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Spirit Lake : un camp de détention
Thème : Société et institutions

Spirit Lake : un camp de détention en pays de colonisation, 1914-1920

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 9 juillet 2004

 
La déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne, le 4 août 1914, va avoir des répercussions directes sur le Canada. Deux jours plus tard, le Canada s’engage  en effet aux côtés de l’Angleterre pour combattre l’Allemagne. En plus de la levée de troupes, le Canada se met sur un pied de guerre à l’intérieur même de ses frontières. Il commence à surveiller étroitement certains immigrants ne possédant pas encore leur certificat de naturalisation, en particulier ceux qui sont originaires de nations ennemies telles que les Allemands, les Austro-Hongrois, les Bulgares et les Turcs. Le 28 octobre, le gouvernement canadien de Borden ordonne l’enregistrement et, dans certains cas, la détention d’immigrants qui proviennent de pays en guerre contre le Canada. Ils sont alors détenus dans des camps répartis dans l’ensemble du Canada, dont un en Abitibi, à Spirit Lake, près d’Amos. Seule l’histoire du camp abitibien retient ici notre attention.
 
Au total, le Canada construit 24 camps de détention qui fonctionnent entre 1914 et 1920. Le Québec en compte quatre. Deux camps sont ouverts en 1914 : celui de Montréal, le 13 août, et celui de Beauport, le 28 décembre. Deux autres voient le jour en 1915 : celui de Spirit Lake, le 13 janvier, et celui de Valcartier, le 24 avril. Il convient tout d’abord de s’interroger sur le choix du site du Spirit Lake pour la construction d’un camp de détention. En fait, plusieurs raisons motivent ce choix par le gouvernement canadien. Ainsi, Ottawa vise d’abord à se faire donner des étendues de terrain boisé dans le dessein de les faire défricher et mettre en culture par les prisonniers, ce qui permettra aussi d’assurer en partie leur subsistance ainsi que de préparer des fermes expérimentales pour l’après-guerre.
 
Le choix de l’Abitibi, alors en pleine période de colonisation, s’explique aussi par les 500 kilomètres de forêts la séparant du reste de la province, diminuant d’autant les risques d’évasion. Le ravitaillement des prisonniers et du personnel se ferait par le chemin de fer National Transcontinental, ouvert récemment. Des critères économiques entrent également en compte. Le village d’Amos, regroupant 550 personnes, compte alors quatre magasins, un restaurant et trois hôtels, tous acculés à la faillite à la suite de l’arrêt du mouvement de colonisation. Hector Authier, maire d’Amos et président de la Chambre de commerce, convainc alors le gouvernement fédéral d’opter pour le site du Spirit Lake afin d’aider financièrement les commerces d’Amos. 
 
Le camp de détention s’élève à huit kilomètres à l’ouest d’Amos, dans le canton Trécesson, à proximité de la ligne de partage des eaux qui sépare les bassins hydrographiques laurentien et hudsonien. L’endroit porte alors le nom de Spirit Lake, aujourd’hui connu comme le lac Beauchamp. Les Amérindiens de ce secteur lui ont donné ce nom. Des campeurs amérindiens auraient aperçu une grosse étoile au-dessus du lac et en auraient conclu à la présence d’un esprit, d’où leur appellation de ce secteur. Le camp de Spirit Lake s’étend sur 22 lots, couvrant 890 hectares. Jean Laflamme en fait cette description : 
 
« Seul Spirit Lake offrait le type classique du véritable camp de détention. Son ensemble de baraques trapues formait, en bordure du chemin de fer, une sorte de petit village étroitement ceinturé d’une haute clôture de barbelés. Dix bunk houses de 27 pieds par 75 (8,2 mètres par 22,8) abritaient, quelque cent prisonniers chacun. Les camps des soldats, la Guard Room, la boulangerie, la cuisine, le magasin et l’entrepôt s’alignaient entre les deux rangées de camps des détenus. Un peu en retrait, sur deux buttes légères, le mess des officiers, celui des sergents, la prison et le double hôpital. Hors de la clôture, sur les bords d’un lac circulaire de deux milles (3,2 km) de diamètre, des chalets de bois rond abritant les familles des officiers. Du côté opposé, refoulés dans les rochers, une chapelle et d’autres habitations rudimentaires pour les familles de certains prisonniers. Partout à l’entour, la forêt vierge attaquée par les défrichements naissants. » (p. 12) 
 
À son ouverture, le 13 janvier 1915, le personnel militaire du camp de Spirit Lake se compose de neuf officiers (incluant un médecin), 40 sous-officiers et 160 simples soldats. Au personnel militaire s’ajoute le personnel civil comprenant cinq personnes dont un interprète, un contremaître de construction et d’un employé affecté à la cuisine et, plus tard, à l'organisation d’une ferme expérimentale. Ce personnel militaire et civil se charge des prisonniers, au nombre de 1 200 à son ouverture. Ce nombre représente 85 % des personnes arrêtées au Québec à cette époque. Les prisonniers proviennent en majorité de l’Austro-Hongrie, mais aussi de l’Allemagne, de Bulgarie et de Turquie. Spririt Lake constitue le camp de détention le plus important au Québec. Le camp de Spirit Lake loge également une soixantaine de familles de prisonniers.
 
L’âge d’or de ce camp, si l’on peut dire, ne dure qu’un an et demi. En effet, au printemps 1916, le gouvernement canadien change sa politique à l’égard des prisonniers de guerre, à la suite de la pénurie de main-d’œuvre qui sévit au pays. La majorité des prisonniers de guerre sont alors libérés sur parole. Ils s’engagent ainsi par écrit à respecter les lois canadiennes et à se rapporter périodiquement aux autorités policières. En retour, les prisonniers travaillent notamment pour les compagnies de chemin de fer, les mines et les aciéries. Ainsi, le nombre de détenus de Spirit Lake passe de 1 144 le 1er mai 1916 à 99 le 11 septembre suivant. Leur nombre augmente par la suite à 257, le 1er janvier 1917. Le camp ferme définitivement ses portes le 28 janvier 1917 et ses détenus sont transférés à Kapuskasing, dans le nord-est ontarien. La ferme et son équipement sont alors cédés  au ministère de l’Agriculture du Canada pour y exploiter une ferme expérimentale de 1918 à 1928. Par la suite, elle passe aux mains du ministère de l’Agriculture du Québec qui y établit une ferme de démonstration. 
 
En résumé, un véritable camp de détention est aménagé sur les bords du Spirit Lake, en 1915. Ce site permet l’aménagement d’une ferme, rend difficile toute tentative d’évasion à cause de son isolement du reste du Québec et favorise surtout la survie des commerces d’Amos. Pendant ces deux années d’activités, le camp de Spirit Lake renferme plus de 1 000 prisonniers provenant en majorité de l’empire Austro-Hongrois et de quelques autres pays. La pénurie de main-d’œuvre qui sévit au pays, à compter de 1916, favorise la libération sur parole de la plupart des prisonniers. Cela conduira à la fermeture du camp de Spirit Lake. 
 
 
Bibliographie :
 
Laflamme, Jean. Les camps de détention au Québec durant la première guerre mondiale. Montréal, [s. é.], 1973. 49 pages.
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