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Felix O’Hara, fonctionnaire et marchand
Thème : Société et institutions

Felix O’Hara, fonctionnaire et marchand

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 4 août 2002


« Monsieur O’Hara est un homme simple, sensible, et beaucoup plus informé qu’on est en droit de s’attendre de quelqu’un qui demeure dans cette lointaine campagne depuis vingt-quatre ans. »

Voilà ce que l’évêque anglican, Mgr Inglis, écrit de Felix O’Hara en 1789. Cet ingénieur britannique est né en 1732 dans le comté d’Amtrim en Irlande. Pourvoyeur de l’armée britannique, il fait partie de ces marchands qui s’installent au Canada au lendemain de la Conquête. Venu en Gaspésie par choix, sa carrière d’employé de l’État est beaucoup plus connue que son travail de marchand.
 
Ses premières années au Canada
 
Felix O’Hara traverse en Amérique alors qu’il est dans la vingtaine. Enrôlé dans l’armé, il arrive en Nouvelle-Angleterre à l’époque où celle-ci prépare l’invasion de la Nouvelle-France. Ses supérieurs le cantonnent à New-York où il fait la connaissance de Martha Mc Cormick et l’épouse en 1760. À ce moment, il a vingt-huit ans et les hostilités avec la colonie française sont terminées. O’Hara quitte les rangs de l’armée, même si la paix n’est pas encore signée entre la France et l’Angleterre, ce qui est fait avec la ratification du Traité de Paris en 1763. La porte de l’ex-Nouvelle-France est alors ouverte aux Britanniques.
 
Felix O’Hara fait sans doute partie des quelques deux cents marchands qui accompagnent l’armée anglaise dans leur nouvelle possession. En 1765, O’Hara apparaît dans le recensement de Montréal. En fait, les fonctionnaires inscrivent sa propriété, mais celle-ci ne semble pas habitée. Son propriétaire venait dans les semaines, sinon les jours précédents, de quitter Montréal pour s’installer en Gaspésie avec toute sa famille. Il est même possible de croire qu’il est venu en région avec son ami et voisin Edward Manwaring. En effet, les deux hommes réapparaissent en même temps à Gaspé cet été là.
 
Le marchand
 
À l’époque, le gouvernement britannique, en la personne du gouverneur James Muray, fait des offres de terres gratuites pour tout membre de l’armée britannique ou citoyen de l’Empire désireux de s’installer en Gaspésie. Felix O’Hara, qui avait été fournisseur de l’armée depuis son arrivée au Canada, s’associe au printemps 1765 avec John Mc Cord et William Gillilind, deux marchands de New-York comme lui. Il demande, avec ses partenaires, la concession de plus de 2 000 acres de terres dans le fond de la baie de Gaspé. Dans le contexte de sa profession et du commerce colonial qui commence à se développer, il est évident que les trois hommes songent à se lancer dans le commerce du bois. Ce n’est pas là une demande excessive et il s’en ajoute une autre deux ans plus tard, un bloc de terre de 1 300 acres sur les bords de la rivière York. Les deux premiers marchands fournissent l’argent pour le financement des opérations et O’Hara se voit chargé de les diriger sur le terrain. Il s’installe en plein centre de l’actuelle ville de Gaspé et ouvre un magasin situé près du port local. Outre ses garçons, quatre engagés travaillent pour lui. Résidence, entrepôts et magasins forment rapidement un petit regroupement baptisé O’Hara Hamlet. Le commerce semble bien aller. Il lui ajoute une ferme qui compte en 1777 près d’une vingtaine de bêtes à cornes puis, au fur et à mesure que la coupe du bois progresse, O’Hara acquiert de nouvelles limites forestières autour de la baie de Gaspé dont une généreuse concession de 1 500 acres en 1785.
 
L’officier de justice et représentant du gouvernement
 
À l’époque, le gouvernement est à restructurer le système administratif de sa nouvelle colonie. Conscient de la nécessité d’avoir en Gaspésie un officier responsable de la justice et capable d’assurer la sécurité de la pêche dans le golfe, l’État offre à O’Hara d’occuper la fonction de juge de paix. Ce dernier accepte la charge bien qu’il n’ait aucune expérience de la justice sinon que celle acquise à la faveur de poursuites en cours. Bref, O’Hara apprend son métier d’officier de la loi sur le tas. 
 
