Thème :
Économie
L’arrivée du chemin de fer au Témiscamingue, en 1923
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 15 août 2002
Le chemin de fer se déploie en trois étapes sur le territoire témiscamien. Lors de la première, la Société de colonisation du lac Témiscamingue (SCLT) construit un système de voie ferrée artisanale le long des rapides qui entravent la navigation sur la rivière des Outaouais, entre Mattawa et Témiscaming. La SCLT vise alors à favoriser la colonisation de la région. La deuxième étape consiste en la modernisation des infrastructures ferroviaires et en la construction d’une ligne directe reliant le lac Kipawa, centre des opérations forestières de cette époque, au tronçon Mattawa-Ottawa. Puis, dans une troisième étape, la voie ferrée s’étend sur l’ensemble du Témiscamingue, jusqu’au lac Des-Quinze, nouveau carrefour des opérations forestières. Les besoins de l’industrie forestière dictent le tracé de la voie ferrée, au détriment des avis formulés par les promoteurs de la colonisation agricole.
À sa fondation en 1884, la SCLT entreprend l’aménagement des voies d’accès à la région afin d’en favoriser le peuplement. Elle vise à aplanir les difficultés posées par le transbordement des passagers et des marchandises à chacun des quatre rapides sur la rivière des Outaouais entre Mattawa, alors terminus de la voie ferrée du Canadien Pacifique, et le pied du lac Témiscamingue. En 1885, elle reçoit une subvention du gouvernement fédéral pour la construction d’un chemin de fer à voies étroites d’une longueur de 13 kilomètres le long des rapides du Long-Sault. Puis, l’année suivante, elle fait construire de petites voies ferrées en bois le long des rapides la Cave, les Érables et la Montagne. Ces tramways sont tirés par des chevaux et une locomotive à vapeur circule sur le tronçon qui longe les rapides du Long-Sault. L’inauguration officielle de cette ligne date du 9 juin 1887.
Toutefois, ce système ferroviaire artisanal, construit pour répondre aux besoins des promoteurs de la colonisation, présente rapidement ses limites. Ses voies étroites ne peuvent accueillir les locomotives en service sur le réseau national. De plus, le système ne fait qu’éviter les rapides, laissant le reste du trajet à la navigation. Des pressions sont alors faites pour relier directement le pied du lac Témiscamingue au réseau national qui s’arrête à Mattawa. À cette fin, en 1891, le Canadian Pacific Railway Co. devient propriétaire de ces actifs et planifie la modernisation de ce système ferroviaire. Les travaux débutent en 1894 et, deux ans plus tard, il inaugure sa nouvelle ligne de chemin de fer qui se rend alors jusqu’à Kipawa, centre d’intenses activités forestières.
En 1901, l’Interprovincial & James Bay Railway Co. est mise sur pied dans le but de construire une ligne de chemin de fer de Témiscaming à la rivière Des-Quinze. La charte de cette compagnie l’autorise à poursuivre cette voie ferrée de la rivière Des-Quinze au lac Abitibi et de là, jusqu’à la baie James, en longeant la frontière Ontario-Québec. Il faut dire que, depuis 1902, le Temiskaming & Northern Ontario Railway (T&NO), une entreprise du gouvernement ontarien, relie North Bay à la tête du lac Témiscamingue. En contrepartie, dès 1903, des groupes du Témiscamingue revendiquent la construction d’une voie ferrée du côté québécois, allant jusqu’à la Tête-du-Lac. La construction ne commence toutefois pas avant 1912, alors que l’Interprovincial entreprend des travaux dans les deux extrémités de la voie projetée, à Témiscaming et à Notre-Dame-du-Nord. Toutefois, la guerre qui éclate en 1914 met en veilleuse les travaux.
Ceux-ci reprennent en 1921, mais cette fois Notre-Dame-du-Nord ne figure plus dans les plans. Les infrastructures déjà installées à Notre-Dame-du-Nord sont abandonnées sur place. Le nouveau tracé du chemin de fer part de Témiscaming, se rend jusqu’à Kipawa, puis poursuit sa course en passant par Laniel, où s’établit un groupe de travailleurs, Fabre, Béarn et bifurque vers Ville-Marie, où le train entre en gare en marche arrière. De cet embranchement, la voie ferrée continue vers Lorrainville, Laverlochère, Geoffroy et arrive à Angliers, au pied du lac Des-Quinze. Les travaux s’échelonnent sur deux ans, ils débutent à Kipawa en 1922 et se terminent à Angliers en 1924.
Ce changement de tracé s’explique par les besoins de la Riordon Pulp & Paper Co., pour qui il est primordial d’avoir une liaison directe pour l’approvisionnement de ses chantiers et dépôts forestiers, situés dans le secteur d’Angliers. Puisque le chemin de fer passe au milieu des villages agricoles, cela permet aux agriculteurs de couper le bois de pâtes à papier sur leurs terres et de l’expédier par chemin de fer au moulin de Témiscaming. Par contre, certains groupes de la région veulent que le chemin de fer serve les besoins de la colonisation et non ceux de l’industrie forestière. Ainsi, l’abbé Fugère, alors curé de Fugèreville, demande au gouvernement du Québec de faire pression sur le Canadien Pacifique afin de modifier le tracé du chemin de fer pour qu’il desserve les nouvelles paroisses de colonisation, situées au nord et à l’est de la région. Mais, ces promoteurs de la colonisation ont dû baisser pavillon devant les besoins de l’industrie forestière.
En somme, le chemin de fer s’implante par étapes sur le territoire témiscamien. Dans un premier temps, les promoteurs de la colonisation aplanissent les difficultés posées par les rapides de la rivière des Outaouais en construisant des voies ferrées artisanales. Puis, l’essor de l’industrie forestière amène la construction d’une voie ferrée s’harmonisant avec le réseau national. L’implantation d’une usine de pâtes et papiers et le déplacement des activités forestières vers le nord de la région favorisent le déploiement d’une voie ferrée sur l’ensemble de territoire. Des promoteurs de la colonisation tentent, en vain, d’influencer le tracé.
Bibliographie :
Archives de la ville de Témiscaming. Dossier A.K. Grimmer, Lettres d’Augustin Chénier à A.K. Grimmer, 29 décembre 1950 et 24 avril 1955.
Archives de la ville de Témiscaming. Dossier A.K. Grimmer, Notes préparées par Omer S.A. Lavallée, historien du chemin de fer du CPR à Montréal envoyées à A.K. Grimmer, 25 mai 1955.
Municipalité régionale de comté de Témiscamingue. Minutes des sessions du Conseil de comté, Livre 2, 1899-1942, 11 mars 1903.