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Pressions sur le territoire de la réserve
Thème : Société et institutions

Pressions sur le territoire de la réserve de Témiscamingue

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 20 novembre 2002


Lors de la création de la Réserve de Témiscamingue, en 1853, les Algonquins sont pratiquement les seuls habitants de la région. La réserve de terres à l’intention des Algonquins ne devait alors poser aucun problème, puisque personne ne revendiquait cet espace. Mais les choses vont changer rapidement à la suite de la vente de concessions forestières aux marchands de bois, dans les années 1870, et de l’ouverture de la région à la colonisation agricole, dans les années 1880. D’autres groupes économiques et sociaux revendiquent alors l’utilisation du territoire et exercent des pressions pour obtenir des terres de la Réserve. Voyons comment et pourquoi les Algonquins ont dû céder des parties importantes de leur territoire. 
 
Dès sa création, les limites du territoire de la Réserve deviennent rapidement un sujet litigieux. La description originale de la Réserve s’avère, somme toute, assez générale, les terres étant comprises dans une partie de territoire de 9,6 kilomètres sur 16 kilomètres, bordée au sud par la rivière Des-Quinze, à l’ouest par la ligne interprovinciale. Cela correspond, en fait, aux limites actuelles du canton de Nédelec. Les premiers arpentages effectués par le gouvernement du Canada, en 1854 et en 1858, apportent des modifications au territoire de la Réserve, notamment en ramenant la frontière ouest à 80 chaînes (1,6 kilomètre) de la ligne interprovinciale. En raison des protestations des Algonquins, le gouvernement reprend de nouveau l’arpentage en 1876, mais aucun changement n’est apporté. Les arpenteurs auraient alors reçu des consignes à l’effet de tenir compte des limites des concessions forestières entourant la Réserve. 
 
Au début des années 1890, les concessions forestières témiscamiennes ont été, pour la plupart, vidées de leurs pièces de pin de grosseur commerciale, exception faite des terres de la Réserve amérindienne. À cette époque, les marchands de bois exploitent des chantiers forestiers dans ce secteur et font pressions pour obtenir les droits d’exploiter le pin sur la Réserve. Concurremment, les promoteurs de la colonisation lorgnent, eux aussi, vers ces terres, mais pour d’autres raisons, en particulier, l’occupation et la mise en valeur des terres agricoles. En 1890, il n’y a plus de lots disponibles sur les deux premiers cantons ouverts à la colonisation agricole, Duhamel et Guigues, les colons étant rendus à la rivière Des-Quinze, limite naturelle de la Réserve amérindienne. Commencent alors d’incessantes pressions de ces deux groupes pour l’obtention des terres convoitées. 
 
Ils avancent comme arguments que les Algonquins n’exploitent pas le potentiel forestier et agricole de ces terres et selon eux, il s’agit d’un gaspillage. Les Algonquins céderont aux pressions et vendront, à différentes époques, des sections de la Réserve. La décision prise en 1894, par le Conseil de bande, de vendre une partie de son territoire, entraîne l’exploitation du pin par les marchands de bois et l’établissement de colons près de la rivière Des-Quinze. Quatre ans plus tard, le Conseil cède à nouveau aux pressions et accepte de vendre toute la partie est et la partie nord de la Réserve, ce qui donne aux colons l’accès à ces terres agricoles. 
 
À compter de 1902, le village de Notre-Dame-du-Nord commence à se développer à la suite de l’achat de terrains par des Blancs, cette année-là et les années suivantes. D’autres ventes de lots boisés aux dimensions commerciales ont lieu en 1905. En 1908, les Amérindiens et les Blancs forment la communauté de la Tête-du-Lac, aussi connue à l’époque sous les noms de Murray City et de Nord Témiscamingue. Les terres sont vendues par le gouvernement fédéral et les sommes d’argent obtenues sont versées en fiducie dans les coffres de la Bande pour le financement de projets spéciaux et d’infrastructures. Pour la majorité des Algonquins, il n’est alors plus question de vendre d’autres parties de la Réserve, puisqu’ils ont déjà concédé assez de terrains pour la colonisation. 
 
C’était sans compter sur la détermination des autorités civiles et religieuses et des colons de la nouvelle colonie de Nédelec qui a vu le jour en 1909, à la suite des cessions de terrains par les Algonquins. Le village de cette colonie se situe à la limite est de la Réserve. Rapidement, les gens de Nédelec se tournent vers la partie nord de la Réserve, d’une superficie totale de 3 642 hectares comme site pour l’expansion de la colonie. Ils y voient la possibilité de disposer de 90 lots de 40 hectares pour d’éventuels colons. Selon eux, cette partie de la Réserve renferme des terres agricoles de haute qualité inutilisées par les Algonquins puisqu’ils ne les cultivent pas. En 1914, Louis-Zéphirin Moreau prend charge de la cure de la paroisse de Nédelec et s’implique dans ce dossier. 
 
C’est un dossier complexe dont le déroulement s’étend sur trois décennies, commençant dans les années 1910 et se terminant dans la controverse en 1939. Dans les années 1920 et 1930, les Algonquins ont été invités à voter à cinq reprises, à ce sujet. En 1922, ils refusent une proposition comprenant, entre autres, l’échange des terrains convoités de la Réserve contre un territoire situé au nord du lac Des-Quinze, dans le canton Villars. À la suite de votes négatifs en 1937 et en 1938, les gens de Nédelec réagissent et décident de s’introduire illégalement sur la Réserve. Un autre vote à lieu le 22 juin 1939 et, devant le résultat serré, un second est organisé le 24 juin suivant. Entre-temps, les divers acteurs exercent des pressions sur les Algonquins pour les convaincre d’accepter la vente des terrains. Finalement, les Algonquins acceptent à l’unanimité, dont plusieurs à contrecœur, l’offre du gouvernement provincial. 
 
Les Algonquins ont d’abord cédé aux pressions des marchands de bois et des colons et ont vendu une partie des parcelles de leur Réserve, ce qui a permis la coupe de pièces de pin ainsi que la fondation de deux villages, Notre-Dame-du-Nord et Nédelec. Mais les colons sont insatiables. Dans les années 1920, l’expansion de Nédelec se poursuit et les autorités civiles et religieuses continuent de reluquer les terres des Algonquins. Elles obtiennent finalement gain de cause en 1938, après un vote controversé. La Réserve est alors de nouveau amputée d’une partie de ces terres.
 
 
Bibliographie : 

Morrison, James. Report on Specific Claim: Temiskaming Indian Reserve No 19, Surrender # 1378, 24 June 1939. Haileybury, Timiskaming Indian Band, 12 February 1993. 97 p. Texte non-publié.
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