Thème :
Culture
La sculpture et la peinture en Gaspésie
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 18 novembre 2002
La sculpture et la peinture sont peut-être l’expression la plus tangible de l’art. Nées du besoin quotidien, elles ont conservé la forme naïve, décriée par les uns, et classique, louangée par les autres. Dans tous les cas, la Gaspésie a produit et produit toujours des artistes, certains connus, d’autres moins. Quatre d’entre eux, affichant quatre tendances, peuvent aléatoirement représenter ce champ de l’expression humaine, la classique, le naïf, le débridé et le « lâché lousse ».
La classique : Suzanne Guité
D’ascendance acadienne, Suzanne Guité est une fille du terroir formée à l’étranger. Chicago, Paris, Florence sont ses écoles, mais Percé est sa muse. De retour en région en 1956, après des années de quête à l’extérieur, elle fonde avec son époux, Alberto Tommi, Le Centre d’Art de Percé où théâtre, chanson, peinture, gravure et poterie s’expriment. « Nulle part ailleurs me suis-je sentie aussi à l’aise pour créer », confie-t-elle un jour à un vis-à-vis. Les grands moments de la vie sont ses thèmes, la naissance, la maternité, la mort, et les matériaux de la Gaspésie ses médiums, le bois et la pierre. À la limite de l’abstraction et du figuratif, reconnaissent les critiques, elle exprime, par exemple, avec intensité dans le flou et la rondeur de la forme ses sentiments de tendresse dans L’Homme-enfant, créé en 1967, évoquant peut-être dans l’œuvre la finalité de la femme qu’est la maternité, la continuité aussi, deux thèmes qui lui sont chers.
Le naïf : Réjean Pipon
Artiste résidant à L’Anse-au-Griffon, sur les bords du golfe Saint-Laurent, son œuvre, toujours en cours, respire le grand air du large et traduit dans les moindres gestes la tradition héritée de ses pères. Modéliste en plâtre formé dans les années 1950 à l’école des Arts de Montréal, il gagne un temps sa vie à fabriquer, à réparer et à mouler des décors pour des endroits publics et des résidences cossues. C’est de retour au bercail qu’il se tourne vers le travail du bois. Longtemps considéré comme un « gosseux », un terme pas nécessairement dénigreur, Pipon acquiert suffisamment de notoriété pour que les clients viennent maintenant le voir de partout. Entre deux contrats, il travaille à une série de tableaux qui évoquent la tradition du paysan-pêcheur gaspésien et qu’il a intitulée simplement Scènes de la vie Gaspésienne : La Boucherie, Travail au champ, Le repas familial, La transformation de la morue, etc….
Dans sa série gaspésienne, miniaturisée, son art se caractérise par la finesse du détail et son réalisme alors qu’avec d’autres travaux prime un air inachevé, mal dégrossis. L’œuvre est alors de forte dimension. L’artiste manie le couteau de la même manière que la hache. Original, il a recouvert les murs extérieurs de sa maison d’insectes géants débités à la scie mécanique et sans références anatomiques exactes. Seule compte, dans le cas de ses « bibites », l’impression que laisse la sculpture. L’absence des proportions dans ses travaux fait souvent aussi que ses personnages sont aussi gros que leur maison. Il délaisse la peinture et lui préfère la texture du bois et sa couleur, un peu à la manière de Bourgault. Le style traduit l’homme qu’il est, robuste, sans artifice ni besoin d’apparat, ce qui fait qu’on classe cet artiste parmi les naïfs.
Le débridé : Yves Gonthier
Yves Gonthier représente un courant de la peinture qui peut choquer, provoquer ou déconcerter. Cet artiste privilégie trois modes d’expression, l’acrylique sur toile, la sculpture d’aluminium et le portrait. Les sentiers battus, très peu pour lui. Il préfère la création. En recherche constante, « J’essaie de me surprendre moi-même. Mon leitmotiv, me dépasser et me surprendre ». Alors, il faut comprendre que le public soit surpris et décontenancé devant ses réalisations.
