Thème :
Société et institutions
Métissages et nouvelles familles algonquines
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 12 novembre 2002
Les coureurs des bois sont les premiers Eurocanadiens à entrer en contact avec les Algonquins du Témiscamingue. Ces contacts prennent plusieurs formes, notamment les mariages entre des Européens et des Algonquines. Ces nouveaux couples et leurs enfants tendent à devenir sédentaires et à vivre à proximité du poste de traite de la Compagnie de la baie d’Hudson. Puis, le démarrage de l’exploitation forestière, à compter des années 1870, entraîne l’arrivée massive de bûcherons dans la région. Certains d’entre eux, célibataires, prennent une épouse algonquine, à l’instar des coureurs des bois. Étant plus nombreux que ces derniers, le nombre de mariages mixtes augmente proportionnellement. Ces familles métisses adoptent souvent un mode de vie issu des deux cultures. Elles vivent dans les bois, mais elles se regroupent dans de petits villages sur le bord des lacs, notamment dans le secteur du lac Kipawa.
Les premiers mariages mixtes sont donc ceux d’employés de la Compagnie du Nord-Ouest, puis de la Compagnie de la baie d’Hudson, qui se marient à des Algonquines. Ces nouveaux couples et leurs enfants demeurent dans les environs du poste de traite Fort-Témiscamingue. Les femmes assurent leur subsistance et celle de leurs enfants une partie du temps, mais généralement elles s’en remettent à leur mari. Quand celui-ci part en expédition, l’entretien de ces familles revient alors à la compagnie. Il arrive également que les employés d’origine européenne retournent dans leur pays et laissent derrière eux leur famille. Généralement, la compagnie n’approuve pas les mariages mixtes, à cause des abandons possibles et de l’augmentation consécutive de ses responsabilités.
Afin d’éviter cette situation, la Compagnie de la baie d’Hudson adopte un premier règlement stipulant que les employés doivent d’abord obtenir l’autorisation du chef du poste avant de se marier. Mais, cela ne s’avère pas suffisant pour diminuer le nombre de personnes à charge de la compagnie. En 1827, elle ajoute une contrainte à ce règlement en décrétant qu’aucun employé ne sera « autorisé à prendre femme à moins de s’engager à laisser le dixième de ses gages annuels entre les mains de la compagnie à titre de provision pour sa famille en cas de décès ou de retraite… ». Au fil des ans, quelques familles métissées s’établissent dans les environs du Fort-Témiscamingue. D’autres préfèrent délaisser le travail dans les fourrures pour s’établir à titre de colons sur les rives du lac Témiscamingue, dans les années 1860, avec leur épouse algonquine et leurs enfants. C’est le cas notamment de Stephen l’Africain, Onésime Cailla et Moïse Lavallée. Ils vivent alors de l’agriculture, de la chasse et de la pêche.
Certaines des familles formées d’employés de la Compagnie de la baie d’Hudson et d’Amérindiennes comptent parmi les premières résidantes de la réserve indienne de la Tête-du-Lac. Ainsi, en 1856, William Polson s’établit sur un terrain de cette réserve avec sa famille. Il est né à la baie d’Hudson d’un père Anglais et d’une mère Crie et est lui-même marié à une Algonquine. En 1869, la famille d’Angus McBride débute l’exploitation d’une ferme sur cette réserve. Il est né au Fort-Témiscamingue vers 1823, d’un père Irlandais et d’une mère Algonquine. Il prend pour épouse Flora Polson, fille de William. James King arrive à la même époque que McBride, à la réserve. Son père est d’origine anglaise et sa mère, crie. Il s’agit des premières familles métisses à coloniser la réserve de la Tête-du-Lac. Une population algonquine s’y ajoute au fil des ans.
Si l’industrie des pelleteries n’attire pas beaucoup d’employés au Témiscamingue, il en va autrement de l’industrie forestière. À compter des années 1880, l’exploitation forestière prend de l’ampleur dans la région et des centaines de bûcherons s’activent dans les forêts témiscamiennes. Plusieurs de ces hommes célibataires prennent des Algonquines comme épouse et adoptent ensuite en partie le mode de vie algonquin. Ces nouvelles familles et leurs enfants métis assurent leur subsistance en partie de façon traditionnelle, tout en vivant de façon sédentaire dans des campements autour du lac Kipawa, notamment, dans les environs du poste de traite d’Hunter’s Point. Rapidement, ces campements prennent l’allure de petits villages en forêt, comprenant des fermes, des maisons de colon, une église et une école. En fait, ces mariages donnent lieu à des échanges culturels et sociaux importants, comme l’explique ce témoignage.
« Flora Robinson-Hunter est née en 1901 et elle a vécu dans le secteur du lac des Loups. Son père était Edward Robinson, un descendant Écossais, et sa mère était Juliette White-Bear, originaire de l’Abitibi. Flora se souvient d’avoir eu une vie plus facile que les autres, pendant sa jeunesse, parce que son père n’était pas un Algonquin. Elle trouvait sa famille en moyens avec leur grand potager, deux vaches et plus de 70 poules. Ils cultivaient des pommes de terre, des navets, des carottes, des betteraves et des oignons. Également, elle se rappelle ses parents commandaient dans le catalogue Eaton de la marchandise diverse telle que de la vaisselle et des vêtements. Son père a appris à parler l’algonquin avant qu’ils n’apprennent tous à parler anglais. Les enfants trouvaient cette situation drôle à l’époque, mais maintenant, ils réalisent qu’il devait parler algonquin pour pouvoir servir les Algonquins lorsqu’il travaillait au magasin de Watson Young, au lac des Loups. »
Les mariages mixtes ont donné naissance à un nouveau mode de vie que se fonde sur des éléments de deux cultures, algonquine et européenne. À l’époque de la traite des fourrures, la Compagnie de la baie d’Hudson s’oppose à ces mariages, mais sans succès. Les nouvelles familles s’établissent généralement sur une base permanente à proximité du poste de traite. D’autres deviennent les premiers colons du Témiscamingue. Vers la fin du XIXe siècle, l’arrivée des bûcherons à la solde des compagnies forestières entraîne une augmentation des mariages mixtes. Les nouvelles familles qui en naissent se regroupent en petits villages sur le bord de certains lacs.
Bibliographie :
Drouin, Rita, avec la collaboration des femmes de Kipawa. Femmes Algonquines anecdotes. Ville-Marie, Comité de la Condition féminine au Témiscamingue, 1989. 50 p.
Francis, Daniel et Toby Morantz. La traite des fourrures dans l’est de la baie James, 1600-1870. Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 1984. 261 p.
Mitchell, Elaine Allan. Fort Temiskaming and the Fur Trade. Toronto and Buffalo, University of Toronto Press, 1977. 306 p.
Moore, Kermot A. Kipawa: Portrait of a People. Cobalt, Highway Book Shop, 1982. 171 p.