Thème :
Société et institutions
Orphelins et orphelinats au Saguenay–Lac-Saint-Jean
Laurie Goulet, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003
Ce n'est qu'à la toute fin du 19e siècle que s'implantent les orphelinats sur le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Au Saguenay, les Augustines de la Miséricorde de Jésus ouvrent en 1894 un orphelinat à même les locaux de l’Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi. Son équivalent jeannois est l’orphelinat que fondent en 1907 les frères de Saint-François-Régis à Vauvert, près de Péribonka. Voyons comment ces deux communautés religieuses ont pris en charge les enfants qui leur étaient confiés.
L'Hôtel-Dieu de Chicoutimi reçoit des orphelins depuis 1884, même s'il n'y a pas un véritable orphelinat comme tel. C'est seulement en 1894, sous les pressions de l'abbé Elzéar Delamarre, que les religieuses mettent en place les installations nécessaires pour recevoir des orphelines. La première année, quatre enfants sont accueillis, 10 l’année suivante, puis leur nombre s’accroît régulièrement pour atteindre le maximum de 142 en 1909. Les locaux de l'hôpital réservés pour l’orphelinat deviennent rapidement trop exigus. Pour cette raison, une nouvelle aile est construite en 1902 pour abriter les locaux de l’orphelinat.
Diverses sources de revenus assurent le financement de l’orphelinat, dont l’Œuvre du Pain qui est associé au culte de Saint-Antoine et dont l’abbé Delamarre se fait le promoteur. Les gens qui adressent des demandes à ce saint doivent faire des dons en échange de faveurs obtenues. Lorsqu’il y a un investissement important, comme c’est le cas lors de la construction d’une aile en 1902, les subventions du gouvernement et les dons de personnalités chicoutimiennes, tel que Julien-Édouard-Alfred Dubuc, permettent la réalisation d’un projet. Pour le quotidien, ce sont les multiples activités de financement qui assurent la viabilité de l’orphelinat. À titre d’exemple, la pianiste Berthe Roy donne des concerts bénéfices au profit de l'établissement.
En 1906, l’orphelinat est doté d’une école ménagère. Pendant l'année scolaire, les jeunes demeurent dans l'établissement, mais pendant l'été ils sont invités à passer deux mois dans leur famille élargie. Finalement, l'orphelinat de l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier cesse ses activités en 1926, après avoir accueilli 1 328 enfants. L’Hôtel-Dieu a alors un besoin urgent de locaux pour répondre à une croissance rapide du nombre de malades. En 1931, un nouvel orphelinat ouvre ses portes : l'Orphelinat de l'Immaculée. Il est sous la direction des Petites Franciscaines de Marie. Dès la première année, les jeunes sont en nombre important, près de 379 enfants. Une École ménagère et une École supérieure d'enseignement ménager viennent compléter les installations. Cet orphelinat ferme ses portes le 30 juin 1968. Une baisse de clientèle ainsi que les déficits accumulés sont les principales causes de cette fermeture.
Au Lac-Saint-Jean, les garçons orphelins peuvent être envoyés à l’orphelinat agricole des frères de Saint-François-Régis. Cette communauté religieuse arrive en 1903 à Péribonka, mais les frères ne s'installent définitivement sur les terres de Vauvert qu’en 1907. La première année, l'orphelinat reçoit 6 enfants, en 1908-1909 on en compte 14, alors qu'en 1909-1910, le compte passe à trente. Les garçons proviennent de diverses localités de la région. Le programme d'éducation est strict et basé sur une discipline rigoureuse. Pendant l'année scolaire, des cours sont dispensés aux orphelins. Au cours de l’été, ils participent davantage aux divers travaux agricoles.
La communauté tire la majorité de ses revenus des produits de la ferme. Elle fait la culture de plusieurs variétés de céréales et de légumes. Elle contribue même à populariser davantage la culture de la pomme de terre au Lac-Saint-Jean. Dans leur jardin expérimental, où les terres sont sablonneuses, les frères avaient observé les possibilités qu’offrait cette culture. Les frères s’adonnent aussi à l’élevage de vaches, de moutons et de chevaux. Mais bien des difficultés mettent la communauté à l’épreuve. Les années de la Première Guerre mondiale (1914-1918) sont synonymes de grands maux ainsi que les années qui précèdent la grande crise économique des années 1930. Ils sont aussi affectés par le rehaussement des eaux du lac Saint-Jean en 1926. Les difficultés continuelles poussent finalement les religieux à déménager dans le rang Saint-Louis, près de Bagotville et de Chicoutimi. Dès 1938, les bâtiments de Vauvert sont définitivement fermés.
Au Saguenay, les frères de Saint-François-Régis ouvrent un nouvel orphelinat en 1946. Associé à l'Orphelinat de l'Immaculée de Chicoutimi, l'établissement reçoit les jeunes de plus de 12 ans. Ces jeunes peuvent y recevoir un enseignement jusqu’à la neuvième année. Quant aux frères de la communauté, le travail agricole reste une priorité. Leurs règles de vie se sont toutefois assouplies. En 1959, la communauté des Frères de Saint-François-Régis est fusionnée à celle des Maristes, après une décision prise en ce sens par les autorités religieuses de Rome. L'orphelinat ferme et les jeunes orphelins sont transférés à Chicoutimi.
Jusqu'au début des années 1960, les jeunes orphelins et orphelines de la région ont été pris en charge par des établissements administrés par des communautés religieuses. Vers cette époque, la clientèle des orphelinats commence à diminuer. L’intervention de l’État et une nouvelle approche des services sociaux mèneront à une révision des politiques de prise en charge des orphelins et des orphelines.
Bibliographie :
Frenette, Georgiana-Henriette. Histoire de l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier 1884-1934, Chicoutimi, Imprimerie du Progrès du Saguenay, 1934. 421 p.
Bouchard, Russel. « La communauté des Frères-Ouvriers de Saint-François-Régis : l'Orphelinat agricole de Vauvert », Saguenayensia, vol. 33, no 3, juillet-septembre 1991, p. 21-31.
Gagnon-Arguin, Louise. « L'orphelinat Saint-Antoine et ses bienfaiteurs », Saguenayensia, Chicoutimi, vol. 26, no 3, juillet-septembre 1984, p. 90-95.
Perron, Normand. Un siècle de vie hospitalière au Québec. Les Augustines et l'hôtel-Dieu de Chicoutimi. 1884-1984. Québec, Presses de l'Université du Québec, Chicoutimi, Augustines de la Miséricorde de Jésus, 1984. xxiv, 416 p.