Thème :
Société et institutions
La Deuxième Guerre mondiale : au bord d’un conflit
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 26 octobre 2002
La Gaspésie possède une histoire militaire ancienne. Comme elle donne directement sur le golfe Saint-Laurent, elle est depuis toujours, de par sa position géographique, exposée aux attaques ennemies. On ne compte d’ailleurs plus les épisodes dans lesquels la région est impliquée : Phips (1690), Walker (1711), Wolfe (1758), rebelles américains (1775), Ire guerre mondiale et, finalement, 2e guerre mondiale. Ce dernier conflit, dont les incidences sur la péninsule ont longtemps été cachées à la population canadienne, a vu les Allemands frapper aux portes du Canada.
La guerre cachée
Le Canada entre officiellement en guerre contre l’Allemagne le 10 septembre 1939 et le conflit armé fait sentir ses échos jusqu'en Gaspésie. Après que le Japon soit entré en guerre aux côtés des forces de l’Axe et que les États-Unis aient à leur tour accepté de s’impliquer, Hitler envoie ses sous-marins, les fameux U-Boats, sur les côtes nord-américaines. Les épisodes de la bataille navale qui s'est déroulée en sourdine dans le golfe ont commencé en 1942.
Le grand public n’est pas mis au courant de cette fréquentation des eaux gaspésiennes par les ennemis. En fait, le gouvernement fait tout pour étouffer cette nouvelle. Les Gaspésiens, eux, la savent. Un jour, c'est un sous-marin qui remonte à la surface entre deux barges de pêcheurs à Cap-des-Rosiers; une autre fois, c'est un espion allemand qui prend le train à Gaspé ou un marin à l'accent germanique qui achète des provisions au magasin du village. À Saint-Yvon, c'est une torpille qui manque sa cible et explose sur les crans. À Cap-chat, c’est une autre torpille qui brise toutes les vitres du village en frappant la falaise. Chacun a sa petite histoire.
Une base militaire
Il y a aussi la grande histoire. Par elle, nous savons que Gaspé devient le centre des opérations de défense nationale sur la côte est canadienne avec Halifax et que l'armée canadienne érige une base navale à l'intérieur de la baie, à Boom Defence. Un camp militaire, baptisé Fort Ramsay, se développe au port de mer. Des batteries côtières protègent l'entrée du port de part et d'autre de la baie, à Fort Péninsule, Fort Haldimand et Fort Prével. Un filet métallique géant bloque l'accès du plan d'eau intérieur aux sous-marins ennemis. Enfin, des avions amphibies patrouillent l'espace aérien.
L’attaque des U-Boats
Mais s’ils ne peuvent entrer dans le bassin de Gaspé, au large, les Allemands sont maîtres des eaux. Les U-Boats font leur apparition sur les côtes gaspésiennes en mai 1942. Du 3 au 16 septembre suivant, les sous-marins attaquent les convois alliés et coulent impunément onze navires. Au total, vingt-deux bateaux étrangers circulant dans les eaux du secteur Cap-des-Rosiers - Métis prennent le fond cette seule année-là à cause des torpilles ennemies.
C'est la terreur sur toute la côte. L'obligation est faite à tout le monde d'éteindre ses lumières le soir ou d'obstruer ses fenêtres. C'est le guet perpétuel qui s'installe et des scènes de désolation, mais aussi de générosité humaine, sont observées. Le 11 mai 1942, les gens de Cloridorme n'hésitent pas à se lancer en chaloupe par grosse mer pour recueillir les quarante-neuf passagers du Nicoya que les Allemands viennent de couler vers cinq heures du matin.
L’infiltration ennemie
Toutes sortes d’histoires circulent pendant la guerre, plus sérieuses qu’elles n’y paraissent. Une radio sans fil a été installée dans les montagnes de Forillon pour communiquer avec l’Allemagne, une chaloupe a été vue en train de débarquer du monde à la faveur de la pénombre. L’infiltration ennemie est un danger réel auquel le Canada doit répondre. Le 9 novembre 1942, un sous-marin allemand se glisse dans la baie des Chaleurs où son commandant doit laisser un agent de la troisième colonne à terre. Le lieutenant von Jarnowski, muni de papiers canadiens contrefaits et de la panoplie du parfait espion, a pour mission de gagner le cœur du continent. Une monnaie désuète le trahit cependant quand il acquitte sa note d’hôtel à New-Carlisle. Informée, la Police provinciale procède à son arrestation à bord du train qui doit l’amener à Montréal et le remet à la Gendarmerie royale. Mais combien d’espions ont ainsi infiltré le pays sans se faire prendre? Nul ne le sait.
Une milice côtière
L’armée canadienne crée à la suite de cet incident, et surtout des premières attaques qui viennent d’avoir lieu contre les bateaux marchands, un corps de milice pour surveiller les côtes. Le danger est réel et l’inquiétude populaire va grandissante. La Voix de la Vallée d’Amqui titre le 15 mai 1942 « La guerre est à nos portes! ». L’incidence économique du conflit fait aussi peur. Il y a plus de bois de construction sur les quais de Matane, écrit L’Action catholique, que dans toutes les cours à bois de notre ville (Québec). Imaginez quelques bombes incendiaires à travers tout cela et vous aurez une idée du désastre. »
Ainsi, dans un premier temps, des unités de réserve sont créées à partir des Fusiliers du Saint-Laurent et confiées au lieutenant-colonel Joseph Pineault de Mont-Joli. Le recrutement de volontaires est lancé à la fin de l’année 1942. La réponse est plus qu’encourageante. En vingt-quatre heures, 105 jeunes gens de Rivière-au-Renard s’enrôlent et 166 autres de Grande-Vallée en font autant. Des compagnies sont formées à Sainte-Anne-des-Monts, Grande-Vallée, Cap-d’Espoir et le commandement est installé à Gaspé. Dans un second temps, la croissance des effectifs, plus de 2 000 recrues, justifie la mise sur pied du Régiment Gaspé-Bonaventure. Des sentinelles sont installées, des exercices militaires ont lieu régulièrement, des réserves de mitrailleuses, de mortiers et de fusils anti-chars sont placées à des endroits stratégiques, des tranchées creusées et l’armée se livre à des simulations de débarquement et de contre-attaque. La presse nationale est invitée à ces exercices pour calmer les esprits et sécuriser l’opinion publique.
Des dommages considérables ont été infligés à la flotte marchande alliée et au commerce canadien. Heureusement, l’armée canadienne a organisé rapidement sa riposte. Les attaques allemandes eurent moins d'impact les années suivantes. Les navires, circulant en convoi, sont escortés par des corvettes et des balayeurs de mines, ce qui rend leur attaque quasi impossible. Les U-Boats ne couleront, au total, que quatre ou cinq autres navires avant que la guerre ne finisse.
Bibliographie :
Essex, James W. Victory in the St. Lawrence. Canada's Unknown War. Erin (Ont.), The Boston Mills Press, 1984. 16 p., cartes, ill.
Fournier, Julie. « La Guerre du Golfe Saint-Laurent », Gaspésie, vol. XXXVIII, no 3, hiver 2002), p. 34-38.
Lafrenière, Normand. « Fort Péninsule : Un point stratégique lors de la seconde guerre mondiale », Gaspésie, vol. XXIX, nos 3-4, septembre-décembre 1991, p. 28-34.
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