Thème :
Société et institutions
Le Parc national Forillon
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 27 octobre 2002, 2017
L’idée de créer un premier parc national au Québec est née d’une banale visite d’Arthur Lang, ministre fédéral responsable des parcs nationaux. Alors qu’un jour il passait en avion au dessus de la péninsule de Forillon, il fait part au maire de Gaspé de l’idée qui lui vient à l’esprit : créer un parc national à cet endroit. De l’idée découle une phase de négociations entre le provincial et le fédéral qui mène à la location du territoire et à l’ouverture officielle du Parc national Forillon à l’été 1970.
Des débuts trompeurs et déchirants
L’ouverture du Parc national Forillon se fait dans un mélange d’espoir et de déchirement. D’espoir, parce que le gouvernement fédéral, pour faire accepter le projet, promet aux Gaspésiens une pléiade d’emplois liés à l’exploitation du parc. Deux cent-cinquante emplois, voire même 290 emplois liés directement à l’exploitation du parc et encore davantage indirectement. L’engagement a son importance parce qu’il touche un point sensible chez les Gaspésiens, aux prises avec un manque chronique de travail. Les investissements promis font rêver : 3 millions de dollars pour la mise en valeur du milieu humain.
Sa réalisation crée aussi désenchantement et déchirements parce que des centaines de personnes, plus de 200, sont expropriées et déplacées sans leur consentement, avec des compensations pour la plupart dérisoires. Ces gens, de racines jersiaises, guernesiaises, irlandaises et loyalistes, demeuraient dans la péninsule de Forillon depuis 200 ans. Pour créer le parc, le gouvernement du Québec, qui se fait maître d’œuvre, vide six villages : Indian Cove, Grande-Grave, Petit-Gaspé, Ship Head, L’Anse-Saint-Georges et Penouille, sans compter les villages de L’Anse-au-Griffon, de Cap-des-Rosiers et de Cap-aux-Os, qui sont aussi victimes de la dépopulation. Plusieurs expropriés en tombent malades, certains en meurent de langueur.
Un laboratoire humain
Au-delà des promesses trompeuses au plan humain, le Parc national Forillon a tout de même apporté des acquis à la culture gaspésienne qui n’eussent autrement pas été amenés. Dans son plan-cadre de développement, le Parc Forillon promettait qu’il serait « le premier parc national canadien où l’on se préoccuperait de l’histoire ». Effectivement, l’injection massive de capitaux permet dans un premier temps une campagne de recherches scientifiques menées aux fins de bien comprendre le milieu que l’on voulait mettre en valeur. Jusque-là, les seules études de ce genre sur le milieu des pêches gaspésiennes avaient été le fait de scientifiques américains. Des fouilles archéologiques accompagnées d’une cueillette de données anthropologiques et historiques mettent à jour une présence antérieure aux Européens et documente le récent passé d’une société halieutique, une première pour l’est canadien.
Une vitrine partielle
Dans les faits, cependant, l’interprétation sur le terrain a plutôt mis l’accent sur « L’harmonie entre la terre et la mer ». En un ou deux endroits du parc, à Grande-Grave surtout, avec la Maison-Blanchette et le Magasin-Hyman, le visiteur peut avoir, bien sûr, une idée, assez juste d’ailleurs, du milieu de vie de l’habitant et du marchand, mais combien ponctuelle et partielle. Combien de thèmes restent à couvrir pour donner une vision juste du milieu de vie qui s’animait jadis dans le secteur! La pêche de la morue sous le Régime français dans la baie de Gaspé, l’histoire de la mine de plomb de Petit-Gaspé creusée par les gens de Jean Talon, la chasse à la baleine à Penouille au XIXe siècle, les effets de la première guerre mondiale dans la région de Forillon, etc…
Un milieu touristique dynamique
Au-delà des vicissitudes occasionnées par la création du parc, reste tout de même, aujourd’hui, une réalité avec laquelle la Gaspésie s’est habituée de composer. Les installations du Parc national Forillon représentent des actifs importants, quelques quatre-vingt millions de dollars, que le milieu touristique régional n’aurait pu trouver ni investir seul. Devenu l’une des locomotives de l’industrie touristique de la péninsule, le parc attire maintenant 140 000 visiteurs à chaque année, avec une pointe de plus de 165 000 visiteurs en 2017. Difficile, de ce côté, de ne pas apprécier l’apport économique qui s’en suit.
