dans l'industrie de la coupe et du bois de sciage surtout à partir des années 1840.
Price dirige ses opérations à partir de la ville de Québec où il a le siège de ses affaires. Comment Price procède-t-il pour s'installer au Saguenay ? Selon toute évidence, il semble que le vieux William s'intéresse peu à la politique locale pour défendre ses intérêts, préférant plutôt se lier aux politiques impériales. Pour bâtir son industrie, Price commence par acquérir des réserves de bois considérables à l'intérieur du domaine public, acquisition qui devienne plus facile à partir des années 1840 lorsque le gouvernement élargit sa politique d’affermage. Price s’intéresse aussitôt au Saguenay, une région dont la mise en valeur est jusque-là freinée par les droits traditionnels de chasse et de pêche. Dès 1856, Price possède 1 672 milles carrés en concessions forestières au Québec. En 1872-1873, les frères Price sont les plus grands propriétaires de concessions à l'échelle provinciale avec 3 982 milles carrés. En 1890, malgré les difficultés que connaît la famille, elle n'en continue pas moins de raffermir son emprise sur la forêt québécoise avec des concessions qui totalisent une surface de 5 381 milles carrés. En 1907, dans la lancée de l'industrie du papier, Price reste encore le plus grand possesseur de droits forestiers au Québec avec 6 894 milles carrés. Dans cet immense empire forestier, le Saguenay–Lac-Saint-Jean représente le joyau le plus important.
Dans l'ouverture du Saguenay, Price joue sur tous les plans. Selon les propos de l'historienne Louise Dechêne, il peut, par son habileté et sa discrétion, circonvenir les agents de la Couronne, éliminer ses concurrents et prévoir ses besoins longtemps à l'avance. Nous pourrions ajouter qu'il sait profiter des circonstances pour s'allier à divers partenaires. Pensons à Alexis Tremblay, à la Société des vingt-et-un ou au Métis, Peter McLeod. Au nom de la colonisation et du bien-être des agriculteurs en difficulté, Price trouve le moyen de jeter les bases de son propre monopole dans une région laissée jusque-là entre les mains d'exploitants à fourrures qui n'y connaissaient rien à la mise en valeur de la forêt.
Price tire toute sa force de la capacité qu'il a de commercer sur la scène internationale, ce qu'aucun petit entrepreneur local ne peut faire. Les concurrents, Price les intègre ou les élimine. Au bout du compte, Price suit presque toujours la même stratégie pour assurer son monopole. Il reste un homme de terrain. Il va sur place, choisit bien ses associés, évaluant sans cesse les opérations et s'ajustant aux exigences du moment. Les propriétaires de scieries commencent d'abord à le fournir. Price finance par la suite diverses réparations qui s'imposent dans l'outillage ou les bâtiments. Dernière étape, il achète l'établissement tout en gardant l'ancien propriétaire comme gérant.
Une entreprise Price au Saguenay, surtout dans sa forme originale (1840-1860), c'est un complexe qui jouit d'une très grande autonomie. En plus de contrôler l'industrie du bois, Price garde la main haute sur le commerce par la mise en place de ses magasins où le travailleur doit s'approvisionner avec une monnaie de « piton ». Cette économie fermée constitue la base du monopole de Price au Saguenay.
Mais ce système établi par le patriarche ne pourra résister intégralement. La population s'accroît et l'organisation sociale et religieuse s'impose alors que se développe une agriculture locale. Cela contribue à transformer les rapports entre les Price et la région. Les fils David Edward et William Evan s'intégreront davantage à la communauté. David se fait élire député des comtés unis de Chicoutimi et Tadoussac entre 1855 et 1857 et de Chicoutimi et Saguenay de 1858 à 1864. Quant à William Evan, qui vit davantage au Saguenay, il est élu député libéral conservateur au fédéral entre 1872 et 1874.
Bibliographie :
Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.