Thème :
Économie
Crise économique et colonisation dirigée au Témiscamingue, 1930-1950
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., 26 juillet 2002
En octobre 1929, une crise économique éclate dans tous les pays occidentaux. Elle amène plusieurs problèmes sociaux, notamment le chômage et la misère qui s’ensuit. L’État et les élites traditionnelles retiennent alors la colonisation agricole pour pallier ces problèmes et pour contrer la grogne populaire. Le gouvernement du Québec offre d’abord aux nouveaux colons des primes d’aide aux défrichements. Il élabore ensuite des programmes de colonisation plus complets, visant à déplacer les chômeurs urbains vers des régions comme le Témiscamingue et l’Abitibi. Ainsi, dans les années 1930, les programmes de colonisation Gordon et Vautrin contribuent à à l’établissement de plusieurs centaines de familles de colons et à la fondation de colonies dans la région.
Entre 1929 et 1932, l’action gouvernementale en matière de colonisation dirigée se résume à la nomination d’un missionnaire-colonisateur pour chaque région, aux versements des primes de défrichement et de premiers labours aux nouveaux colons et aux subventions pour la construction de chemins. Ainsi, en 1930, le gouvernement du Québec nomme l’abbé Louis-Zéphirin Moreau, à l’époque curé de Nédelec, au poste de missionnaire-colonisateur pour le Témiscamingue. Dès sa nomination, le curé Moreau lance une campagne de recrutement de familles intéressées à s’établir sur des terres de colonisation de la région, en ciblant des gens déjà familiers avec le métier d’agriculteur. Ses efforts portent fruits et, en 1931, 70 familles s’établissent dans le canton de Brodeur, situé dans le secteur est du Témiscamingue. Sur ce nombre, 50 jeunes couples proviennent des diverses localités de la région et les 20 autres, de Saint-Zacharie-de-Beauce.
Pour ces familles, l’aventure de la colonisation débute à l’automne 1931. Les Beaucerons montent alors au Témiscamingue et s’installent, avec les autres Témiscamiens, autour du lac Rond, où demeurait Philorum Jubinville, seul résidant de cet endroit depuis la hausse du niveau d’eau qui a suivi la construction d’un barrage sur la rivière Des-Quinze, en 1916. Ces nouveaux colons ne possèdent pas de titres de propriétés et sont donc des squatters. La police tente de les déloger, mais en vain, le curé Moreau se portant à leur défense. L’automne venu, les colons construisent de petites résidences, puis vont travailler dans les chantiers forestiers avoisinants. Au printemps, certains d’entre eux retournent en Beauce chercher leur famille et reviennent en camion. Ainsi nait la nouvelle colonie de Moffet.
En janvier 1932, à la suite de compressions budgétaires, le ministère de la Colonisation du Québec abandonne les primes d’aide aux nouveaux colons. Elles sont remplacées, au cours de l’automne, par un programme de colonisation plus complet. Ainsi, le plan Gordon, une initiative conjointe des gouvernements du Canada et du Québec, voit le jour afin de lutter contre le chômage urbain. Les bénéficiaires du plan Gordon reçoivent une allocation de 600 $, repartie sur deux ans, dont 500 $ leur sont versés la première année pour couvrir les frais de transport et de construction d’une maison. Pour être admissible, un colon doit remplir les conditions suivantes. 1) être chômeur; 2) être sous l’assistance publique ou exposé à le devenir à brève échéance; 3) avoir une expérience agricole rudimentaire; 4) être en bonne santé et avoir un physique le rendant apte aux travaux de la ferme; et 5) être courageux, travailleur, économe et avoir les qualités nécessaires au défricheur.
Le plan Gordon présente cependant d’importantes limites. L’allocation accordée est rapidement dépensée et les colons doivent recourir à un emploi extérieur, dans les chantiers forestiers ou miniers avoisinants, pour boucler leur budget. Le manque d’expérience agricole des nouveaux colons s’avère également une embûche de taille pour la réussite de ce programme. À la suite de son succès mitigé, le plan Gordon est aboli en 1934. Le gouvernement du Québec élabore aussitôt un autre programme de colonisation, baptisé du nom du ministre de la Colonisation de l’époque, Irénée Vautrin.
Le plan Vautrin, en vigueur de 1934 à 1937, s’adresse à une clientèle plus large que le plan Gordon puisqu’il vise autant les célibataires que les gens mariés, les aspirants colons urbains que les ruraux. L’obligation d’être chômeur ou assisté social est abolie. De plus, le gouvernement améliore l’organisation générale du mouvement de colonisation. Ainsi, les gens qui ne possèdent pas ou peu d’expérience en agriculture arrivent en groupe, tandis que les fils d’agriculteurs s’établissent seuls. Dès leur arrivée sur leur lot de colonisation, les colons habitent dans des tentes de toile. Les plus habiles érigent ensuite les maisons tandis que les autres construisent les chemins financés par le gouvernement du Québec. Ce dernier fournit les plans des maisons, qui doivent mesurer six mètres par six.
Plusieurs centaines de familles s’établissent au Témiscamingue sous l’égide de ces programmes de colonisation. Le plan Gordon dirige vers le Témiscamingue et l’Abitibi respectivement 2 664 personnes et 2 776 Québécois sur les 5 955 qui s’en sont prévalus. Trois villages voient alors le jour au Témiscamingue, Moffet en 1931, Rollet et Montbeillard en 1932. Ensuite, profitant du plan Vautrin, 29 411 Québécois s’établissent sur des lots de colonisation, dont 4 286 au Témiscamingue et 12 305 en Abitibi. Au Témiscamingue, les colonies de Rémigny et Roulier voient le jour en 1935 et Laforce, en 1938. Au tournant des années 1940, deux nouveaux programmes de colonisation sont mis en œuvre : le plan Rogers-Auger (1937-1939) et le plan Bégin pendant la décennie 1940. Ils doivent permettre la consolidation des nouvelles paroisses de colonisation.
En résumé, la crise économique de 1929 entraîne une hausse importante du chômage dans les villes. Les gouvernements du Canada et du Québec inaugurent alors des programmes de colonisation afin de diriger des sans-emploi vers les régions rurales. Plusieurs centaines de familles profitent des plans Gordon et Vautrin pour s’établir au Témiscamingue et en Abitibi. Plusieurs nouvelles localités nées à cette époque doivent par ailleurs leur existence à ces chômeurs de la Crise. Leur venue en Abitibi-Témiscamingue sera à l’origine de nouvelles localités.
Bibliographie :
Archives de la Société d’histoire du Témiscamingue. Fonds Louis-Zéphiprin Moreau, correspondance 1930-1934.
Barrette, Roger. « Le plan Vautrin et l’Abitibi-Témiscamingue, 1934-1936 ». Dans L’Abbitibi et le Témiskaming, hier et aujourd’hui, sous la dir. de Maurice Asselin et Benoît-Beaudry Gourd, Rouyn, Collège du Nord-Ouest, 1975, p. 92-155. Cahiers du département d’histoire et de géographie, no 2.