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Des cinéastes : de l’Abbé Proulx à Gilles Carle
Thème : Culture

L’Abitibi-Témiscamingue des cinéastes : de l’Abbé Proulx à Gilles Carle

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 6 août 2004


Tôt au XXe siècle, la région de l’Abitibi-Témiscamingue fait l’objet de films et de documentaires. En effet, dès les années 1930, des cinéastes amateurs se rendent dans la région afin d’immortaliser les premiers moments des nouveaux villages de colonisation ou encore ceux des villes minières naissantes. Ces films et documentaires tournés en Abitibi-Témiscamingue, comme ailleurs au Québec, constituent en fait des outils de propagande pour les ténors de la colonisation et les promoteurs de l’industrie minière. Ce cinéma de propagande fait toutefois place à un cinéma beaucoup plus critique sur les réalités régionales, à compter des années 1960. Des cinéastes de l’extérieur viennent en Abitibi pour tourner l’envers de la médaille du discours colonisateur. Cela engendre le développement de talents locaux et régionaux qui se lancent à leur tour dans la production cinématographique. 
 
Des cinéastes amateurs produisent la première génération de documentaires sur l’Abitibi-Témiscamingue. Ils retiennent deux thèmes principaux pour leurs films, la colonisation et le développement minier. Au total, ces cinéastes amateurs réalisent une trentaine de courts-métrages, entre 1929 et 1960. Les abbés Maurice Proulx et Albert Tessier comptent parmi les cinéastes à tourner dans la région. Une fois dépouillés de leur contenu propagandiste, ces films constituent de vrais documents historiques sur les débuts de cette nouvelle région. Par exemple, l’abbé Proulx réalise le film En pays neuf, qui relate les premiers temps de la paroisse de Sainte-Anne-de-Roquemaure, à la suite de séjours en 1937 et en 1942. Dans la même veine, en 1934, le ministère de la Colonisation commande à Claude Melançon un documentaire, De la rue à la charrue, un film qui doit faire la promotion des terres de l’Abitibi auprès des chômeurs des villes du Québec. Également, les films muets de l’Oblat Roger Lafleur présentent la vie des premiers citoyens de Rouyn-Sud, en 1938.
 
D’autres courts-métrages vantent la vie de prospecteurs et les possibilités de s’enrichir grâce aux ressources minières de l’Abitibi-Témiscamingue. Le ministère des Mines finance ces films que réalisent des cinéastes anglophones. Les films Treasure Hunt et The Noranda Enterprise, par exemple, véhiculent un message clair et sans équivoque : « au bout du sentier, la fortune attend les chercheurs d’or ». Dans les années 1950, l’Office national du film (ONF) produit le film Abitibi, traçant un panorama des villes minières de l’Abitibi-Témiscamingue. Les Amérindiens de la région occupent aussi une place dans la filmographie régionale. Mentionnons le film Silent Enemy réalisé sur le site Topping au Témiscamingue, entre 1925 et 1927. Le père Roger Lafleur réalise les premiers documentaires de nature ethnographique sur les Algonquins de l’Abitibi-Témiscamingue : Mœurs indiennes des Algonquins de l’Abitibi et Le pensionnat indien d’Amos. Le père Lafleur vise à réhabiliter les Algonquins auprès des Blancs. 
 
Les premiers films critiques sur le mouvement de colonisation apparaissent dans les années 1950. Bernard Devlin, de l’Office national du film (ONF), réalise les premiers courts-métrages alliant fiction et réalités en Abitibi. Ses deux films, L’Abatis en 1952 et surtout Les Brûlés en 1957 mettant en vedette Félix Leclerc, marquent un tournant dans la filmographie régionale en présentant un regard critique sur la colonisation qui s’achève et qui laisse transparaître ses échecs. Devlin décrit les rapports de pouvoir au sein de la société naissante et les dures réalités de la vie de colon à la frontière. Il ouvre la porte à une nouvelle génération de cinéastes qui questionneront plus durement encore le mouvement de retour à la terre des années 1930. 
 
