Thème :
Économie
Voulez-vous devenir colon du Témiscamingue ?
Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., 4 juin 2002
Le premier mouvement de peuplement du Témiscamingue se déroule entre 1880 et 1914. Les douze localités issues de ce mouvement forment le Vieux-Témiscamingue. Des centaines de colons s’ajoutent ainsi aux Algonquins, aux anciens coureurs des bois et aux membres des communautés religieuses, déjà implantés dans la région. C’est l’époque de la colonisation spontanée, les colons s’établissant alors de leur propre chef, sans aide financière de l’État. La colonisation débute timidement et s’intensifie à partir de 1885, après l’entrée en scène de la Société de colonisation du lac Témiscamingue. Comment devient-on colon au Témiscamingue, à cette époque ? Quel trajet doit-on emprunter pour se rendre dans cette nouvelle région ? Quel sera somme toute le bilan migratoire de ce mouvement de colonisation ?
Au début des années 1880, quelques familles de colons viennent s’établir dans la région du lac Témiscamingue. Ils se joignent aux quelques anciens coureurs des bois, devenus agriculteurs. Ces premiers colons vivent ici et là sur les rives du lac Témiscamingue et des principales rivières. Des familles métisses cultivent également le sol de la réserve de la Tête-du-Lac. Ainsi, au début de l’année 1886, la région du lac Témiscamingue compte 407 personnes, réparties ici et là sur le territoire. Le mouvement de peuplement s’accentue au cours de l’été 1886 et une première localité est alors fondée, la Baie-des-Pères, qui deviendra Ville-Marie. Trois facteurs principaux expliquent cet envol de la colonisation.
Dans un premier temps, l’intensification des activités forestières dans la région crée une demande de main-d’œuvre saisonnière et un marché pour les produits agricoles, besoins que comblent les nouveaux colons. L’entrée en scène de la Société de colonisation du lac Témiscamingue (SCLT), à compter de décembre 1884, favorise également le peuplement de la région. La SCLT aménage les voies d’accès à la région, jusque-là difficilement accessible, met sur pied un système de navigation sur le lac Témiscamingue et fait la promotion de la région auprès de colons potentiels. Finalement, le désir des paysans d’établir leurs fils sur des terres agricoles les pousse à migrer vers de nouvelles régions de colonisation, les terres des vieilles régions du Québec étant désormais rares. D’autres, par contre, choisissent les villes du Québec ou de la Nouvelle-Angleterre au lieu de s’établir sur des terres de colonisation.
À cette époque, pour devenir colon, il suffit d’acquérir un lot de colonisation auprès de l’agence locale des terres de la Couronne du gouvernement du Québec. Entre 1884 et 1893, la Société de colonisation du lac Témiscamingue joue ce rôle. À partir de 1894, un agent des terres ayant pignon sur rue à Ville-Marie prend la relève dans la vente des lots de colonisation. Ainsi, le nouveau colon achète un lot de colonisation d’une superficie de 40 hectares et, en échange, il reçoit un billet de concession l’obligeant à se soumettre à certaines conditions avant de recevoir son titre de propriété définitif (les lettres patentes).
Outre le paiement régulier de ses versements, le colon doit prendre possession de son lot dans les six mois suivant la signature de l’entente. Le colon ou des membres de sa famille doivent y résider en permanence pendant au mois deux ans. L’acquéreur doit de plus défricher quatre hectares de terre dans les quatre années suivant son établissement et il s’engage à construire une maison de cinq mètres par six mètres. Au bout de deux ans, s’il s’est acquitté des conditions de son billet de concession, le concessionnaire peut demander ses lettres patentes. Tant qu’il n’a pas ce titre de propriété, le colon ne peut couper du bois sur son lot que pour la construction de sa maison et autres bâtiments nécessaires à sa petite ferme.
Une fois qu’ils ont décidé de vivre l’aventure de la colonisation, le colon et sa famille prennent le train à Montréal et se rendent jusqu’à Mattawa. De là, en empruntant de petites lignes ferroviaires locales, ils atteignent Long-Sault, l’actuelle ville de Témiscaming. Ils embarquent ensuite sur un bateau à vapeur, le Météor ou le Témiscaming, en direction de Ville-Marie, d’où ils gagnent, à pied ou en charrette, leurs lots de colonisation situés dans un autre village. À partir de 1902, un autre trajet s’offre aux colons. De Mattawa, ils continuent jusqu’à North Bay et voyagent ensuite par le Temiscaming & Northland Ontario Railway jusqu’à Haileybury. Puis, à bord d’un bateau à vapeur, ils traversent le lac Témiscamingue et débarquent à Ville-Marie, Guigues ou Notre-Dame-du-Nord, selon l’emplacement de leurs lots de colonisation.
Ce mouvement de colonisation s’effectue selon une logique d’occupation du sol qui correspond au déplacement des activités forestières sur le territoire. Ainsi, les premiers colons occupent les terres situées dans les cantons longeant le lac Témiscamingue, puis ils débordent vers l’intérieur des terres. Dans les années 1880 et 1890, nous assistons à la fondation de Ville-Marie, Guigues et Notre-Dame-du-Nord, toutes situées le long du lac, et Lorrainville, située sur le Chemin des Quinze. Au tournant du XXe siècle, s’ajoutent Fabre, Laverlochère, Béarn et Saint-Eugène. Au début des années 1910, quatre nouvelles colonies voient le jour dans l’est et le nord de la région, respectivement Fugèreville et Latulipe, puis Nédelec et Guérin. Ainsi, la population de la région passe de 1 072 habitants, en 1891, à 11 662, en 1921.
En somme, le premier mouvement de colonisation du Témiscamingue débute lentement dans les années 1880, mais prend rapidement de l’ampleur. Les colons achètent leurs lots, souvent à proximité des chantiers forestiers, et s’y établissent ensuite avec leurs familles. Ils se rendent dans la région par le chemin de fer et prennent ensuite un bateau à vapeur pour traverser le lac Témiscamingue. Au total, 12 villages agricoles sont fondés entre 1886 et 1914.
Bibliographie :
Boucher, Réal. La colonisation du Témiscamingue. Document d’interprétation sur le Témiscamingue. Société d’histoire du Témiscamingue, septembre 1981. 70 p.
Caron, Ivanohé. Centre de colonisation du Nord-Ouest de la province de Québec, Le Témiscamingue, l’Abitibi. Québec, ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, 1912. 57 p..
Pellant, Alfred. Vastes champs offerts à la colonisation et à l’industrie. Le Témiscamingue. Québec, ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, 1910. 71 p.
Gouvernement du Canada. Recensements du Canada, 1891 et 1921. Compilation des données par Marc Riopel.
Oblats de Marie-Immaculée. Codex historicus de la mission Saint-Claude de Témiscamingue. Volume 3, 1886-1894. Manuscrit original, Ottawa, Archives Deschâtelets. Non paginé.