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Jacques Crémazie
Thème : Société et institutions

Jacques Crémazie, un visionnaire. Le Saguenay de 1850, un bilan critique du développement régional

Camil Girard et Laurie Goulet, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 2003

 
Peu de temps après l'ouverture du Saguenay et du Lac-Saint-Jean à l'agriculture et à la coupe forestière au milieu du 19e siècle, le mouvement de migration diminue peu à peu. Le nouveau gouvernement du Canada-Uni envoie sur le terrain Jacques Crémazie, un avocat de formation. Ce dernier doit fournir un rapport décrivant la situation qui prévaut en territoire saguenayen. Crémazie conclut que sept causes nuisent à la venue de nouveaux colons. Quelles sont-elles?
 
Au 19e siècle, l'exploitation de la forêt a déclenché l'ouverture de la région à un peuplement essentiellement constitué de Canadiens français. Cependant, selon Jacques Crémazie, il est important de diversifier les activités afin de renforcer l'économie et d'assurer l'occupation du territoire. L'industrie du bois n'est pas stable, elle subit de grandes variations en réaction au marché international. Suite à plus de douze ans d'occupation, 6 027 personnes sont établies sur le territoire et 960 d'entre eux dépendent de la forêt pour survivre. Ce premier bilan montre l'importance de l'industrie forestière dans les premières années de peuplement. Quant à elle, l'agriculture n'en est qu'à ses débuts. Il n'y a donc pas assez de structures fixes pour encadrer et fournir du travail aux nouveaux immigrants qui viennent s'établir au Saguenay-Lac-Saint-Jean, sans parler d'un manque de marchés et de débouchés pour vendre les produits des agriculteurs. 
 
Pour Crémazie, le premier motif de la chute de l'immigration vient du désappointement que vivent les colons. Sous l'influence d'une idéologie qui a su s'appuyer sur une certaine utopie des territoires à développer, les nouveaux arrivants ont imaginé le Saguenay comme une sorte de Terre promise, un paradis terrestre avant même d'y venir. La réalité est toute autre. La seule justice qui existe est le droit du plus fort. De plus, les conditions de vie sont très pénibles. Il est très difficile d'acquérir des terres. Une fois le colon établi sur sa terre, des réclamations fusent souvent de toutes parts. Certains affirment, par exemple, qu'ils avaient déjà défriché une partie du sol et d’autres viennent soudainement le revendiquer. 
 
Le manque de chemins et leur piètre qualité constituent une autre source de problèmes. Il y a peu de liaison entre les villages et encore moins entre les paroisses d'origine des nouveaux immigrants. L'éloignement devient plus pénible à supporter quand on ne peut rejoindre ses proches dans un délai respectable. Dans un nouveau système de canton, il devient difficile aux colons d'assurer la construction et le maintien de servitudes rurales telles que la construction de chemins, de fossés ou de ponts. Ces réalisations aident à l'agriculture, mais quand elles ne peuvent être réalisées, les difficultés surviennent rapidement. 
 
La dépression du commerce du bois a également un impact sur l'immigration, car elle diminue le nombre d'hommes engagés. Une autre limite à la mise en valeur des terres réside dans le manque de connaissances en agriculture. Les colons ne sont pas favorables aux innovations telles que l'essoucheuse et l'utilisation de la chaux ou de l'engrais. Cela conduit à l'épuisement rapide des sols et entraîne de mauvaises récoltes. Les agriculteurs ne parviennent que difficilement à nourrir la population locale : on doit importer le lard et la farine, éléments de base de l'alimentation. Finalement, les habitants gardent une mentalité liée au système seigneurial ce qui implique des responsabilités et des devoirs du censitaire envers un seigneur et vice-versa. Dans le nouveau système de canton qui est mis en place au Saguenay, la possession d'une terre en pleine propriété a ses avantages mais aussi ses limites en particulier pour assurer les services communautaires. 
 
Les propositions de Crémazie sont de diverses natures et très avant-gardistes pour l'époque. Dans le domaine économique, il prône la construction de chemins par l'initiative du gouvernement ce qui permettrait de donner des emplois et des salaires aux colons. Il suggère également la mise en place de travaux publics pour les mêmes objectifs. Il tient à baisser le prix des terres et à prolonger le délai de paiement d'un an à sept ans. 
 
Des mesures sociales sont aussi préconisées. Crémazie souhaite l'installation d'autorités civiles et judiciaires afin de défendre, protéger et encadrer les habitants. Il veut arrêter à tout prix le principe de la loi du plus fort qui sévit à cette époque. Crémazie envisage de plus la révision des écoles déjà en place et la création de nouvelles dans le domaine de l'agriculture afin de donner des cours de qualité aux plus jeunes. Devant la difficulté de créer des commissions scolaires au plan local, de taxer la population qui n'a pas de revenus ou de trouver du personnel qualifié, Crémazie soutient que le gouvernement seul devrait assumer la rétribution des instituteurs.
 
A la suite du rapport Crémazie, le gouvernement crée des institutions pour encadrer la population. Il y a cependant peu d'interventions dans l'économie. Les colons demeurent insatisfaits en ce qui concerne les routes. Dans les secteurs de l'éducation et de la santé, ce sont les institutions religieuses qui poursuivront leur engagement traditionnel. En somme, Jacques Crémazie porte un regard critique et éclairé sur l'état de la colonisation du Saguenay au milieu du 19e siècle. Son diagnostic est précis. Ses suggestions montrent qu'il connaît bien les enjeux d'un développement régional qui peut s'appuyer sur le capital privé et les ressources. Cependant, ce développement ne peut s'accomplir sans une action soutenue des gouvernements dans des secteurs importants de la vie sociale et économique.

 
Bibliographie :

Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.
Girard, Camil (sous la direction de). Le Saguenay–Lac-Saint-Jean en 1850 : rapport spécial de Jacques Crémazie, Jonquière, Éditions Sagamie/Québec, 1988. 70 p. 
Le site internet : http://www.uqac.ca/dsh/grh/oeuvres/crematext.htm
 
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