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Wolfe en Gaspésie
Thème : Société et institutions

Le passage du général Wolfe en Gaspésie

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 13 juillet 2002, 2017


Un des épisodes les plus connus de l'histoire du Canada est celui de la bataille des Plaines d'Abraham alors que le général James Wolfe battait les forces du général Montcalm. Ce qui est moins connu, c’est la préparation tactique de cette attaque. Les opérations militaires se sont à cette étape, entre 1755 et 1758, passées dans les Maritimes et en Gaspésie. Le passage du général de brigade James Wolfe à Gaspé en septembre 1758 ne se comprend cependant que dans un contexte de guerre globale.
 
Les prémisses
 
La Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France s’affrontent depuis le début de l’histoire coloniale. Si on ne s’en tient qu’aux coups portés à la colonie française par la voie de l’est, il faut remonter en 1627 quand, pour la première fois, la petite colonie de Samuel de Champlain succombe devant les assauts anglais. C’est la prise de Québec par les frères Kirke. La seconde attaque significative venue de l’océan a lieu à la fin du siècle, quand les navires de l’amiral Phips, passant par Percé, Gaspé, l’île d’Anticosti et Mingan, détruisent ces postes l’un après l’autre et se rivent le nez sur l’entêté Frontenac à Québec. Qui ne se rappelle pas de la célèbre répartie du gouverneur : « Allez dire à votre maître…». Phips doit abandonner son siège devant le danger de rester pris dans les glaces. Ce n’est que partie remise. En 1711, l’amiral Hovenden Walker part de Boston à la tête de neuf bâtiments de guerre, deux galiotes à bombes et de soixante transports de troupe et de ravitaillement. Il a avec lui 12 000 hommes, bref tout ce qu’il faut pour régler le sort des Français une fois pour toute, si ce n’était des écarts de la température. Les vents l’obligent à faire un arrêt dans la baie de Gaspé le 18 août et quand il en repart c’est pour affronter un brouillard. Résultat, l’attaque anglaise se termine sur les récifs de l’Île-aux-Œufs. Trente ans plus tard, c’est la Guerre de Sept ans (1741-1747) qui conduit à la prise de Louisbourg par les Anglais. Pour la Gaspésie, c’est la fin des années tranquilles. Un corsaire rôde dans la baie de Gaspé à l’été 1746 puis trois navires de guerre attaquent les installations de Grande-Rivière en juillet 1747. La remise de Louisbourg à la France en 1748, ramène un semblant de paix. Dès lors, les autorités françaises, décidant de parer à toute attaque surprise, placent un guetteur au cap des Rosiers. Plusieurs personnes s’y succèdent dont Michel Olivier, François-Gabriel Aubert, Jean Barré, Pierre Arbour.
 
La Guerre de la Conquête
 
Quand la Guerre de la Conquête débute en 1755, les Anglais décident, cette fois-ci, de mener les opérations de manière différente. Finies les attaques à l’emporte-pièce sur le cœur de la Nouvelle-France. Le chef des opérations, l’amiral Boscawen, établit plutôt un plan de campagne progressive. On procède par étape. D’abord ses troupes déportent les Acadiens de la Nouvelle-Écosse à l’été 1755. Pendant que les opérations d’encerclement de la Nouvelle-France sont entreprises sur le front ouest de la colonie en 1757 puis en 1758, Boscawen reprend Louisbourg, grâce auquel il contrôle maintenant l’entrée du Saint-Laurent. Par prudence, il envoie le même été ses hommes vider l’île Saint-Jean de ses habitants pour laisser personne derrière lui et patrouiller l’estuaire par une escadre.
 
Wolfe à Gaspé
 
L’amiral anglais, comme il appert, prend soin, avant de mener une attaque décisive sur Québec, de bien préparer le terrain. Il poursuit le nettoyage de ses arrières en envoyant à la fin de l’été son subalterne James Wolfe vider à son tour la péninsule gaspésienne de ses habitants. Et c’est ainsi que le 4 septembre 1758 ce dernier arrive à Gaspé avec une flotte de quatorze navires et six transports de troupe. 
 
