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Les ponts couverts
Thème : Économie

Les ponts couverts et le « Grassy Narrow » au Témiscamingue

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 13 août 2002


À la fin du XVIIIe siècle, un premier ingénieur américain obtient un brevet pour un pont entièrement fait de bois. Afin d’accroître sa longévité, on décide de le recouvrir d’un toit et ainsi le protéger des intempéries. L’idée fait boule de neige et se répand rapidement aux États-Unis et au Canada. Ce principe des ponts couverts provient des régions forestières de l’Europe et principalement de la Suisse. Les constructeurs rivalisent alors d’ingéniosité et créent plusieurs modèles de ponts. Au XIXe siècle, il existe six types de ponts couverts au Québec. Après la Première Guerre mondiale, le ministère de la Colonisation du Québec établit des plans standards en élaborant une structure à partir du type Town, du nom de son inventeur, M. Ithiel Town, un ingénieur américain. Le Ministère construit des ponts couverts dans plusieurs régions du Québec comme l’illustre l’exemple du Témiscamingue. 
 
Les ponts de type Town Lattice, que l’on retrouve entre autres au Témiscamingue, sont construits selon un procédé assez simple. Ils exigent des pièces de bois de dimensions ordinaires et le même plan sert pour toute la longueur. Cette structure possède l’avantage de pouvoir être fabriquée en série. On utilise des chevilles de bois pour unir les madriers aux intersections, à la place des clous de fer. L’architecture des ponts varie selon les régions, reflétant le goût et la fortune du constructeur. Ainsi, certains modèles rappellent de petites granges et d’autres, plus luxueux, comportent des galeries couvertes pour piétons, ou encore affichent des couleurs chatoyantes. 
 
Pourquoi couvrait-on les ponts à cette époque ? C’est tout simplement pour protéger la structure du pont contre le pourrissement. En effet, le bois se détériore très rapidement lorsqu’il est exposé alternativement à la pluie, au vent et au soleil. La longévité d’un pont de bois non-traité et non-couvert varie entre 10 et 15 ans, tandis qu’un pont couvert peut durer presque indéfiniment. Par ailleurs, les ponts couverts jouent un rôle social important, en plus de constituer un lieu de rencontre d’amoureux. Par exemple, certains marchands locaux utilisent les ponts couverts pour étaler leurs produits de consommation courante pour les ruraux. Également, on s’y donnait rendez-vous les jours de fêtes et les dimanches matin ou encore, on y tenait des encans et des assemblées politiques. Les ponts couverts inspirent également des légendes locales dont celle qui affirmait que certains étaient hantés et qu’à la tombée du jour, un chevalier fantôme les visitait.
 
Dans plusieurs localités, il existe un tarif de péage s’adressant aux utilisateurs des ponts couverts. Ainsi, pour une voiture à 2 roues et 1 cheval, il en coûte 5¢. Pour une voiture à 4 roues et 1 cheval, le tarif s’élève à 7,5¢. Pour le passage des animaux, les tarifs se lisent comme suit : 1 cheval ou 1 jument, 2,5¢ ; 1 bœuf ou 1 vache, 2¢. Les piétons doivent défrayer 1¢ pour chaque passage. Selon les affiches de l’époque, « […] toute personne qui passera sur ce pont avec des voitures, chevaux, bœufs ou vaches, etc. paiera en allant et en revenant, mais une fois par jour seulement. Le même taux sera payé en hiver et en été et les personnes qui passeront avec une charge plus que la charge de deux chevaux seront responsables des dommages qu’ils causeront au dit pont ». 
 
Aujourd’hui, il existe deux ponts couverts au Témiscamingue. Le premier enjambe la rivière Fraser, à Latulipe, et a été construit en 1932. De type Town, il compte une travée et mesure 32 mètres. Le second s’élève à Guigues et permet de franchir la rivière À la Loutre. Également de modèle Town, il compte une travée et 28 mètres de longueur. Toutefois, malgré la belle apparence de ces derniers, les ponts du Grassy Narrow sont, sans contredit, les plus spectaculaires des ponts de bois du Témiscamingue. Ils ont malheureusement été détruits par un incendie en juillet 1983. L’originalité des deux ponts du Grassy Narrow reposait sur le fait qu’ils étaient les seules structures de bois de type croix de Saint-André multiples connues au Québec. De plus, le pont Sud-Ouest était le plus long pont de bois et le plus bel ouvrage d’ingénierie de ce type au Québec. Revoyons brièvement leur histoire. 
 
En 1939, le ministère de l’Agriculture et de la Colonisation du Québec entreprend la construction de ces ponts. Cette année-là, il érige le pont du Nord-Est, d’une longueur totale de 91,44 mètres. L’année suivante, il débute la deuxième phase des travaux pour construire le pont Sud-Ouest. Ce dernier mesure 267 mètres de long et comporte 7 travées montées sur des piliers caissons à claire-voie. La partie centrale du pont était, au début, couverte. Les deux ponts sont entièrement construits en bois, sans béton, ni acier. Ils s’élèvent au-dessus de la rivière des Outaouais supérieur, entre la rivière Des-Quinze et le lac Simard, dans les limites de la municipalité de Moffet. Afin de permettre aux remorqueurs de bois de circuler sous le pont, la travée centrale du pont Sud-Ouest est construite à un niveau plus élevé. 
 
En 1952, les ponts du Grassy Narrow passent aux mains du ministère des Travaux publics. Peu après, le Ministère enlève le toit et les murs de la partie centrale, craignant que le pont Sud-Ouest ne soit emporté par les vents. En 1968, il incombe au ministère des Transports du Québec d’entretenir le Grassy Narrow. En 1976, le Ministère décide de le fermer à la circulation parce qu’il ne respecte plus les normes de sécurité. Deux ans plus tard, les travaux de réfection des ponts débutent. Plus de 205 mètres cubes de bois ont été remplacés par de l’épinette, de la pruche de l’Est et du sapin Douglas. Les ponts du Grassy Narrow sont ensuite rouverts à la circulation à l’automne 1978. Ils ont ensuite été utilisés à peine cinq ans avant leur malheureuse destruction. Il faut ajouter qu’ils offraient un spectacle impressionnant que l’on soit sur l’eau ou sur terre. 
 
 
Bibliographie : 

Audet, Louise-Hélène, et al. Inventaire des ponts couverts à conserver (région Abitibi). Rouyn, février 1979. 155 p. 
Anonyome. « Cure de rajeunissement du pont Grassy Narrow », Bulletin routier-Abitibi-Témiscamingue, 4, 1, sept.-oct.-nov. 1978, p. 1, 3. 
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