Thème :
Société et institutions
Les soins de santé en région éloignée : de la réforme aux dures réalités…
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 30 juin 2004
Au début des années 1960, les gouvernements fédéral et provincial font de l’accès universel à des services complets et de qualité dans le domaine de la santé et des services sociaux leur priorité principale. Ils visent ainsi à remplacer les services offerts par le secteur privé et les communautés religieuses par des services gratuits pour l’ensemble de la population. Nous assistons alors à la construction de l’État providence, axé sur la distribution de services aux citoyens. Cette implication de l’État se met en place peu à peu par le biais de l’adoption de lois, la mise sur pied d’une commission d’enquête et l’implantation d’une réforme sans précédent touchant l’ensemble des soins et des services. Par contre, malgré l’ampleur des changements et des bienfaits apportés aux citoyens, il n’en demeure pas moins que de nombreux problèmes subsistent en matière de santé dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue.
Rappelons tout d’abord qu’avant 1960, seuls les indigents reçoivent de l’aide gouvernementale pour couvrir les frais de leur hospitalisation. En 1961, le gouvernement du Québec adopte un programme public d’assurance-hospitalisation qui assure la gratuité des soins hospitaliers à tous les citoyens. Il s’agit d’un premier geste gouvernemental qui ouvre la porte à un plus grand contrôle administratif et juridique sur les établissements hospitaliers. La loi sur les hôpitaux de 1962 impose notamment la création d’un conseil d’administration ainsi qu’un cadre de gestion pour les projets de développement des hôpitaux. Après l'intégration des laïcs à tous les niveaux dans les postes de direction et de gestion des hôpitaux, le gouvernement du Québec acquiert nombre de ces établissements au début des années 1970. Ainsi, en Abitibi-Témiscamingue, les hôpitaux Youville de Rouyn-Noranda (1972), Hôtel-Dieu d’Amos (1973), Sainte-Famille de Ville-Marie (1974) et Saint-Sauveur de Val-d’Or deviennent propriété de l’État.
Par ailleurs, la réforme suggérée par la commission Castonguay-Nepveu, mise sur pied en 1966, se concrétise dans les années 1970. La création du ministère des Affaires sociales, en décembre 1970, s’ajoute au régime de l’assurance-maladie. L’adoption de la Loi sur les Services de Santé et les Services Sociaux, en 1972, favorise la création de nouveaux organismes institutionnels en Abitibi-Témiscamingue tels que les centres locaux de services communautaires (CLSC), les centres des services sociaux (CSS) et le département de santé communautaire (DSC), le tout chapeauté par le Conseil régional de la santé et des services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CRSSSAT). La réforme propose également une vision globale des services de santé, axé autant sur le préventif que le curatif. Toutefois, dans les faits, l’implantation de cette nouvelle structure ne se fait pas sans heurts.
Ainsi, en devenant propriétaire des hôpitaux généraux et publics de la région, l’État transforme cinq des huit établissements de la région en centres hospitaliers (Amos, Rouyn-Noranda, Val-d’Or, La Sarre et Senneterre). Les autres hôpitaux, ceux de Ville-Marie, de Quévillon et de Matagami, sont transformés en centres de santé qui regroupent les deux structures CH-CLSC (des centres hospitaliers (CH) et des centres locaux de services communautaires (CLSC). Au Témiscamingue, des citoyens réclament, en vain, un CLSC autonome, perle de la réforme. Le gouvernement aura le dernier mot et impose le centre de santé à double vocation, en 1979. Le petit hôpital privé de Témiscaming devient donc lui aussi un centre de santé. L’implantation des CLSC sur le territoire se fait difficilement et prend un temps considérable. Ce n’est qu’entre 1985 et 1987 que sont définitivement transférés les services socio-sanitaires de première ligne aux CLSC de Rouyn-Noranda, La Sarre et Amos.
Ces établissements ne satisfont toutefois pas à tous les besoins de la région, notamment ceux des aînés et des enfants. Également, à cette époque, l’Abitibi-Témiscamingue se classe au deuxième rang au Québec pour l’importance des déboursés d’assistance sociale. Ainsi, la création du Centre des services sociaux, l’ouverture de centres d’accueil pour aînés et de maisons d’hébergement pour jeunes contribuent à combler les besoins de ces clientèles. Depuis 1969, la région compte également un hôpital psychiatrique à Malartic. Parallèlement aux établissements de santé, il existe de nombreux organismes privés et communautaires offrant des services aux itinérants, aux toxicomanes et aux personnes violentées.
Toutefois, la modernisation du système de santé et des services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue ne règle pas tous les problèmes. L’insuffisance chronique du personnel médical constitue la carence principale du système de santé de la région. Ce problème a été identifié dès 1965 et il perdure encore aujourd’hui. Ainsi, en 1965, en Abitibi-Témiscamingue, le ratio est de 1 médecin pour 2 119 habitants, tandis qu’à l’échelle du Québec, il est de 1 pour 841 habitants. En 1976, on note une augmentation significative du nombre de médecins en Abitibi-Témiscamingue, comme en témoigne le ratio de 1 pour 1 600 personnes. Toutefois, certaines spécialités sont encore absentes ou peu développées, comme la cardiologie, l’anesthésie et la gynécologie. Dans certains centres hospitaliers, il n’y a qu’un seul chirurgien. En fait, les données sur le ratio médecin/habitants soulèvent la question de la répartition des ressources médicales dans les secteurs géographiques de la région puisque les centres urbains sont généralement mieux nantis que les centres ruraux.
En somme, la réforme du secteur de la santé des années 1960 et 1970 apporte la modernisation des établissements et des services en Abitibi-Témiscamingue, comme ailleurs. Les citoyens bénéficient dorénavant de l’assurance-hospitalisation et ont accès à des services autrefois inexistants. Toutefois, les réformes gouvernementales sont loin de faire disparaître tous les problèmes reliés au secteur de la santé et des services sociaux, comme l’illustre la pénurie chronique du personnel médical dans la région.
Bibliographie :
Riopel, Marc. D’un hôpital de mission au Centre de santé Sainte-Famille, 1887-1987. Ville-Marie, Comité du centenaire du Centre de santé Sainte-Famille de Ville-Marie, 1987. 68 pages.
Vincent, Odette. « Vers des institutions régionales », ans Odette Vincent (dir.), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue. Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, p. 527-560. Collection Les régions du Québec no 7.