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Une médecine de brousse
Thème : Société et institutions

Une médecine de brousse : infirmières de colonies et hôpitaux de compagnies

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 25 juin 2004

Jusqu’au début des années 1960, l’État provincial intervient dans le secteur de la santé, tout en laissant une grande place aux communautés religieuses. Puis, l’intervention étatique prend une nouvelle tournure, entre autres avec l’instauration du régime d’assurance-maladie. En Abitibi-Témiscamingue, le système de santé que l’on connaît aujourd’hui comporte certains éléments qui ont été mis en place au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle. Il se composait alors de divers types d’établissements et présentait des particularités intéressantes. Ainsi, on retrouve des hôpitaux gérés par des communautés religieuses, d’autres financés et dirigés par des compagnies et, finalement, des dispensaires de colonies ouverts dans le cadre des plans de colonisation des années 1930. 
 
Un premier hôpital de fortune voit le jour sur les rives du lac Témiscamingue, en 1866, peu de temps après l’arrivée des Sœurs Grises de la Croix à la mission Saint-Claude. Les religieuses soignent alors les Amérindiens, les bûcherons des campements forestiers et, plus tard, les colons nouvellement établis dans la région. En 1887, les Sœurs Grises le déménagent à Ville-Marie et lui donne le nom d’Hôpital général de la Sainte-Famille. En 1941, après des travaux d’agrandissement, l’hôpital compte une quarantaine de lits et dessert l’ensemble du Témiscamingue. Les Sœurs comptent sur la charité privée et des souscriptions pour son financement et, à compter de 1935, sur des subventions de l’État. Au début des années 1950, les élites régionales s’associent aux religieuses pour entreprendre des démarches pour agrandir et améliorer les services de l’hôpital. Les subventions gouvernementales prennent alors de l’importance et elles signifient une perte d’autonomie de la communauté religieuse dans la gestion de l’hôpital. 
 
Le peuplement du secteur d’Amos, au début des années 1910, rend nécessaire l’implantation d’un hôpital pour desservir cette population, située trop loin de l’hôpital de Ville-Marie. Ainsi, dès 1918, le curé Dudemaine et les notables d’Amos entreprennent des négociations avec les Sœurs de la Charité de Nicolet afin d’ouvrir un hôpital général desservant les localités d’Abitibi-Est. Finalement, l’Hôpital Sainte-Thérèse d’Amos ouvre ses portes en 1930. Il devient l’Hôtel Dieu, en 1942. Il compte sur le soutien des Dames patronnesses qui aident les religieuses en organisant des souscriptions. En 1950, c’est au tour de Val-d’Or de se doter d’un hôpital. L’Hôpital Saint-Sauveur, dirigé par les Filles de la Sagesse, compte 90 lits. Ces deux établissements desservent les patients de l’Abitibi-Est. 
 
Parallèlement aux hôpitaux des communautés religieuses, les compagnies forestières et minières actives dans la région dotent leurs villes mono-industrielles d’un hôpital desservant leurs employés et leurs familles. À Témiscaming, la Riordon Pulp & Paper aménage une salle d’urgence dans le moulin, à compter de 1918. Dans les années 1920, la CIP, qui a racheté l’usine de Témiscaming, établit, dans un triplex de la ville, un petit hôpital qui offre des soins de base, incluant la chirurgie et l’obstétrique vers 1932. En 1942, la compagnie fait construire un hôpital moderne et bien équipé, comprenant 23 lits. Dans l’agglomération minière de Rouyn-Noranda, un premier hôpital ouvre ses portes, en 1926. L’Hôpital des Saint-Anges est administré par les Sœurs de la Charité d’Ottawa. En 1930, ce petit hôpital est remplacé par un bâtiment récent et plus moderne, l’Hôpital d’Youville, à la suite du don du terrain et d’une subvention généreuse de la Noranda Mines. Les compagnies minières des environs et plusieurs organismes bénévoles s’affairent à recueillir des fonds. 
 
Parallèlement à cette première génération d’établissements hospitaliers, il existe une série de dispensaires dans les colonies fondées dans les années 1930 et 1940, dans le cadre des plans de colonisation dirigée. Ces dispensaires apparaissent dans la région à la suite de la création du Service médical aux colons, en 1936. Il permet l’accès gratuit à certains services médicaux aux colons possédant une « carte de colons ». Une infirmière est en poste dans chaque dispensaire de colonie. Sous la responsabilité du médecin-hygiéniste régional, l’infirmière, communément appelée la garde, joue le rôle de véritable médecin de campagne à cause de son isolement des hôpitaux des villes de la région. La garde dispose de sa propre trousse de médicaments, pratique des accouchements et pose, en cas d’urgence, des actes médicaux réservés aux médecins. Elle reçoit les patients au dispensaire et se déplace chez eux à toute heure du jour et de la nuit. 
 
Par ailleurs, l’État provincial commence à intervenir en matière d’hygiène publique à compter de 1888, en formant le Conseil d’hygiène. En 1926, il adopte une loi créant les districts sanitaires, posant ainsi les premiers jalons d’un système de prévention et de dépistage des maladies partout au Québec. Concrètement, cela signifie l’implantation d’unités sanitaires et de dispensaires de colonies sur l’ensemble du territoire de l’Abitibi-Témiscamingue. En 1929, dans la foulée de cette loi, les unités sanitaires remplacent les bureaux d’hygiène, comme c’est le cas de celui de Ville-Marie. D’autres unités sanitaires apparaissent à Amos, en 1932, et à Rouyn-Noranda, en 1945, ce secteur étant auparavant desservi par Ville-Marie. À compter de 1932, l’administration régionale est centralisée à Amos, qui devient alors le chef-lieu des services de santé en région, jusqu’en 1964. 
 
Ce système reste en vigueur jusqu’au début des années 1960 alors que le nouveau gouvernement libéral québécois introduit des changements majeurs dans le réseau de la santé. L’État québécois vise désormais l’accès universel aux services de santé et l’uniformité de la gestion des hôpitaux. Dans ce cadre, les hôpitaux des communautés religieuses et des compagnies passent aux mains de l’État, les dispensaires de colonies et les unités sanitaires sont intégrés aux nouveaux centres locaux de services communautaires (CLSC). Ainsi, entre le début des années 1900 et le début des années 1970, le portrait du système de santé de l’Abitibi-Témiscamingue change considérablement. Les communautés religieuses et les compagnies quittent la gestion des hôpitaux et les colons et habitants des villages ruraux comptent désormais sur les mêmes services de santé que ceux des villes de la région. 


Bibliographie :
 
Riopel, Marc. D’un hôpital de mission au Centre de santé Sainte-Famille, 1887-1987. Ville-Marie, Comité du centenaire du Centre de santé Sainte-Famille de Ville-Marie, 1987. 68 pages. 
Vincent, Odette. « Vivre à la frontière: les premières institutions », dans Odette Vincent (dir.), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, p. 321-368. Collection Les régions du Québec no 7.
 
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