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Villes minières planifiées
Thème : Économie

Villes minières planifiées et villes champignons en Abitibi, vers 1930

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 25 avril 2003


La ruée minière abitibienne entraîne la formation rapide de communautés là où s’élevait la forêt, quelques mois plus tôt. Rapidement, les compagnies minières procèdent à la construction d’une ville, à proximité de son site d’exploitation. Elles se conforment ainsi à la loi des villages miniers du gouvernement du Québec, qui veut éviter le développement anarchique qu'a connu le Nord de l'Ontario, quelques années auparavant. La planification et la gestion de ces nouvelles villes relèvent de la compagnie. Elles sont d’ailleurs connues sont le nom de ville de compagnie. Seuls les employés peuvent habiter dans les maisons construites par la compagnie. Les commerçants et autres travailleurs s’établissent à proximité dans des villes dites champignons, lesquelles se développent sans aucune préoccupation de planification urbaine. Aussi ces villes présentent un contraste important avec leur jumelle de compagnie. 
 
En Abitibi, nous retrouvons ce phénomène notamment à Rouyn et Noranda et à Val-d’Or et Bourlamaque. Émile Benoist s’est rendu à Val-d’Or et à Bourlamaque en 1936, alors que la ruée minière battait son plein dans ce secteur. Sa description du développement urbain de ces deux villes est fort éloquente. Nous en reproduisons ici les extraits significatifs. 

« Qui n'a pas vu les maisons de Bourlamaque, les jardins qui les entourent, certaines rocailles surtout, les jardinets moins élaborés qui vont avec d'autres habitations moins prétentieuses mais de fort belle apparence, en bordure de larges rues dont la chaussée, les trottoirs et les pelouses sont pour le moins impeccables, celui-la n'a rien vu en fait d'aménagement et d'embellissement d'une ville, ne peut se douter de la rapidité avec laquelle ces choses-là se peuvent faire. 

Au contraire de Val d'Or qui s'est d'abord établi et construit au petit bonheur, quitte à mettre ensuite de l'ordre dans le chaos, Bourlamaque est le résultat d'un plan d'ensemble que des urbanistes ont commencé par mettre sur le papier. Ville ouverte, trop largement ouverte, contre ville fermée, peut-être trop fermée. 

La ville [de Bourlamaque] existe maintenant, avec sa grande rue commerciale, large comme une fois et demie la rue Sherbrooke à Montréal, ses quartiers d'habitations proprettes mais un peu uniformes : des bungalows en billes du pays, tous du même modèle; ses quartiers huppés, où les hauts fonctionnaires s'installent comme si la mine devait produire à perpétuité un flot continu non pas de millions mais de milliards. Plusieurs constructions ont des allures de palais et Le Nôtre, s'il eût dessiné des parcs anglais plutôt que des jardins français, n'aurait pas eu honte d'être le créateur de parcs particuliers du genre de ceux de Bourlamaque.

Bourlamaque s'offre comme une ville moderne, ainsi qu'il en existe sur le papier de luxe de certains magazines qui nous viennent des États-Unis. Mais cette ville compte bien moins d'habitants que sa voisine, Val d'Or : un peu plus d'un millier en comparaison de plus de sept mille. 

C'est que la compagnie Lamaque, qui a organisé Bourlamaque, a jusqu'ici posé des conditions que la plupart des ouvriers mêmes - ils sont plus de 600 - n'ont pas voulu accepter. Bourlamaque explique Val d'Or, sans toutefois justifier pleinement cette dernière. La liberté ne devrait pas exclure l'ordre et le bon sens. 

C'est au cours de l'hiver 1934-1935 que la grande poussée fut donnée. Quelques centaines d'hommes, des squatters, dressèrent leurs tentes sur le site actuel de Val d'Or, une mince bande de terre entre les lacs de Montigny et Blouin. Sur les entrefaites, le territoire de la mine Lamaque avait été piqueté et concédé par un ancien ingénieur de la mine Greene-Stabell, ce dernier ayant été, parait-il, renseigné quant aux affleurements minéralisés de ces parages par un métis algonquin du nom d'Odjik. 

Mais des squatters avaient précédé les concessionnaires, s'étaient installés. La mine Lamaque avait bien commencé d'organiser une ville sur sa propriété mais c'était une ville fermée et les gens que la route nouvelle, déjà bien passable en hiver, faisait affluer de partout n'étaient pas satisfaits des conditions posées par la compagnie, pas disposés en tout cas à payer les prix que celle-ci demandait pour ses terrains. C'est ainsi qu'en marge de la ville actuelle de Bourlamaque, maintenant régulièrement organisée mais dont le progrès semble arrêté, à moins d'un mille de distance, s'est fondée, s'est établie, a grandi la ville de Val d'Or. 

La ville a même grandi avant de s'organiser. Au vrai, la ville existe avec plus de 7,000 habitants; son organisation, sa mise en ordre sont à peine en voie. À côté, Bourlamaque s'offre avec ses rues bien faites, comme tracées au tire-ligne. Ce sont les habitants qui lui font défaut. Bourlamaque en compte à peine plus d'un millier à l'heure qu'il est.
À l'hiver de 1934-1935, Val d'Or avec ses quelques dizaines de tentes paraissait un campement de nomades. En août 1935, le 15 exactement, le village de Val d'Or se constituait selon les prescriptions du code municipal, tenait des élections, se choisissait un maire et six échevins. Des cabanes en billes et même des maisons en planches avaient cependant été construites un peu partout, selon le gré et la fantaisie de chacun. 

Dans les centres miniers, le gain ne provient pas que des seules mines, mais de toutes sortes de travaux qui ne sont pas miniers, de toutes sortes d'entreprises. À Val d'Or, depuis la naissance de la ville, le bâtiment va, par exemple, à grande allure. L'on construit des maisons de tous les genres, pour l'habitation, le commerce, l'industrie. Un toit est à peine posé qu'il loge déjà une hôtellerie, une pension, tout un groupe de familles. La porte d'un garage n'est pas encore sur ses gonds que l'automobile s'empare de la place. De même sur toute la ligne. La course à l'or, au métal même qui s'appelle or, détermine une course générale à l'argent, représentation de la monnaie, du gain. C'est d'abord le bâtiment, ce qui se comprend, et le bâtiment fait ensuite tout aller. »


Bibliographie :

Benoist, Émile. L'Abitibi, pays de l'or. Montréal, Les Éditions du Zodiaque, 1938. 198 p., Collection du Zodiaque Deuxième. 
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