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Les femmes
Thème : Société et institutions

Les femmes dans les colonies et en pays minier

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 11 juin 2004


Les livres d’histoire régionale traditionnels mettent habituellement l’accent sur l’époque des valeureux colons et des membres des professions libérales. Dans ce schéma, les femmes sont généralement oubliées, à moins qu’une d’entre elles aient joué un rôle s’apparentant à celui d’un homme. En fait, les femmes ont joué un rôle majeur dans l’ouverture et le développement de régions de colonisation comme l’Abitibi-Témiscamingue. Elles agissent à titre de mère de familles, d’employée et de responsable de l’exploitation agricole une bonne partie de l’année. Tout au long du XXe siècle, la situation des femmes fluctue au fil des événements majeurs qui se produisent alors, conduisant notamment à l’obtention du droit de vote et à la syndicalisation des institutrices rurales. 
 
L’arrivée des femmes dans un nouveau pays de colonisation, comme le Témiscamingue au XIXe siècle, se fait en même temps que les hommes, la plupart du temps. Ainsi, des familles complètes arrivent par bateau au quai de Ville-Marie. Elles vont ensuite s’établir sur leurs lots de colonisation, dans une maisonnette construite auparavant par les hommes. Après les quelques semaines d’été à travailler au défrichement et à l’ensemencement du potager, les femmes se retrouvent seules avec les enfants, à la suite du départ de leur mari pour les chantiers forestiers. Le cycle recommence le printemps suivant. À cette époque, les guides du colon insistent sur les qualités nécessaires à la femme pour survivre dans ces rudes conditions : persévérance, connaissance du travail agricole, robustesse, capacité à diriger une ferme, courageuse, énergique et dévouée à sa famille. 
 
En général, le travail domestique occupe une place importante dans le quotidien des femmes et cette tâche s’accroît avec l’arrivée de nouveaux enfants. À titre d’exemple, les femmes élèvent les enfants, dont le nombre se situe autour de 10, dans la première moitié du XXe siècle. Elles préparent les repas, font le lavage et le repassage des vêtements, et fabriquent à la main les principaux biens de consommation (vêtements, chaussures, nourriture, savon…). En plus de ces travaux, les femmes participent activement aux travaux de la ferme. Le développement des communautés locales entraîne l’organisation des services et la création d’emplois pour les jeunes filles en milieu rural. Ainsi, les filles célibataires travaillent comme aide-domestiques dans les familles mieux nanties, aident leurs mères à la maison ou encore certaines s’emploient dans les presbytères. D’autres poursuivent leurs études et deviennent institutrices, infirmières, commis de bureau ou secrétaires. 
 
Dans les années 1930, les programmes de colonisation dirigée amènent de nombreuses nouvelles familles dans la région venues directement des villes. Pour ces femmes, cette aventure constitue un choix déchirant. « Il est difficile de savoir ce que représente vraiment pour les femmes le choix de suivre le mari à la frontière. Les entrevues orales témoignent d’une grande variété de situations. Certaines, déjà chargées d'enfants, anticipent le recommencement à zéro; d'autres, surtout celles qui quittent des réseaux familiaux établis « en-bas » ou en ville, craignent l'éloignement et la pénurie de services et de biens de consommation, les vêtements de la fabrique et le pain du magasin par exemple. Quelques-unes partagent le goût de l’aventure et du recommencement de l'époux. » (Odette Vincent, « Au carrefour des influences : la vie socio-culturelle », p. 375.)
 
Dans la décennie suivante, la participation du Canada à la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) entraîne une pénurie de main-d’œuvre dans les usines. Les entrepreneurs se tournent alors vers les jeunes filles et les femmes pour combler le manque de travailleurs. Le retour des soldats, à la fin du conflit, créé une pression sur les femmes actives sur le marché du travail. Des membres de l’élite lancent alors une campagne de valorisation du rôle féminin traditionnel. On encourage alors la fondation d’associations féminines et l’ouverture d’écoles à vocation rurale. La citation suivante illustre à merveille la pensée de ces membres de l’élite traditionnelle des années 1940 : « Voilà toutes des raisons qui portent à accueillir avec encore plus de contentement qu’en temps normal la fondation de l’école ménagère de Guigues. Il importe, en effet, plus que jamais de trouver les moyens d’attacher la femme à ses belles tâches féminines et de lui laisser la conviction que son royaume n’a jamais été et ne sera jamais ailleurs qu’au foyer. » (Julien Morissette, « École ménagère à Guigues », La Frontière, 9 septembre 1943.) 
 
À la même époque, malgré cette visée de l’élite traditionnelle envers les femmes, plusieurs groupes voués à la défense des droits des femmes se forment et font valoir leurs arguments. Ainsi, en 1940, les femmes obtiennent le droit de vote au Québec, après de longues batailles menées par des féministes dans la décennie précédente. Par ailleurs, à la même époque, les institutrices rurales se regroupent à l’intérieur d’un syndicat qui vise notamment à améliorer de façon significative leurs conditions de travail. Les femmes enseignantes font alors front commun contre les dirigeants de commissions scolaires locales, regroupés dans des associations diocésaines, et obtiennent une bonification de leurs conditions. Dans les années 1970, des groupes féministes se forment dans tous les secteurs de l’Abitibi-Témiscamingue, permettant notamment l’amélioration des services aux familles. 
 
En somme, les femmes ont toujours occupé une place fort importante dans l’histoire de l’Abitibi-Témiscamingue. C’est à elles que revient la responsabilité d’élever les enfants et de diriger l’exploitation agricole lors des absences du mari parti pour travailler dans les chantiers et les mines. Plusieurs femmes occupent également un emploi sur le marché du travail, dont celui d’institutrices. Par ailleurs, de nombreuses femmes s’impliquent dans les mouvements féministes afin d’obtenir l’égalité avec les hommes, ce qui conduira à l’obtention du droit de vote en 1940, à la syndicalisation des institutrices rurales, et à la fondation de mouvements sociaux qui se donnent comme mission d’améliorer les conditions des femmes et des familles en général.


Bibliographie :

Riopel, Marc. La vie à Fugèreville, d’hier à aujourd’hui, 1912-1987. Ville-Marie, Comité du 75e, 1987. 136 p. 
Riopel, Marc. Les fractions de l'élite locale et le développement du Témiscamingue, 1939-1950. Mémoire de maîtrise, Département d'histoire, Université du Québec à Montréal, 1989. 134 p.
Vincent, Odette. « Au carrefour des influences : la vie socio-culturelle », dans Odette Vincent (dir.), Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, p. 369-409. Collection Les régions du Québec no 7. 
 
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