Thème :
Culture
Aux origines d’un roman
Laurie Goulet, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003
À la fin du 19e siècle et au courant du 20e siècle, plusieurs voyageurs provenant d'Europe et des États-Unis découvrent les attraits du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Louis Hémon compte parmi eux et il contribue à faire connaître le milieu de vie des colons du Lac-Saint-Jean vers 1910. Son expérience et le milieu de vie des gens qui l'ont hébergé ont nourri l’écrivain dans l’écriture de Maria Chapdelaine, un roman qui a marqué la littérature du Québec et de la région. Que peut nous apprendre ce roman sur la région?
Louis Hémon est né en 1880 dans la ville de Brest en Bretagne (France). Après avoir travaillé de 1904 à 1911 en Angleterre, ce journaliste décide de partir pour l’Amérique. Il souhaite en découvrir les attraits et observer la vie quotidienne dans un pays neuf. C’est dans ce contexte qu’il se rend au Québec. Il fait la connaissance d’un prêtre qui lui parle de son expérience au Lac-Saint-Jean, région qui est encore en pleine période de colonisation. Hémon décide donc de s'y rendre, mais il travaille d’abord à Montréal et à Québec. Il prend finalement le train à destination de La Tuque et du Lac-Saint-Jean en 1912. De Roberval, Louis Hémon parcourt à pied une bonne partie de la rive nord du lac Saint-Jean et parvient à Péribonka. Il est embauché comme engagé sur la terre de Samuel Bédard. Ce dernier exerce principalement l'agriculture, mais il consacre aussi son temps à d'autres activités. Il devient même marchand à Péribonka au cours des années 1910.
Pendant quelques mois, Louis Hémon expérimente la vie sur une terre en plus de travailler au tracé du chemin de fer qui devait desservir l'ensemble du Lac-Saint-Jean, projet qui sera sans lendemain. Par la suite, Hémon quitte la famille Bédard pour Saint-Gédéon où il se consacre à l'écriture du roman Maria Chapdelaine. En 1913, il part pour l'Ouest canadien, mais il est heurté par un train tout près de Chapleau, en Ontario. Louis Hémon meurt à 33 ans, alors qu'il entretenait plusieurs projets pour l'avenir, dont celui de découvrir les Prairies. Le fait qu’il avait envoyé une copie de son roman à sa famille a permis à la postérité de connaître cette œuvre littéraire.
Le roman Maria Chapdelaine relate la vie d'une jeune femme qui vit à Péribonka au début du 20e siècle. À travers son histoire est dépeint le quotidien des cultivateurs et de leur famille en période de colonisation, que ce soient leurs tâches saisonnières ou leurs conditions de vie. Maria doit prendre un époux. Trois prétendants se présentent : François Paradis, un coureur des bois, Eutrope Gagnon, un cultivateur de l'endroit et Lorenzo Surprenant, un Canadien-français établi aux États-Unis. Finalement, Maria décide, à la suite du décès de sa mère, de demeurer à Péribonka et promet sa main à Eutrope pour le printemps suivant.
Maria Chapdelaine décrit des réalités qui sont souvent vérifiables avec l’aide d’autres sources. L'auteur s'est inspiré de ses observations pour témoigner des difficultés qui se présentent aux colons et à leur famille. Cependant, un certain mythe entoure le roman. Il idéalise en quelque sorte l'image européenne d'un Québec conservateur, rural et catholique qui aurait décidé de s'enfermer dans ses valeurs traditionnelles. La faction conservatrice de l’élite canadienne-française trouvera par ailleurs dans ce roman des ingrédients utiles à la promotion de la famille nombreuse et de la vocation agricole de la nation.
Dès 1938, Éva Bouchard, la belle-sœur de Samuel Bédard, ouvre un musée à Péribonka à la mémoire de Louis Hémon. Mais le souvenir de Hémon ne fait pas l’unanimité. Lors de l'édification d'un monument en l'honneur de l’écrivain, la population le jette à l'eau en signe de protestation. L’image que Louis Hémon a donné d'eux leur déplaît. Les gens contestent le misérabilisme qui leur est attribué. Peu à peu, les esprits se calment et le complexe muséal se développe. En 1982, à l’occasion de la construction d'un nouveau bâtiment, le dévoilement d’une œuvre d’art provoque un autre tollé. Une sculpture nommée "Femme et terre" est mal reçue par la population qui conteste la vision d’un artiste peu soucieux des valeurs locales.
À ce jour, le musée Louis-Hémon compte trois bâtiments et présente des expositions variées. Une exposition est consacrée à la vie de Louis Hémon ainsi qu'à son roman Maria Chapdelaine. L'impact de cette œuvre est considérable, puisqu’elle est traduite en plus de trente langues. L'auteur breton a donc permis à Péribonka et à ses habitants d’être connus aux quatre coins du monde.