Thème :
Société et institutions
Le Saguenay–Lac-Saint-Jean en 1851. L'abbé François Pilote, un promoteur averti
Camil Girard et Laurie Goulet, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 2003
Au milieu du 19e siècle, le Bas-Canada (Québec) connaît des départs importants de Canadiens français vers les États-Unis. Les élites et le clergé, afin de contrer ce mouvement, tentent de favoriser l'établissement d'agriculteurs dans de nouvelles régions ouvertes au peuplement. L'abbé François Pilote, directeur adjoint du collège de Saint-Anne-de-la-Pocatière, se préoccupe de cette réalité en publiant un premier ouvrage qui a pour but de faire l'histoire et la promotion du territoire: Le Saguenay en 1851. Ce premier ouvrage d'histoire, pourrait-on dire au sens moderne du terme, cherche à promouvoir l'ouverture de la région à la colonisation, le terme étant pris ici dans le sens limité à la venue de colons et à la pratique de l'agriculture. Il divise son ouvrage en trois parties : le passé, le présent et le futur du Saguenay.
L'abbé Pilote désire favoriser le peuplement de la région en dressant un premier bilan des connaissances sur cette nouvelle région ouverte à la colonisation depuis 1842. Ouvrage synthèse, avec un problématique avouée, l'auteur décrit le territoire : les cours d'eau, les terres fertiles ou accidentées, le climat, etc. Il affirme que le tour du lac Saint-Jean est très fertile et capable de faire vivre nombre de colons. Selon certains calculs, précise-t-il, plus de 4 millions d'acres seraient prêts à être cultivés. Cependant, il propose d'explorer de manière plus approfondie les ressources naturelles de la région avec la collaboration des Amérindiens. Pilote analyse les débuts de la colonisation dans la région en précisant l'origine des nouveaux immigrants (Charlevoix en majorité) et la mise en place du commerce du bois.
Il énumère également les différentes communautés installées dans la région en 1850. Il inventorie, au sein de Chicoutimi, de Grande-Baie et du Grand-Brûlé, les diverses infrastructures telles que les moulins à scie, les moulins à farine, les églises et les établissements de commerce qui assurent les services à la population. Il estime la population à 4 901 âmes.
L'abbé Pilote dresse un premier bilan de l'économie régionale en dressant un inventaire des importations et des exportations. Ces dernières sont vouées presque exclusivement à l'industrie du bois, alors que les importations se limitent à l'alimentation et au matériel technique (par exemple, les outils pour les chantiers). Une autre partie de son œuvre se tourne vers l'ouverture des terres du lac Saint-Jean à la colonisation. Il souligne les initiatives de l'Association des comtés de l'Islet et de Kamouraska, qui, avec la collaboration du curé Nicolas-Tolentin Hébert, ont permis l'installation des premières familles sur des terres fertiles. Un bilan des travaux est réalisé et permet de constater l'ampleur de l'endettement de l'Association.
Le prêtre ressent l'importance de relier entre elles les communautés au sein d'un nouveau territoire. Il énumère trois liaisons qui, selon lui, sont indispensables : de Grande-Baie à Métabetchouan, de Grande-Baie au fleuve Saint-Laurent (région de Charlevoix) et de Grande-Baie à Chicoutimi. Finalement, Pilote donne son opinion sur le prix des terres qu'il juge trop élevés. Il propose un délai de cinq ans pour les colons avant de payer leur terre ou encore, il souhaite que le gouvernement les alloue gratuitement comme cela se fait avec succès semble-t-il aux États-Unis. Il termine son analyse en jetant un regard critique sur les causes qui ont retardé la colonisation (tiré du Rapport Crémazie).
L'abbé Pilote s'est beaucoup impliqué dans la colonisation de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. La composition de cette première histoire de la région, permet, au-delà certains aspects de promotion discutables, de constater que l'auteur juge que trois éléments sont indispensables au développement du Saguenay en 1851 : 1) la réduction du prix des terres et ce sur plusieurs années, 2) la construction de chemins et 3) finalement l'élaboration de lois afin de défendre les colons contre certains abus.
En somme, Pilote pose les jalons d'une histoire traditionnelle du Québec qui prévaudra des années 1840 à 1960 à savoir que la colonisation a une double mission : elle doit contribuer à diminuer les départs des Canadiens français aux États-Unis tout en favorisant la transmission des valeurs profondes du peuple français et catholique autour de la mise en valeur de l'agriculture. Sous ce rapport, son œuvre s'inscrit dans la pensée conservatrice (ultramontaine) de l'époque où famille, agriculture et foi vont de pair dans la transmission des valeurs de la nation canadienne-française au sein des projets d'ouverture des régions.
Bibliographie :
Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.
Pilote, François. Le Saguenay en 1851, Montréal, Éditions du Méridien, 1999. 195 p. Document préparé par Camil Girard, GRH-UQAC)