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Les transferts culturels
Thème : Société et institutions

Les transferts culturels entre les Algonquins et les Européens

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 11 novembre 2002

 

C’est par le biais du commerce que les Européens entrent en contact avec les Amérindiens, à compter du XVIe siècle. Les Européens profitent du système commercial intertribal afin de faire circuler leurs marchandises en échange d’un bien fort commun pour les Amérindiens, la fourrure. Puis, les missionnaires font leur apparition en territoire amérindien avec l’intention de les convertir au christianisme. Le contact entre les Européens et les Amérindiens engendre une série de transferts d’une culture à l’autre. Les Européens profitent des connaissances des Amérindiens sur plusieurs plans, notamment pour pénétrer presque partout sur le territoire et pour s’initier à la vie de ce nouveau pays. De leur côté, les Amérindiens découvrent de nouvelles façons de faire et de nouvelles technologies, importées d’Europe, comme le démontre l’exemple de la rencontre des Algonquins et des Européens au Témiscamingue et en Abitibi. 
 
Avant l’arrivée des Européens en Amérique, un système de commerce bien élaboré existe déjà entre les diverses tribus amérindiennes, incluant celles du Témiscamingue et de l’Abitibi. Les marchandises circulent librement d’un bord à l’autre du continent, par le biais d’une chaîne d’intermédiaires. L’échange de biens sert alors à conclure des alliances ou encore à se procurer les objets et les matériaux non disponibles sur son territoire, comme les pétro-silex, les silex et le cuivre. Les bandes s’échangent également des peaux de fourrures, des filets, des cordes, du tabac, de la farine de blé d’Inde, des fruits séchés et des herbes médicinales. L’implantation du commerce des fourrures avec les Européens, au XVIIe siècle, entraîne une réorganisation du commerce traditionnel entre les nations alliées. Certaines tribus se spécialisent alors en agriculture, d’autres dans la trappe des animaux à fourrures ou encore dans le rôle d’intermédiaires. 
 
Dans ce nouveau réseau d’échanges commerciaux, les Européens fournissent notamment des fusils et des armes, des chaudrons, des ustensiles et des tissus et, les Algonquins, des peaux de castor et d’autres animaux à fourrure. Il faut toutefois préciser que l’implantation des marchandises européennes chez les Algonquins varie en fonction de leur intégration à la chasse commerciale. En effet, certains Algonquins s’adonnent plus rapidement que d’autres au commerce des fourrures et ils adoptent plus tôt les fusils, les pièges et les habits fournis par les Européens. À l’inverse, d’autres Algonquins poursuivent leurs activités traditionnelles et restent à l’écart des réseaux de traite des fourrures. Ils vivent loin en forêt et, pour eux, le recours aux outils et à la technologie européenne est moins intéressant notamment en cas de bris ou de manque de munitions. Leur intégration au réseau commercial européen se fait ainsi plus lentement. 
 
Au fil des ans, les Algonquins et les Amérindiens en général empruntent plusieurs éléments de la culture européenne, tout en les adaptant à leur mode de vie. La culture matérielle algonquine s’enrichit ainsi d’objets de métal et de fonte tels que les armes à feu, les pièges, les outils de menuiserie, les marmites et l’orfèvrerie d’inspiration européenne. Les Algonquins apprennent également à construire des chaloupes en bois, des maisons en bois et en pierre et s’habillent avec des tissus européens. Leur alimentation se modifie avec l’ajout de pain, de biscuits, de farine, de saindoux, de sucre, de pois et de thé, sans oublier l’eau-de-vie. Certains Algonquins se lancent dans la culture du sol et l’élevage d’animaux de ferme. Les mentalités changent également à la suite de l’influence de la religion catholique et de l’éducation, dont l’apprentissage de l’écriture, de chants religieux et du calendrier solaire. Il y a aussi plusieurs mariages mixtes et des Métis naissent de ces unions. Sur le plan économique, les Algonquins intègrent l’esprit du gain et de la propriété privée, ainsi que la dépendance monétaire et le crédit. 
 
Les transferts culturels se font également en direction des Algonquins vers les Européens. Ces derniers acquièrent la connaissance du territoire et sa désignation toponymique. Les Européens adoptent les moyens de transport amérindiens dont le canot et la raquette, et adaptent certains de leurs vêtements et chaussures à la rigueur du climat. Ils s’initient à la technologie de l’écorce et de la babiche pour la fabrication de divers objets. Au Canada, tous les Européens peuvent aller à la chasse et à la pêche tandis qu’en France, ces activités sont réservées à la noblesse. Ils s’initient à la faune et de la flore que connaissent les Algonquins. Les Européens modifient également leur alimentation, transposent certaines cultures et incluent les plantes médicinales dans les traitements thérapeutiques. Les Européens apprennent de nouvelles façons de faire la guerre, de nouvelles valeurs et règles de diplomatie. 
 
Illustrons ces informations par une description des articles de commerce qui intéressent les Algonquins du Témiscamingue, dans les années 1680. Elle provient d’une pièce judiciaire, écrite en vieux français [Archives nationales du Québec, Montréal, Pièces judiciaires et notariales, O6M-T1-50, 5-6-1687, cité dans Gilles PROULX, Témiscamingue et la traite des fourrures : l'implantation française, p. 16-17.] :

« un fusil et deux rouleaux de tabac, deux couvertes, deux paires de bas, deux paires de manches, un fusil et douze haches, quatre fusils, deux chemises, un justocorps, cinq chaudières, trois paires de souliers […], une carabine, deux couvertes blanches, deux couvertes bleues, quatre paquets de couteaux, une couverture rouge, une paire de bas rouges, une pièce de ratine, neuf martres, qu'il est encore saisi d'un fusil, d'une couverte rouge et de la poudre, un sac bleu plain de bled dinde, un sac de cuir plain de bled dinde, un paquet de tabac enveloppé dans l'écorce de la longueur d'un pied et demy, une gargousse plain à un demy pied près, de poudre fine, un petit sac de cuir plain de pierre a fusil, quatre sacs a moitye plain de plomb, un sac de matassa, un fillet, une ceinture de porcelaine par grain, une vessye plaine de graisse, une chaudière demy plaine de bled dinde, une ecorce de cabane, un canot de quatre places, une paire de mitaines de cuir, un havresac vuide. » 
 
En somme, tant les Européens que les Algonquins modifient leur mode de vie à la suite de leur rencontre. Chez les Algonquins, l’intégration des biens européens varie en fonction de leur participation à la chasse commerciale. Les Européens doivent en général leur survie dans ce nouveau pays aux Amérindiens. 
 
 
Bibliographie : 

Delâge, Denys. « L'influence des Amérindiens sur les Canadiens et les Français à l'époque de la Nouvelle-France », Lekton, II, 2, 1992, p. 103-191. 
Francis, Daniel et Toby Morantz. La traite des fourrures dans l'est de la baie James, 1600-1870. Québec, Les Presses de l'Université du Québec, 1984. 261 p. 
Proulx, Gilles. Témiscamingue et la traite des fourrures : l'implantation française. Québec, Services canadiens des parcs, 1988. 126 p.
Rannou, Marlyn. La ruée vers l’or poilu ou les impacts de la traite des fourrures sur le développement de l’Abitibi-Témiscamingue. Conférence prononcée à la Société d’histoire d’Amos, texte inédit, Lieu historique national Fort-Témiscamingue, 6 octobre 1998. 19 p. 
Trigger, Bruce G. Les Indiens, la fourrure et les Blancs. Français et Amérindiens en Amérique du Nord. Louiseville, Boréal/Seuil, 1992. 542 p. 
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