Thème :
Économie
L’agriculture pionnière au Témiscamingue, 1886-1910
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 23 juillet 2002
L’arrivée de nombreuses familles de colons, entre 1886 et 1910, marque le début de l’agriculture pionnière au Témiscamingue. La colonisation constitue en fait la première phase du développement de l’agriculture. Elle consiste à défricher la terre afin d’augmenter les superficies en culture. Mais cette agriculture se développe très lentement, fluctuant au gré du marché de l’époque, en l’occurrence les chantiers forestiers et les camps miniers. La constitution d’un troupeau d’animaux suit la phase du défrichement, mais plusieurs années peuvent s’écouler entre les deux phases. Puis, à force de labeurs et d’économie, le colon devient agriculteur. Il possède alors une petite ferme regroupant quelques bâtiments et un modeste troupeau d’animaux. Tant bien que mal, l’agriculteur réussit finalement à assurer la reproduction de sa famille. Nous sommes à ce moment au début des années 1910.
À l’époque de l’agriculture pionnière, les chantiers forestiers apparaissent le principal débouché pour la production agricole. Les agriculteurs produisent alors principalement du fourrage, des céréales et des pommes de terre qu’ils écoulent dans les chantiers forestiers situés à proximité de leurs fermes. Lorsque les chantiers forestiers deviennent trop éloignés des centres de peuplement et gagnent des secteurs du nord et de l’est du Témiscamingue, les familles de colon les suivent et s’établissent à proximité des nouveaux territoires de coupe et contribuent ainsi à l’extension de l’œkoumène. L’approvisionnement des chantiers se fait désormais par les colons qui seront un peu plus tard à l’origine de nouvelles localités. Pour agriculteurs de la vieille zone de colonisation, l’éloignement des chantiers forestiers peut signifier la perte d’un marché qui leur avait procuré un revenu d’appoint pendant quelques années.
En somme, le marché des chantiers forestiers constitue un débouché à court terme pour les colons. Il convient bien aux colons établis depuis peu sur leur lot de colonisation. Ceux-ci peuvent obtenir un peu d’argent pour les aider au démarrage de leur ferme. Le travail dans les chantiers forestiers leur procure aussi un revenu qui peut être investi dans la ferme. Le marché des chantiers n’offre toutefois pas de perspectives de croissance à moyen terme, puisqu’il y aura toujours de nouveaux colons, situés à proximité, pour y écouler leur production. De plus, à court terme, la vente du foin et de l’avoine aux chantiers a probablement freiné la constitution de troupeaux plus importants.
À l’époque pionnière, les fermes du Témiscamingue sont relativement petites. Par exemple, en 1886, les 69 familles ont en moyenne 6,4 hectares en culture et, en 1887, les 112 familles en ont 7,9. Chaque agriculteur possède alors un lot de 40 hectares dont la production s’oriente vers l’autoconsommation et les chantiers forestiers. Les agriculteurs produisent du blé, de l’avoine, de l’orge, du foin, des pommes de terres, des pois, des betteraves et des navets. Le cheptel se compose alors de chevaux, de bœufs de travail, de bêtes à cornes, de moutons, de cochons et de volailles, mais les paysans possèdent un nombre limité d’animaux, lorsqu’ils en ont. L’équipement aratoire est minimal : le tiers des paysans possède une charrue et une herse, tandis que quelques privilégiés ont une faucheuse et une moissonneuse.
Toutefois, la situation des fermes des paysans s’améliore quelque peu au début du XXe siècle. La mise en valeur de gisements miniers du côté ontarien du lac Témiscamingue, à partir de 1904, entraîne la construction d’une voie ferrée, la création de petites villes à vocation minière et l’ouverture d’un marché relativement plus stable pour les produits des agriculteurs québécois. Ces facteurs et l’amélioration des communications entre les villages de colonisation favorisent l’essor de certains paysans. En effet, plusieurs agriculteurs témiscamiens peuvent alors acheter un troupeau d’animaux et varier leur production agricole. La vente d’animaux, de céréales, de plantes fourragères et de produits maraîchers aide les agriculteurs des vieilles paroisses du Témiscamingue à développer leur ferme.
Malgré ces progrès, les témoignages d’agriculteurs, obtenus en 1910, identifient bien les limites de l’agriculture pionnière et suggèrent des pistes pour sortir du cycle de l’autoconsommation.
« En 1910, M. Isidore Therrien, de Lorrainville, a connu une saison fructueuse. Il a récolté des céréales, des plantes fourragères telles le blé, l’avoine et l’orge et des pommes de terre. Malgré de bonnes ventes, il aimerait améliorer son exploitation agricole. En particulier, il aspire à se doter d’un troupeau de bétail, ce qui lui a manqué jusque-là. Il ajoute qu’une culture mixte donnerait de meilleurs résultats parce que la vente de foin ne paie plus autant qu’avant. Par ailleurs, les agriculteurs de Guérin et de Latulipe, deux paroisses de colonisation, produisent des pommes de terre, des oignons, des betteraves, de la salade, des concombres, du navet, du blé d’inde, du choux et du céleri. Les chantiers forestiers et les chantiers construction de chemin achètent les produits des agriculteurs de cet endroit. Ces agriculteurs ambitionnent eux aussi de s’acheter un troupeau de bétail et de se lancer dans la production laitière. »
L’agriculture pionnière témiscamienne se caractérise par le défrichement des terres et leur mise en culture. La production est principalement axée sur l’autoconsommation et le marché des chantiers forestiers. Toutefois, ce marché n’offre pas de perspectives à moyen et à long terme. L’essor du secteur minier du côté ontarien du lac Témiscamingue offre aux agriculteurs des vieilles zones de colonisation de nouveaux débouchés et certaines possibilités de développement de leur exploitation agricole. Mais c’est une minorité d’agriculteurs qui en tire véritablement avantage. Au début du XXe siècle, la meilleure voie à suivre pour les agriculteurs témiscamiens apparaîtra celle des activités laitières, comme dans d’autres régions québécoises.
Bibliographie :
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