Thème :
Économie
La navigation sur le lac Témiscamingue et la Lumsden Steamboat Line Company, 1882-1926
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 13 août 2002
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la navigation constitue le seul moyen de transport pour se rendre au Témiscamingue et pour se déplacer entre les localités riveraines de la région. Les moyens de transport utilisés sur le lac Témiscamingue évoluent considérablement lorsque le commerce du bois prend de l’ampleur dans la région. Ainsi, à compter de 1882, de gros bateaux à vapeur côtoient les canots d’écorce des Algonquins et des voyageurs sur le lac Témiscamingue. Des marchands de bois puis des investisseurs privés gèrent des flottes de bateau à vapeur qui assurent le transport des marchandises, des passagers et des billes de bois. L’arrivée du chemin de fer dans le Témiskaming ontarien puis dans le Témiscamingue québécois entraîne la fin de la navigation commerciale, comme le relate ce texte qui vise à faire connaître la courte mais passionnante histoire de la navigation dans la région.
Les Algonquins ont été les premiers à naviguer sur les cours d’eau de la région. Ils se déplacent en canot pour se rendre d’un campement à l’autre et pour participer à des réseaux d’échanges commerciaux avec les nations voisines. Au tournant du XVIIIe siècle, les coureurs des bois arrivent dans la région, voyageant en canot. Puis, les missionnaires se rendent visiter les diverses bandes de la région, conduits par des canotiers algonquins. L’arrivée des entrepreneurs forestiers dans les années 1830 bouleverse cette forme de navigation axée sur les déplacements personnels. En effet, à compter de 1836, les entrepreneurs expédient des cages de bois équarri sur les principales rivières de la région, puis sur le lac Témiscamingue en direction du port de Québec.
L’essor de l’exploitation forestière et les débuts de la colonisation, dans les années 1880, entraînent d’autres modifications à la navigation sur le lac Témiscamingue. Nous assistons d’abord à l’augmentation du volume du flottage du bois. Puis, la circulation s’intensifie à la suite de l’ouverture de la région à la colonisation agricole. Également, en 1882, un premier bateau à vapeur circule sur les eaux du lac Témiscamingue. Il s’agit du Mattawan, construit par Olivier Latour, un exploitant forestier de la région. En 1883, Alex Lumsden, également entrepreneur forestier, se porte acquéreur de l’Argo, le premier bateau à vapeur construit dans la région à l’hiver 1882-1883. Comme le Mattawan, l’Argo transporte des passagers, comme des entrepreneurs forestiers, des bûcherons et des familles de colons, de la marchandise et de l’équipement forestier, en plus de remorquer des cages de bois.
Lorsque le mouvement de colonisation prend son envol, en 1886, d’autres bateaux à vapeur sont mis en service sur le lac Témiscamingue. Ainsi, pendant l’hiver 1886-1887, la Société de colonisation du lac Témiscamingue fait construire un nouveau bateau au quai de Ville-Marie. Baptisé la Minerve, il entre en service au printemps 1887. À la fin de la saison, la Minerve s’échoue et subit d’importants dommages matériels. La Société de colonisation le vend alors à Alex Lumsden. Pendant l’hiver 1888, Lumsden le répare, y apporte plusieurs modifications afin de répondre à l’accroissement de la navigation commerciale sur le lac et le rebaptise du nom de Météor. Rapidement, Alex Lumsden, via sa compagnie la Lumsden Steamboat Line, devient le principal entrepreneur privé dans le secteur de la navigation commerciale sur le lac Témiscamingue. En 1898, il achète un nouveau bateau, le Témiscaming.
En 1906, la succession de Lumsden vend les bateaux de la Lumsden Steamboat Line à la Temiskaming Navigation Company, une nouvelle compagnie formée d’investisseurs de Mattawa. Elle vend ses remorqueurs de bois à la Upper Ottawa Improvement Company et concentre ses activités sur le transport des passagers et de la marchandise. Parmi tous les bateaux naviguant sur le lac Témiscamingue, le Météor et le Témiscaming sont sans contredit les plus connus et les plus utilisés. Entre 1887 et 1920, toutes les familles de colons qui viennent au Témiscamingue arrivent, selon les époques, au quai du Long-Sault ou à celui d’Haileybury. De là, elles embarquent à bord de l’un de ces deux bateaux pour gagner la rive québécoise et se rendre sur leur lot de colonisation.
Par ailleurs, les marchands du Témiscamingue reçoivent et expédient de la marchandise par ces bateaux. Les agriculteurs les utilisent pour se rendre au marché d’Haileybury d’où ils expédient leur production de beurre à Montréal. Les bateaux sont aussi utilisés pour l’expédition aux colons d’effets personnels. Bientôt des quais sont érigés dans chacune des localités riveraines autour du lac Témiscamingue. Ainsi, on en retrouve au Long-Sault, à Fabre, à Ville-Marie, à Guigues et à Notre-Dame-du-Nord, du côté québécois du lac Témiscamingue, et à Silver Center, à Haileybury et à New Liskeard, du côté ontarien. Le quai constitue le centre de la vie sociale et économique de l’époque et l’arrivée du bateau est toujours un moment fort de la journée. C’est même un lieu de prédilection pour les loisirs, surtout avec les excursions et les croisières de nuit, connues sous le nom anglais de Moonlight Partys, qui se déroulent à bord du Météor
La belle époque de la navigation commerciale sur le lac Témiscamingue s’achève avec la construction d’un chemin de fer pour desservir la région. Déjà, dès 1916, le chemin de fer du nord ontarien et le développement de routes d’accès à la région et reliant les localités concurrencent durement la navigation. La Temiskaming Navigation Company vend alors ses actifs à la Compagnie de Navigation de Ville-Marie. Puis, l’arrivée du chemin de fer sur le territoire témiscamien, en 1924, entraîne la fin de la navigation commerciale. Les affaires de la Compagnie de Navigation de Ville-Marie diminuent considérablement et elle décide d’abandonner ses activités. En 1926, un incendie endommage le Météor et on le remorque près de la mission Saint-Claude où il passe l’hiver. Au printemps suivant, le bateau est coulé. Quant au Témiscaming, il est aussi détruit par un incendie en novembre 1927. Toutefois, si les gros bateaux cessent de circuler sur le lac Témiscamingue, celui-ci n’en continuera pas moins d’être utilisé pour le flottage du bois jusque vers la fin des années 1970.
Bibliographie :
Chenier, Augustin. Notes historiques sur le Témiscamingue. Ville-Marie, Société d’Histoire du Témiscamingue, 1980. 133 p., 2e édition.
Gaudet-Breault, Jeannine. Temi Kami « eaux profondes ». Val d’Or, Société d’Histoire du Témiscamingue, 1981. 90 p.
Taylor, Bruce. W. The Age of Steam on Lake Temiskaming. Cobalt, Highway Book Shop, 1993. 155 p..