Thème :
Société et institutions
La Gaspésie, une société multiethnique
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 25 août 2002
La Gaspésie, comme bien des régions du Québec, présente une facette multiethnique. Elle s’est enrichie de ses éléments au fur et à mesure que la trame de l’histoire se déroulait. La découverte de nouvelles ressources, des politiques de colonisation, des initiatives entrepreneuriales, des guerres, des naufrages sont autant d’événements conjoncturels qui ont amené les gens en région.
Les Amérindiens
Les premiers arrivés en Gaspésie sont les Amérindiens. Les traces les plus anciennes de leur passage remontent au tout début de l’histoire canadienne. Des fouilles archéologiques révèlent qu’ils s’installent d’abord sur le versant nord de la péninsule il y a plus de 8 000 ans, puis qu’ils progressent rapidement vers l’est. Il y a deux mille ans, ces ancêtres des Micmacs occupent l’extrémité de la péninsule et probablement déjà tout le versant sud. En fait, leur territoire couvre même l’ensemble des provinces maritimes.
Privilégiés par la proximité de l’océan, les Micmacs établissent les premiers contacts avec les Européens. Jacques Cartier en rencontre à Port-Daniel, Paspébiac et Carleton à une époque où leur tribu compte environ 4 000 individus en Gaspésie seulement. Par la suite, les pères Récollets développent pour eux une mission à Listuguj (Ristigouche), dans le fond de la baie des Chaleurs. Cet endroit demeure aujourd'hui le principal noyau démographique de ce peuple en région, mais il s’en trouve deux autres, à Maria et à Pointe-Navarre (Gaspé). Après avoir vu leur nombre chuter à moins de 1 500 avec l’arrivée des Blancs, les Micmacs de la Gaspésie comptent à nouveau plus de 4 000 individus.
Les Français
Le courant de colonisation française suit Jacques Cartier alors que Basques, Bretons et Normands viennent pêcher la morue. Dans les années 1670, Nicolas Denys voit régulièrement de dix et douze navires à Percé, porteurs chacun d'une cinquantaine d'hommes. Leur retour amène au fil des générations la création de plusieurs centres de peuplement. Ainsi, Pabos regroupe entre 1729 et 1758 plus de 300 personnes originaires de Granville, Saint-Malo, Coutances ou des Sables d'Olonnes et de Bayonne. Pierre Revol attire à partir de 1752 plus de 300 de ses compatriotes de Granville à son établissement de Gaspé.
D’autre part, la Conquête fait apparaître sur les côtes de la Gaspésie des Acadiens fuyant la déportation de 1755. Dirigés par Raymond Bourdages, 750 d’entre eux passent l’hiver 1757 à Miramichi et Ristigouche et fondent par la suite les villages de Bonaventure et de Tracadigèche (aujourd'hui Carleton). Cette population s'est si bien multipliée que ses descendants constituent de nos jours au moins soixante pour cent de la population qui habite la partie sud de la Gaspésie.
Les sujets britanniques
Les anglophones ont eux aussi suivi de près la Conquête. Plusieurs des sujets britanniques installés en région à ce moment sont des soldats libérés de leur engagement dans l’armée. D’autres fuient la Nouvelle-Angleterre suite à la Guerre d’indépendance. C’est ainsi que 315 Loyalistes américains débarquent à Paspébiac le 9 juin 1784. Ils sont à l'origine de paroisses comme New-Carlisle, Carleton et New-Richmond. Aujourd'hui, leurs descendants constituent un des plus importants groupes ethniques de la baie des Chaleurs.
Les Anglo-Normands arrivent en Gaspésie dès les années 1766-1770. Leur présence en région a été soulignée dans la série télévisée À l'ombre de l'épervier. Près de la moitié des Gaspésiens ont aujourd’hui du sang jersiais dans les veines. À l’étroit sur leur île, leurs ancêtres ont initialement traversé en Amérique pour pêcher au profit de la Charles Robin and Company puis à celui de ses concurrents, la John Le Boutillier and Co., les Le Boutillier Brothers, la William Fruing, les Collas, les Perry et les autres.
