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Les débuts des scieries abitibiennes
Thème : Économie

Les débuts des scieries abitibiennes, 1910-1930

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 10 décembre 2002


L’industrie forestière se développe en Abitibi dès la construction du chemin de fer du National Transcontinental, au début des années 1910. À cette époque, l’industrie des pâtes et papiers est en plein essor dans l’est du Canada et le secteur du bois d’œuvre souffre de cette compétition. Le chemin de fer entraîne la colonisation de l’Abitibi rural et les scieries contribuent largement à la fondation et à la consolidation de ces nouveaux villages. Par la suite, les plus grosses scieries profitent de l’augmentation de la demande lors de la Première Guerre mondiale (1914-1918) pour écouler leur production sur les marchés nationaux et internationaux, en plus des marchés locaux. Par contre, cette prospérité ne dure pas très longtemps puisque les crises économiques qui secouent le pays, en 1921 et en 1929, freinent le développement de l’industrie forestière. Revivons cette histoire forestière à l’époque des premiers balbutiements de l’Abitibi. 
 
D’entrée de jeu, il faut préciser que le secteur du bois d’œuvre abitibien se développe à contre-courant du secteur forestier de l’est canadien. En effet, depuis 1902, le secteur des pâtes et papiers amorce une période de développement d’une telle envergure que la majorité des industriels délaissent la production de bois d’œuvre pour se lancer dans ce nouveau secteur fort prometteur. Également, les compagnies papetières achètent les concessions forestières des entreprises de sciage, bloquant ainsi les sources d’approvisionnement aux producteurs de bois d’œuvre. Par ailleurs, le bois d’œuvre québécois subit une forte concurrence de la Colombie-Britannique sur le marché américain, à la suite de l’ouverture du canal de Panama en 1917, et des pays baltes et russe sur le marché britannique. Ainsi, les grosses scieries québécoises disparaissent presque toutes et il ne reste plus que les petites scieries dans les centres de colonisation. 
 
Malgré ce contexte difficile, les scieries de l’Abitibi se développent considérablement pendant cette période. Elles bénéficient de la construction du chemin de fer du National Transcontinental qui vise notamment, au niveau économique, à mettre en valeur les richesses naturelles du nord du Manitoba, de l’Ontario et du Québec. Cela attire de nombreux industriels dans la région et permet le démarrage de l’industrie du sciage. Une série de paroisses agroforestières voient ainsi le jour le long de la voie du Transcontinental, entre Amos et La Sarre. Les scieries contribuent donc directement à la formation des premiers hameaux abitibiens. Par ailleurs, le gouvernement du Québec confie la gestion des terres boisées de ce secteur directement au ministère de la Colonisation, au lieu de les vendre en concessions forestières. Ainsi, les colons peuvent vendre leur bois et travailler dans les scieries, rendant plus attrayant leur déménagement dans la région.
 
Les premières scieries sont érigées à proximité des chantiers de construction de la voie ferrée du Transcontinental. Elles produisent alors principalement des dormants de chemin de fer et des pilotis. Par la suite, elles scient le bois des colons pour en faire des madriers et des poutres servant à la construction résidentielle. Le nombre de scieries augmente rapidement. Par exemple, selon des contemporains, en 1914, la scierie Massicote et Marchand est déjà en activité à Amos. Cette année-là, Elphège Boisclair démarre une scierie à Macamic, sur les bords de la rivière Loïs. L’année suivante, on compte deux scieries à Amos et une à Taschereau. En 1916, la scierie Pontiac Lumber Co. est construite dans le secteur de Macamic. Puis, en 1917, la scierie Létourneau et Lambert Ltée, une des premières scieries d’importance de La Sarre, entre en production. En 1919, les 43 scieries produisent plus de 80 000 m3 et 245 544 traverses de chemin de fer. 
 
Les industriels choisissent des sites stratégiques pour ériger leurs scieries. La proximité du chemin de fer constitue le premier critère, afin de faciliter l’expédition du bois. La proximité des cours d’eau est un autre critère important puisqu’elle permet l’accès aux vastes ressources forestières et le flottage du bois jusqu’aux moulins. On retrouve deux types de scieries. Il y a d’abord les petites scieries portatives qui produisent, sur une base saisonnière, des planches et des madriers pour les maisons et les bâtiments de ferme des colons. La production de ces scieries locales atteint rarement plus de 235 m3 par année. Ensuite, il y a les grosses scieries, comme à Macamic, Amos, La Reine, La Sarre et Senneterre, qui dirigent leurs propres chantiers forestiers et qui exportent leur production sur les marchés nationaux et internationaux. Ce genre d’usine produit quotidiennement la même quantité de bois qu’une petite scierie produit dans un an. 
 
Les meilleures années de production des scieries abitibiennes se situent à la fin de la Première Guerre mondiale alors que l’Angleterre achète de grandes quantités afin de reconstituer ses provisions de bois. Des industriels profitent alors de la situation pour ériger de grosses scieries en Abitibi à compter de 1918. En 1919, en plus des 43 scieries en production, 44 commerçants de bois parcourent l’Abitibi pour acheter la production de bois pour des compagnies étrangères. Par contre, la prospérité économique est de courte durée puisque la brève crise économique de 1921 affecte durement le secteur du bois d’œuvre, en Abitibi comme ailleurs au Québec. La situation se replace à compter de 1924, à la suite d’interventions du gouvernement du Québec. Les scieries abitibiennes atteignent une production record de 153 500 m3, en 1925. Mais, par la suite, la situation se détériore graduellement pour atteindre le creux de la vague à la suite de la crise de 1929. 
 
Ainsi, des industriels construisent des scieries en Abitibi après l’entrée en service du chemin de fer du National Transcontinental au début des années 1910, même si la conjoncture qui prévaut alors dans l’est canadien ne favorise pas le secteur du bois d’œuvre. Ces scieries sont souvent à l’origine des hameaux et de noyaux de colonisation de la région. Pendant la Première Guerre mondiale, soit de 1914 à 1918, la demande en bois d’œuvre entraîne la construction de grosses scieries en Abitibi. La crise économique de 1929 leur porte toutefois un dur coup. 


Bibliographie :

Asselin, Maurice et Benoît-Beaudry Gourd. « La naissance de l'Abitibi rural », dans Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue, sous la dir. de Odette Vincent, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, Collection Les régions du Québec no 7, p. 197-234. 
Bourget, Marie-Albert. « Sciages et autres produits forestiers », L'actualité économique, 1, 5, octobre 1943, p. 421-440. 
Lower, Arthur. The North American Assault on the Canadian Forest. New York, Greenwood Press Publishers, 1968, p. 1-223, 2nd Edition. 
Perron, Martin. L'histoire de l'exploitation forestière dans la région de La Sarre de 1910 à 1980. La Sarre, Capitale forestière du Canada, La Sarre - 1989, 1989. 46 p. 
Vézin, François. « Le commerce du bois et ses dérivés », dans La forêt, sous la dir. de Esdras Minville, Montréal, Fides/HEC, 1944, p. 253-278.
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