L’une d’elles, Le Cadre naturel, est une structure de bois rectangulaire installée en permanence sur la plage de Maria. Surnommée « Le Cadre qui fit tant jaser », l’œuvre veut que le spectateur réfléchisse sur sa place dans l’univers, sur son encadrement social et culturel, commente Gonthier. « C’est une façon de déborder de la peinture : ce n’est pas de la peinture, mais ça lui fait référence ». Et voilà pour les dénigreurs. Et ils ont eu la partie facile. Dans une levée de fonds pour financer le Centre d’artistes Vaste et Vague de Carleton, Gonthier a imaginé et mis à exécution une œuvre géante et commercialisable. Il a recouvert les planchers et les murs du centre de papier cartonné qu’il a peint à l’acrylique puis il a invité les Gaspésiens non seulement à venir voir son œuvre, mais aussi, littéralement, à pénétrer en son intérieur. Chacun pouvait ensuite partir avec un tableau qu’il n’avait qu’à découper de l’ensemble, pour le prix de huit cents le pouce carré. La réponse fut plus que favorable. Public et média ont été au rendez-vous de cet artiste qui fait de plus en plus jaser. Et il réussit à vivre de son art. Surprenant et pas!
« Le lâché lousse » : Quinze
« Le lâché lousse », expression inventée par une critique, décrit bien l’artiste qui se fait connaître sous le pseudonyme Quinze. Tout un numéro! Il faut l’avoir écouté parler pendant des heures cet intarissable sculpteur, metteur en scène, maquettiste, dont l’identité n’est connue que de quelques intimes, pour comprendre l’expression de la journaliste. Un cri de soulagement ou bien d’ébahissement ?!
Au premier coup d’œil, Quinze crée des maquettes diront les profanes, des tableaux ou des saynètes diront les spécialistes de l’art. Les personnages mis en scène sont prétextes à raconter une histoire très près du réel, mais toujours à plusieurs dimensions. Parfois obscure pour le néophyte, débridée, même pour l’initié, toujours captivante. Par exemple, avec Zorro et son chien Boris, qui est l’auteur de l’œuvre? Est ce qu’on appelle un « cadavre exquis »? En général, le titre de la pièce se veut la clé de l’entendement, mais la temporalité en est à coup sûr éclatée. Dans son Jacques Cartier, Quinze rencontre le héros quelque part dans le temps et fait un échange de cadeaux conséquentiels, qui ont comme effet de changer le cours de l’histoire.
De par sa formation, Quinze est un professionnel de la photo, de par son gagne-pain un technicien de l’audio-visuel, de par ses réalisations un scénariste et réalisateur de documentaires vidéos et de par ses goûts un musicien. Et en raison de ces expériences éclectiques, sa démarche se veut une symbiose où chaque approche enrichit l’autre, lui donne un sens. Son œuvre, c’est un mariage de la sculpture par le travail du matériau choisi, de l’art populaire par le style, de la peinture par le jeu des couleurs, du théâtre par ses mises en scène. Raconteur par son discours créatif et son imagination débridée, Quinze a su créer des mondes parallèles au nôtre, situés entre la frontière de l’étrange et du familier, dixit Quinze.
Bibliographie :
Boulanger, Madeleine J., Anntoine Daraiche et Yves Gonthier, « Guité, Bujold, Legros », Gaspésie, vol. XXI, no 3, septembre 1983, p. 22-29.
Gélinas, Cécile. Un art pas si bête. L'art populaire en Gaspésie. Gaspé, Musée de la Gaspésie, 1993. 44 p., ill., (Cahiers Gaspésie culturelle, 7).
Harvey, Michelle, « Réjean Pipon – Sculpteur », Gaspésie, vol. XXI, no 3, septembre 1983, p. 17-20.
Langevin Louise, « Artiste lâché lousse », Gaspésie, vol. XXXVII, no 3, hiver 2001, p. 38-43.
Mimeault, Mario, Entrevue avec Quinze. Gaspé, le 18 novembre 2002