Des ressortissants écossais viennent grossir au début du XIXe siècle le nombre des Anglo-gaspésiens en région. De grands propriétaires forestiers originaires de leur contrée les y attirent entre 1820 et 1840 pour combler un manque de main d’œuvre, William Cuthbert à New-Richmond et John MacNider à Métis. Quant aux Irlandais, ils arrivent en Gaspésie immédiatement après la Conquête. Le lieutenant-gouverneur Cox en recense à Percé et sur l'île Bonaventure en 1777. Il y a encore, d'ailleurs, un quartier de Percé qui s'appelle « L’Irlande ». De là, les descendants de la Verte Érin s'étendent à Douglastown, près de Gaspé, où ils ont conservé jusqu'à tout récemment leurs couleurs. D’autres s’installent dans des secteurs maintenant enfermés dans le territoire du Parc national Forillon. C'est ainsi que la famille Synnott fonde le village de L'Anse-au-Griffon en 1781 et que les O'Connor s’implantent à Cap-des-Rosiers. Ce dernier village voit de plus en 1845 le Carricks, un navire en partance de Sligo en Irlande, se perdre corps et bien sur ses falaises. Une quarantaine de rescapés survivent au désastre et quelques uns d’entre eux s’intègrent aux communautés de la côte.
Les Canadiens français
Un autre groupe de Gaspésiens dont la présence est à souligner est celui des Canadiens français. Pourtant, ils ne sont pas les derniers arrivés. Plus d’une centaine étaient déjà en place sous le Régime français, attirés à Mont-Louis en 1699 par Denis Riverin alors que ce dernier tente une expérience de colonisation basée exclusivement sur des activités halieutiques. Quelques familles demeurent par la suite en région. C'est le cas des Arbour, des Cotton, des Chicoine, des Aubut, etc.
Numériquement submergés par les nouveaux arrivants débarqués avec la Conquête, les Canadiens français reviennent en force dans la péninsule pour en peupler la côte nord à partir des années 1820. Ils suivent simplement le mouvement migratoire qui s'observe dans la province une fois que les terres de l'arrière-pays de Montmagny, de l'Islet et de Bellechasse sont comblées. Déjà à Matane en 1810, ils descendent tranquillement à Cap-Chat et à Sainte-Anne-des-Monts, puis dans les autres anses qui parsèment la côte jusqu'au cap des Rosiers. Une présence culturelle tranchée entre le nord et le sud de la Gaspésie contribue dès lors, et pendant longtemps, à donner une double facette à la région. En allant vers la pointe de Forillon, à l'extrémité de la péninsule, on parle, en effet, que le français alors qu’au-delà l’anglais a longtemps primé.
L’ensemble de ces pionniers aux racines si diverses contribue de nos jours à donner à la Gaspésie sa structure sociale et culturelle avec ses concentrations francophones du côté nord de la péninsule et anglophones du côté sud. Chaque communauté s’est initialement regroupée en villages qui, par exemple en entrant dans la baie des Chaleurs, se succèdent en alternance le long de la route nationale : Grande-Rivière (Canadiens français), Pabos (Bretons et Normands), Newport (Irlandais), Port-Daniel (Canadiens français), Paspébiac (Basques et Jersiais), New-Carlisle (Loyalistes), Bonaventure (Acadiens), New-Richmond (Loyalistes), Maria (Micmacs), etc.
Bibliographie :
Annett, Ken. « The British Influence in Gaspesia », Gaspésie, vol. XXIX, nos 3-4, septembre-décembre 1991, p. 46-56.
Frenette, Yves. « Le peuplement francophone de la Gaspésie 1670-1940 », Gaspésie, vol. XXIX, nos 3-4, septembre-décembre 1991, p. 35-44.
McDougall, David J. « The Gaspé Loyalists’ Bicentenial 1784-1984 », Gaspésie, vol. XXII, no 4, décembre 1984, p. 42-46.
Mimeault, Mario. « La Gaspésie, une mosaïque culturelle », in Paul Larocque et alii. Parcours historique de la région touristique de la Gaspésie. Rimouski, GRIDEQ, 1998, p. 459-475.
Mimeault, Mario. Le peuplement de la Gaspésie. Quand histoire et Généalogie se rencontrent. Conférence donnée au 55e Congrès de la Société généalogique canadienne-française de Montréal, le 10 octobre 1998.