Le Parc Forillon ne lésine pas sur les moyens pour attirer sa clientèle. Des campagnes de publicité bien montées sont faites à grands frais. Elles sont bien accueillies, d’ailleurs, parce qu’elles profitent aussi aux petites entreprises qui ont vu le jour aux approches de son périmètre, auberges, restaurants, campings, centres touristiques et d’interprétation. Sur le terrain, une tarification abordable et un service de réservation permettent aux visiteurs de planifier leur séjour à l’avance. Des activités d’interprétation soigneusement préparées par les naturalistes leur assurent des découvertes enrichissantes. Un programme saisonnier couvre à peu près tous les aspects de l’univers côtier et marin délimité par le parc. La thématique se veut des plus variées : Un monde sous-marin, la vie au bord de l’eau, Penouille, un monde à part, les secrets de la roche de Forillon, les oiseaux marins de Forillon, l'observation des baleines.
Des ajustements apportés à la vocation initiale du parc permettent maintenant de découvrir un passé plus présent que jamais. En plus des centres d’interprétation à visiter, le touriste peut, dans une randonnée interactive, découvrir les facettes de l’industrie de la pêche au siècle précédent, revivre l’ambiance des soirées d’antan à L’Anse-Blanchette, avec conteurs et musiciens, se remémorer ces Gaspésiens du bout du monde qui vivaient au siècle précédent en visitant la Maison-Dolbel.
L’amateur de la nature y trouve aussi son compte. Des sentiers pédestres serpentent en différents milieux naturels. Le sentier de La Chute traverse une érablière et aboutit à une magnifique chute d’eau. Celui des Graves le conduit, en suivant la côte, jusqu’à l’endroit où les Appalaches plongent dans l’0céan Atlantique. Le visiteur peut surplomber l’arête de Forillon, sillonner la vallée de l’Anse-au-Griffon, camper dans les trois aires de camping aménagées le long des sentiers. Si le cœur lui en dit, il peut emprunter le Sentier international des Appalaches qui débouche dans le Parc Forillon et marcher jusqu’au Mont Katahdin, dans l’état du Maine, aux États-Unis.
Pique-niques, randonnées à vélo ou à cheval, croisières d’observation, activités de plage, kayak de mer, pêche en eau salée, plongée sous-marine, observation des mammifères marins, randonnées de ski ou en raquettes l’hiver, un véritable Vent d’activités récréatives, comme l’annonce si bien une publicité du parc, attend le visiteur et ne lui laisse pas de temps mort.
À l’honneur des responsables du Parc Forillon, les manières de faire ont évolué depuis et les parcs créés subséquemment ont, pour les derniers, profité de l’expérience acquise en accordant plus d’égards aux habitants des milieux impliqués. À Forillon, par exemple, la sensibilité envers la présence humaine dans la péninsule se manifeste par les contacts et les échanges entre les guides-interprètes et les visiteurs. On réfère maintenant d’avantage aux familles qui occupaient antérieurement les lieux.
Bibliographie :
Bélanger, Jules. « Forillon dans l’histoire : un bref bilan », Gaspésie, vol. XXXIII, no 2, automne 1996, p. 5.
Bujold, Raynald. « Parc national Forillon – 25 ans d’histoire et de réalisations », Gaspésie, vol. XXXIII, no 2, automne 1996, p. 22.
Dow, Cynthia. « Un très beau parc, mais il manque d’âme, celle des gens du coin », Gaspésie, vol. XXXIII, no 2, (automne 1996, p. 23-25.
Fallu, Jean-Marie. « L’histoire et la culture : Les dimensions cachées de Forillon », Gaspésie, vol. XXIII, no 4, décembre 1985, p. 2-7.
Saint-Amour, Maxime. Parc National Forillon. Ottawa, Environnement Canada, 1984. 127 p., cartes, ill.
Site Internet