La baie de Gaspé abrite un important poste de pêche qui appartient à un dénommé Pierre Revol. Wolfe jette l’ancre à la Grande-Grave, tout près de l’entrée de la baie. Il envoie aussitôt un émissaire rencontrer madame Revol dans la rivière Dartmouth, mais le rendez-vous ne mène à rien. Les habitants se sauvent tout simplement dans le bois. Le lendemain, les Anglais se rendent au cœur même des installations françaises, à l'emplacement approximatif de l'actuelle marina. Ils apprennent alors que le propriétaire des lieux est décédé de misère quelques jours auparavant, mais Wolfe rencontre son associé à qui il fait des offres de reddition. Plus de trois cents personnes sont à ce moment à l'emploi de l'entrepreneur canadien, mais il ne reste qu'une soixantaine d'individus sur place. Personne ne veut se rendre. Tous savent certainement ce qui est arrivé aux résidants de l'île Saint-Jean (I.-P.-É.). À défaut de prisonniers, les Anglais s’emparent de l’habitation de Revol, laquelle comprend une maison, un magasin, une forge, des cabanons pour les pêcheurs et 6 000 quintaux de morue séchée. 
 
Dans les jours qui suivent, des contacts sont à nouveau établis, des promesses de reddition sont faites par les Canadiens, sans doute pour gagner du temps, mais presque personne ne se rend. Le 7 septembre, les troupes anglaises gagnent le fond de la rivière York, capturent quelques hommes et trois femmes et incendient des installations de sciage et les maisons construites tout autour. Le séjour dans la baie de Gaspé se poursuit encore pendant une vingtaine de jours. Seulement quarante-six personnes, tant hommes, femmes et d'enfants, sont capturées, mais les forces britanniques détruisent tous les postes secondaires que Revol possède à la Malbaie, GrandeGrave, Penouille, Gaspé. Les troupes britanniques capturent en outre quatre goélettes, détruisent plus de 6 000 quintaux de morue et défoncent 200 chaloupes.
 
Par la suite, Wolfe envoie plusieurs détachements le long des côtes de la péninsule avec ordre de capturer les pêcheurs et de détruire leurs installations. Le 17 septembre, un groupe de soldats prend la direction de la baie des Chaleurs. Les troupiers incendient les constructions de l'île Bonaventure, brûlent vingtsept résidences à Pabos et détruisent 2 000 quintaux de morue sèche. À GrandeRivière, ils mettent le feu à une soixantaine de maisons et à quatrevingts chaloupes, mais les habitants ont tous eu le temps de fuir dans les bois. 
 
Le 23 septembre, un autre détachement, mené par le major Dalling, part à pieds vers le MontLouis tout en longeant les pleins. Ces hommes surprennent six Français qui préparent leur morue au GrandÉtang, mais ils n'en capturent que trois. Ils font un autre prisonnier à GrandeVallée. Après cinq jours de marche, les Anglais arrivent au MontLouis où est installé Michel Mahiet, marchand et seigneur de l'endroit. Seuls quelques employés restaient sur place et aucun n'échappe à l'ennemi. Toutes les installations sont brûlées et le détachement amène les prisonniers à Gaspé en se servant de La Sainte-Anne, la goélette de Michel Mahiet. 
 
Les pertes de la NouvelleFrance sont alors considérables bien que Wolfe écrira, peu après, que ce ne fut pas là le plus glorieux fait de sa carrière. Mais les Anglais disposent désormais, avec la prise de Gaspé, d’un point d’appui incomparable dans son avancée sur Québec. Un an plus tard, presque jour pour jour, aura lieu la bataille des Plaines d’Abraham.


Bibliographie :

Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Mc Lennan, J. S. Louisbourg from its Foundation to its Fall - 1713-1758. London, Macmillan and Co., 1918, p. 417-423.
Mimeault, Mario. « La déportation de Gaspé », Gaspésie, vol. XXI, no 3, septembre 1983, p. 40-49.
Mimeault, Mario. « La déportation de Gaspé par le général Wolfe », Veritas Acadie (Septembre 1758), p. 18-30.
Stacey, C. P. « James Wolfe », Dictionnaire biographique du Canada, vol. III, p, 721-730.
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