Thème :
Économie
Culture et commerce entre Européens et Amérindiens aux 17e-18e siècles
Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003
Culture et commerce entre Européens et Amérindiens aux 17e-18e siècles
Dans la dynamique de l'échange qui s'articule autour du commerce des fourrures, il faut essayer de saisir comment les produits européens s'implantent dans la vie des Amérindiens et influencent leur culture. Toutefois, l'acculturation doit être vue plus globalement comme la conséquence d'une série de facteurs qui transforment à long terme les habitudes et ultimement la mentalité des Amérindiens. Inutile dans ce contexte d'attribuer l'acculturation à une cause unique. Ce phénomène ne peut se comprendre que sur une période de quelques siècles.
Pour certains historiens, l'implantation du métal a des conséquences néfastes sur la culture autochtone. L'apparition de fusils, de couteaux et de pièges métalliques favorise une exploitation abusive des stocks de fourrures, ce qui a pour effet de briser l'équilibre fragile dans lequel l'Amérindien évolue traditionnellement. Ainsi, les famines qui déciment les populations apparaissent comme un déséquilibre dans l'exploitation des ressources. Pour d'autres, ce sont les guerres ou encore l'abus des boissons alcoolisées qui entraînent une diminution sensible de la population autochtone et son acculturation. Enfin, il reste que l'Amérindien a un système immunologique qui le rend vulnérable aux maladies venues d’Europe, d'où les nombreuses épidémies qui déciment tour à tour les tribus.
Lors des premiers contacts, ce sont les Blancs qui doivent adopter les inventions autochtones (raquettes, canot), ce qui montre que leur supériorité technologique est relative lorsque considérée dans la géographie et le climat nord-américains. Pour leur part, les Amérindiens, selon des recherches récentes, n’étaient pas avant la création des réserves toujours aussi dépendants des postes qu'on est porté à le croire. À l'activité des fourrures qui sert d'abord à satisfaire certains besoins, les Amérindiens allient des activités tournées principalement vers l'auto-subsistance. En somme, l'économie marchande créée autour des fourrures laisse place à un système mixte de production, l'un tourné vers l'auto-subsistance, l'autre, vers les marchés extérieurs.
Parmi les marchandises expédiées d'Europe vers le Canada, ce sont les produits utilitaires qui constituent l'essentiel des stocks. La plupart des produits sont fabriquées dans diverses petites industries qui sont localisées en France, en Hollande, en Espagne ou ailleurs en Europe. Les traiteurs en viennent à créer des réseaux d'approvisionnement qui dépassent les cadres régionaux ou nationaux. Certains relevés des marchandises envoyées par la société Dugard (l'un des fournisseurs de Cugnet) vers le Canada en 1742 et 1743 indiquent les lieux d’origine variés des marchandises. Mentionnons les toiles de Rouen, de Laval, de Cholet, de Morlaix et de Beaufort, les draps de Louviers et d'Elbeuf, les bas de Caen, les bonnets d'Orléans ou de Saint-Germain, les soies de Lyon et les serviettes à grain d'orge de Lille. Saint-Étienne fournit une grande quantité d'armes. Dieppe apporte ses carreaux de verre alors que le matériel spécialisé pour l'extraction des dents provient de Paris.
Les produits recherchés par les Ilnus dans les échanges
Quels sont les produits recherchés par les Montagnais du Saguenay ? Nous appuyant sur un des rares inventaires détaillés qui concerne le poste de Chicoutimi en 1737, après que le brigantin l'Hirondelle ait livré sa cargaison, il est possible de dégager certains points intéressants sur la présence des produits européens dans la région. Parmi tous les articles qui se trouvent en magasin avant les départs pour les chasses d'automne, 42 % de la valeur du stock se compose de tissus et vêtements, 24 % d'armes et de munitions, 13 % d'aliments comprenant pour l'essentiel de la farine et des biscuits. Les outils et les ustensiles représentent 4 % de la valeur, la boisson, 2 % et le tabac, 14 %. Dans la catégorie armes et munitions, la valeur donnée à la poudre et au plomb est deux fois plus grande que celle des fusils.
On peut se surprendre de l'importance que les vêtements prennent dans la traite au Saguenay. Cette situation s'explique par la froideur du climat et par le fait que les Montagnais de l'intérieur échangent les fourrures qui servent habituellement à la confection de leurs vêtements. D'ailleurs, les Cris de la Baie d'Hudson ont toujours consacré eux aussi une part importante de leurs échanges à se procurer des tissus et des vêtements, cette valeur dépassant même parfois 45 % vers les années 1780. Le coût des armes reste élevé et il en coûte relativement cher pour assurer leur fonctionnement. Les aliments ne comprennent en fait que des produits de base, comme la farine, les biscuits, les pois ou le lard. On peut soupçonner que ces produits servaient aux employés des postes. Les Montagnais de l'intérieur du Saguenay échangent somme toute peu de fourrures pour obtenir des aliments et il en est de même pour les Cris de Eastmain House au 18e siècle. Sous ce rapport, les autochtones restent autosuffisants. La part des dépenses consacrées à la boisson (2 %) est bien inférieure à ce que l'historiographie nous suggère. Mais l'importance du tabac, avec 14 % de la valeur, surprend, d'autant qu'à l'origine, ce produit était traité par les Amérindiens eux-mêmes dans les foires. Pour l'eau-de-vie et le tabac réunis, la situation à Chicoutimi est semblable à celle d'Eastmain House où, à la même période, ce type d'articles représente entre 10 et 15 % de la valeur globale de la traite.
Bibliographie :
Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.