Au cours des années 1770, la Nouvelle-Angleterre se révolte contre sa mère patrie qui n’accepte évidemment pas cette fronde et maintient fermement sa colonie dans le rang. En d’autres mots, c’est la Guerre d’indépendance américaine et cette dernière n’est pas sans incidence pour la Gaspésie. Des corsaires pillent les installations des marchands Raymond Bourdages et Charles Robin à Bonaventure et à Paspébiac en 1778. Plus à l’est, la pointe de la péninsule reçoit depuis des années la visite de pêcheurs américains qui se sont installés sur la pointe Saint-Pierre, à l’entrée de la baie de Gaspé. Forts d’une occupation effective des lieux que personne ne leur avait contestée jusque-là, ils prétendent à la propriété des terres, ce que O’Hara dénonce et refuse. La tension monte. Des corsaires tentent une descente à Percé deux ans plus tard, mais sont repoussés par la milice locale, puis un autre groupe est coincé par la marine britannique à La Malbaie, tout juste à côté de la pointe Saint-Pierre. Les révoltés reviennent à la charge et s’emparent de la production de morue séchée du village de Percé, brûlent les installations de pêche que O’Hara ne veut pas leur accorder à l’entrée de la baie de Gaspé et s’emparent de sa personne. Les mutins lui font un simulacre de procès et le condamnent pour crime de richesse, une manière comme une autre de marquer leur mépris à l’égard de l’autorité britannique. Après quoi, ils le libèrent. 
 
L’arpenteur
 
La Guerre d’indépendance américaine prend fin avec la victoire des Treize colonies en 1783. Conséquence, des milliers de Britanniques désirant demeurer fidèles au roi d’Angleterre s’en viennent au Canada. L’année suivante, plus de 400 cents d’entre eux prennent la direction de la Gaspésie et le gouvernement leur prépare le terrain. Il demande à Felix O’Hara de localiser et de diviser des terres afin de les leur distribuer. O’Hara procède à l’arpentage de deux sites placés de part et d’autre de l’embouchure de la rivière Saint-Jean, dans la baie de Gaspé. Il baptise le premier Haldimandtown, du nom du gouverneur de la colonie Frederick Haldimand, et le second Douglastown. Les autorités lui ayant demandé en plus de regarder du côté de la baie des Chaleurs, il arpente les terres situées aux endroits qui deviendront les villes de Paspébiac et de New-Carlisle. Ce dernier travail lui demande une certaine habileté car plusieurs familles acadiennes se sont installées à ces endroits depuis la Conquête et il lui faut convaincre les Loyalistes qui arrivent au printemps 1784 de respecter leur propriété.
 
Le récit des démarches de O’Hara met en évidence ses efforts pour maintenir la cohésion du milieu social nouvellement créé et régler les problèmes locaux sans bousculer les structures en place. Son doigté lui vaut le renouvellement de sa commission de juge de la Cour des Plaidoyers communs en 1792 et sa nomination à la Cour Provinciale du district de Gaspé en 1795. Ses fils poursuivront son travail à titre d’agent des douanes pour l’un, de capitaine de milice et de juge de paix pour un second, de député au parlement de 1792 et plus tard d’officier de l’armée impériale pour un troisième. O’Hara peut décéder en 1805 avec le sentiment d’avoir servi avantageusement sa patrie.
 
 
Bibliographie :

Annett, Kenneth. « The O’Hara Family of Gaspé », SPEC, 21 juin 1983, p. 15.
Day, Réginald. « Les O'Hara à Gaspé », Revue d’histoire de la Gaspésie, vol. IX, no 3, juillet-septembre 1971; vol. IX, no 4, octobre-décembre 1971; vol. X, no 1, janvier-mars 1972.
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. Le cimetière O'Hara de Gaspé. Étude, relevé et analyse. Gaspé, 1988. 52 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. « Le cimetière O'Hara à Gaspé », Gaspésie, vol. XXIX, no 1, mars 1991, p. 15-25.
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