Thème :
Territoire et ressources
Le clergé et la consolidation du monde rural témiscamien, 1940-1950
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 4 novembre 2002
À la fin du XIXe siècle, le clergé participe activement à la colonisation agricole du Témiscamingue. Il forme un des groupes de l’élite locale et, à ce titre, il propose une certaine orientation au développement économique et social du Témiscamingue. Dans les premières années du XXe siècle, il s’affaire principalement à développer la colonisation et l’agriculture témiscamienne. Puis, dans les années 1940, le clergé du diocèse de Timmins oriente son action autour de deux pôles principaux : la consolidation des paroisses et la reproduction de la société rurale traditionnelle québécoise. À ces fins, le clergé conçoit un plan d’action englobant l’ensemble des secteurs d’activités sociales et économiques du Témiscamingue. Sur le plan économique, il favorise la formation de coopératives. Sur le plan social et religieux, il valorise la famille traditionnelle et assigne une place précise à chacun de ses membres.
À compter de la fin des années 1930, le clergé du diocèse de Timmins change sa stratégie de développement économique et social pour le Témiscamingue. Dorénavant, il délaisse la promotion de la colonisation au profit de la consolidation des paroisses. D’un côté, le clergé prône la reprise en main de l’économie locale et régionale par les agriculteurs en mettant sur pied des coopératives dans les secteurs de l’épargne et du crédit, de l’agriculture, de la forêt et de l’électricité. De l’autre, il promeut la reproduction de la société rurale traditionnelle en valorisant la place de la religion dans la société et la famille rurale où tous occupent une position spécifique. Les projets mis de l’avant par le clergé se concrétisent et changent, du moins à court terme, la dynamique économique et sociale de la région.
La fondation de coopératives et des cercles locaux de l’Union catholique des cultivateurs constitue sans aucun doute la plus belle réussite du clergé sur le plan économique dans les années 1940. Le mot d’ordre est alors la reprise en main de l’économie régionale par les agriculteurs et un slogan évocateur l’accompagne : « Mêlez-vous de vos affaires ! ». Cette réussite dans la diffusion et l’implantation du coopératisme se fait avec la collaboration des agronomes en poste à Ville-Marie et à Rouyn, tant dans les bureaux gouvernementaux qu’à l’École d’agriculture Moffette, et du rédacteur en chef du journal régional La Frontière. La fondation de coopératives locales dans les domaines de l’agriculture, de l’épargne et du crédit et de la forêt compte parmi les résultats concrets de ces efforts. Pendant que la Chambre de commerce de Ville-Marie mise sur l’entreprise privée pour développer la région, le clergé travaille avec les agriculteurs à la fondation de coopératives.
Le clergé adopte une stratégie précise pour la fondation de coopératives dans les villages témiscamiens. Dans un premier temps, Louis-Zéphirin Moreau, alors aumônier diocésain de l’Union catholique des Cultivateurs (UCC), demande aux curés en poste dans les paroisses du Témiscamingue d’encourager les agriculteurs à fonder un cercle local de l’UCC. Lors de la deuxième phase, des coopérateurs laïcs et religieux enseignent les principes du coopératisme à la population locale. La troisième phase consiste à fonder des coopératives, une fois les grands principes assimilés par les agriculteurs et les paroissiens intéressés. Le but de cette stratégie se résume à former des coopérateurs avant de fonder des coopératives, cela dans le dessein de créer des conditions favorables à leur viabilité.
Le premier champ d’activité visé est la fondation d’une caisse populaire afin de permettre le financement des futures entreprises. C’est ainsi que des caisses populaires Desjardins voient le jour dans la majorité des paroisses du Témiscamingue, à compter de 1936. Puis, les coopérateurs achètent la beurrerie locale, propriété d’un entrepreneur privé, et la transforment en coopérative. Dans les années 1940, toutes les beurreries locales passent ainsi aux mains de coopérateurs, sauf celle de Laverlochère. Comme l’économie régionale repose également sur l’exploitation forestière, les coopérateurs se tournent ensuite vers la fondation de chantiers forestiers coopératifs. En 1948, il existe sept chantiers coopératifs au Témiscamingue, mais devant la difficulté d’obtenir des contrats de coupe, ils cesseront bientôt leurs activités. La consolidation des paroisses rurales ne serait complète sans l’électrification des campagnes et des villages, ce qui justifie la fondation de la Coopérative d’Électricité du Témiscamingue, en 1947.
Sur le plan social, le clergé vise à reproduire la société rurale traditionnelle et à perpétuer la division traditionnelle des sexes à l’intérieur de la famille et dans la société en général. Ainsi, dans son projet de société, le clergé assigne une place précise pour chacun des membres de la famille, en les encadrant selon leurs intérêts. Plusieurs associations paroissiales voient le jour dans les domaines économique, social et religieux. Il y a l’Union catholique des cultivateurs pour les hommes, les Cercles des fermières et l’Union catholique des fermières pour les femmes, et les Cercles des jeunes agriculteurs, des Jeunesses agricoles catholiques, des Jeunesses ouvrières catholiques pour les jeunes. Des groupes de prières pour femmes sont également mis sur pied dans les villages. Les réunions des associations de femmes et de jeunes, souvent présidées par le curé du village, se tiennent habituellement après la messe le dimanche, pendant que les hommes assistent à une assemblée du cercle de l’UCC ou de la beurrerie coopérative.
Toutes ces interventions montrent bien que la stratégie de développement socioéconomique du clergé est axée sur la valorisation de la société rurale traditionnelle. Les agriculteurs constituent le groupe cible, dans le sens que les interventions du clergé visent à améliorer leurs conditions sociales et économiques. Le clergé met l’accent non plus sur la colonisation, mais sur la consolidation des paroisses. La stratégie du clergé porte fruit et les résultats se remarquent par la fondation de coopératives locales dans les domaines de l’épargne, l’agriculture et de la forêt. L’électrification rurale se fait également par l’entremise d’une coopérative. Au plan social, le clergé et les prêtres favorisent le fonctionnement d’une panoplie d’associations, rejoignant ainsi toutes les couches de la population. Enfin, pour les autorités religieuses, la priorité continue d’être la famille et le respect des rôles traditionnels.
Bibliographie :
Archives de la Société d’histoire du Témiscamingue. Fonds Lous-Zéphirin Moreau, dossiers de correspondance et Cahier de coupure de journaux, 1939-1950.
Gagnon, Alain. « L’influence de l’Église sur l’évolution socio-économique du Québec, 1850-1950 », L’Action Nationale, décembre 1979, p. 252-277.
Riopel, Marc. Les fractions de l’élite locale et le développement du Témiscamingue, 1939-1950. Mémoire de maîtrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 1989. 134 p.
Ryan, William F. The Clergy and Economic Growth in Quebec, 1896-1914. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1966. 348 p.