À compter des années 1960, journalistes et cinéastes jettent un regard nouveau sur le passé récent de l’Abitibi, en particulier sur la question de la colonisation. En 1964, Judith Jasmin effectue un premier reportage pour la télévision de Radio-Canada en Abitibi. Elle interroge des aînés qui racontent à la caméra les misères et difficultés vécues à la suite de leur arrivée en Abitibi. Dans les années 1970, des cinéastes formés à la section française de l’ONF réalisent des films dans lesquels ils dressent un portrait très critique de la société québécoise et de la réalité abitibienne. Ces reportages et documents sèment l’ire de la population régionale et du député créditiste Réal Caouette. Les gens de la région n’acceptent pas le fait de voir le côté misérabiliste de leur passé mis à jour, tandis qu’on ne dit mot sur les réussites. 
 
À compter de 1975, la grande période démystificatrice de l’histoire régionale démarre avec, comme toile de fond, un ton contestataire. C’est dans ce contexte que Pierre Perreault tourne quatre films sur la région, entre 1975 et 1980 : Un royaume vous attend, Le retour à la terre, C’était un Québécois de Bretagne et Gens d’Abitibi. Il y dépeint une certaine réalité régionale, l’échec de la colonisation et le pillage des ressources par les multinationales. Par ailleurs, en 1973, Gilles Carle, originaire de la région, réalise le film Les Corps célestes qui traite d’une autre réalité, celle d’une maison close de l’Abitibi multiethnique des années 1930. Les divers cinéastes qui viennent en région auront une certaine influence sur le développement de cinéastes originaires de la région. Mais, par-dessus tout, ce sont l’expérience du BLOC et le projet d’animation sociale du Multi-Média, de 1972 à 1978, qui favorisent l’éclosion de cinéastes abitibiens. 
 
Ainsi, entre 1970 et 1985, une trentaine de films sont tournés en région. Plusieurs sont l’œuvre de cinéastes abitibiens, notamment ceux que produit André Blanchard. Ce dernier réalise Beat en 1976 et L’Hiver bleu en 1979. Les films de Blanchard mettent en lumière les dures réalités économiques de la région et la décision de rester en région ou de partir. En 1977, la compagnie Abbittibbi Blue Print, fondée en 1974 par Richard Desjardins, Robert Monderie et Daniel Corvec, produit le film Comme des chiens en pacage qui scrute les grandeurs et les misères des pionniers de la région, dans le cadre du 50e anniversaire de Rouyn-Noranda. La même équipe produit également Une mouche à feu, en 1980, sur la tournée d’un chanteur western abitibien, et Noranda, en 1984, sur la pollution et l’incurie des compagnies à ce sujet. Desjardins et Monderie produisent également L’erreur boréale en 1999. À cela, s’ajoutent de nombreux documentaires tournés pour Radio-Québec et l’ONF. 
 
Comme on peut le voir, deux époques caractérisent le cinéma sur l’Abitibi-Témiscamingue. Les films tournés avant 1960 présentent un portrait de nature propagandiste sur la colonisation et le développement minier. Au tournant des années 1960, les films, documentaires et reportages offrent plutôt un regard critique sur le passé abitibien. C’est également à cette époque que le cinéma régional naît en Abitibi, donc que des Abitibiens prennent la caméra et présentent les réalités de leur région. 
 
 
Bilbiographie :

Blanchard, André. Le cinéma régional dans le cinéma québécois : l’exemple abitibien. Thèse de doctorat, Université de la Sorbonne, Paris. 1987. 
Vincent, Odette. « Au carrefour des influences : la vie socio-culturelle », dans Odette Vincent (dir.), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995. p. 369-409. Collection les régions du Québec no 7. 
Vincent, Odette. « Ébullition culturelle au Nord », dans Odette Vincent (dir,), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Québec, Institut québicois de recherche sur la culture, 1995. p. 561-606. Collection les régions du Québec no 7. 
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